Limitation de l’immigration, l’exemple suisse : ce qui se passe quand on donne vraiment la parole au peuple<!-- --> | Atlantico.fr
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Manifestation anti-immigration en Suisse.
Manifestation anti-immigration en Suisse.
©Reuters

Vox populi

Après avoir dit "oui" en février à la capacité du politique à limiter l'immigration, les Suisses ont adressé un "non" à hauteur de 74% à une nouvelle proposition en ce sens, mais formulée au nom de l'écologie. En France, cadre général ou prisme particulier, la situation semble plus tranchée.

Jean-Claude  Barreau

Jean-Claude Barreau

Jean-Claude Barreau est essayiste. 

Il est conseiller de François Mitterrand sur les questions d'immigration, puis de Charles Pasqua. En 1989, il devient président de l’Office des migrations internationales et président du conseil d'administration de l’Institut national d’études démographiques.

Il est l"auteur de "Liberté, égalité, immigration ?" (éditions de L'Artilleur) et a également publié "Sur la route de Kandahar" (François Bourin, en avril 2014).

 

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Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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  • L'opinion publique française estime que les pouvoir publics ne luttent pas assez efficacement contre l'immigration clandestine, puisque seuls 24% des Français s'en estiment satisfaits.
  • 37% des Français estiment que l'immigration est une chance pour l'Hexagone.
  • 86% estiment qu'il faut passer d'une immigration subie à une immigration choisie.
  • 59% des Français restent favorables à une remise en cause des accords de Schengen.
  • Si la question de la limitation de l'immigration en France était adressée dans un cadre particulier (comme celui de l'écologie en Suisse), mais sur des thématiques propres à la France, les tendances précitées ne seraient pas inversées, mais renforcées.

Atlantico : Si la question de la limitation de l'immigration était aujourd'hui portée à l'attention de Français, quelle serait leur réponse ? Que nous en disent les derniers sondages ?

Jérôme Fourquet : En Suisse, la votation portait sur de nouvelles restrictions dans un cadre criconscrit, celui de l'écologie. En réalité, ils ont déjà répondu "oui" lors d'une première votation en février dernier. Et les conditions restrictives à l'immigration ont été considérablement durcies.

En France, sans trop s'avancer, il est possible d'y répondre par la favorable. En effet, une large majorité de la population estime que les pouvoir publics ne luttent pas assez efficacement contre l'immigration clandestine, puisque seuls 24% des Français s'en estiment satisfaits. Je rappelle que seulement 37% des Français estiment que l'immigration est une chance pour l'Hexagone. On en déduit qu'il y en a deux tiers qui estiment le contraire. Dans le même registre, 86% estiment qu'il faut passer d'une immigration subie à une immigration choisie.

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Les Français et l’immigration
(Sondage Ifop pour Valeurs actuelles Octobre 2013 - voir méthodologie)

Au moment où un rapport de l'OCDE indique que les volumes d'immigrés accueillis en France augmentent ces dernières années, notamment en provenance du continent africain, l'opinion publique française est en demande d'une meilleure régulation, voire de contraintes supplémentaires pour réduire les volumes.

Jean-Claude Barreau : C'est un problème politique. Tout Etat a le droit de s'occuper de l'immigration, d'ouvrir ou de fermer ses portes, les Etats-Unis en sont la preuve vivante. L'idée selon laquelle toute personne pourrait s'installer où elle veut est absurde. L'homme est un homme territorial. Ce qui est vrai, ce qui serait l'idéal, c'est qu'on puisse voyager partout avec le minimum de contrainte. Le voyage universel devrait être possible. Le voyage uniquement, pas l'installation.

Etablir des règles, c'est ce que fait la Suisse. En février, ils ont posé le principe d'une capacité politique à poser les limites intégrationnistes. Fin novembre la limitation s'est posée dans le cas précis de l'écologie. Sur ce dernier point, ils ont dit non. Rien d'autre. Reste que les Suisses ont une constitution qui fait constamment appel au vote populaire. En France, ce n'est pas le cas, même si le référendum existe, il est rarement utilisé. L'immigration est pourtant un problème de bon sens. L'immigration normale, acceptée, enrichit le fleuve national. Si elle est trop faible ou forte, elle peut poser des problèmes politiques.

Autre problème en France, les partis d'extrême droite et d'extrême gauche en ont fait un enjeu majeur et le débat en ressort très idéologisé... Il est donc à craindre qu'en France l'opinion publique se prononce en faveur de plus de limitation à l'immigration. Je ne renie pas le bon sens populaire, mais le peuple peut se tromper. Il n'est pas infaillible éthiquement et politiquement. J'en veux pour preuve Hitler porté au pouvoir en Allemagne dans les années 30 par l'assentiment populaire.

Si cette même question était adressée aujourd'hui en France dans un cadre particulier (comme celui de l'écologie en Suisse), la donne changerait-elle ? Les Français entretiennent-ils des rapports ambivalents à l'immigration ?

Jérôme Fourquet : Je ne pense pas. Les chiffres dont nous avons précédemment fait état sont massifs. L'opinion est relativement constituée sur le sujet. L'angle peut faire varier à la marge les résultats, mais la limitation des flux et des entrées est très large.

Un changement de cadre (vers du particulier, du quotidien) pourrait même renforcer les tendances. La Suisse peut se permettre de lier le sujet de l'immigration à l'écologie, parce que c'est un petit Etat très peuplé.

En France, cela ne nous viendrait pas à l'esprit, le sujet ne peut se porter sur notre capacité géographique à accueillir des populations immigrées. Le débat particulier se porte sur le coût économique et social, la capacité à créer des postes de travail nouveaux, les problématiques identitaires et culturelles, les problèmes de cohabitation dans des espaces de vie restreints, etc. Et sur ces différents points, la tendance ne basculerait pas. 

Même sur l'immigration à l'intérieur de l'espace Schengen, la majorité en faveur d'une régulation de l'immigration est large. Des débats de fond pourraient plus facilement faire bouger les lignes, mais il n'en reste pas moins qu'à 59%, les Français restent favorablesà la limitation des déplacements des Européens en Europe, ce qui suppose que l'immigration extra-européenne puisse être pénalisée plus durement encore.

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Les Français et les accords de Schengen
(Sondage Ifop pour Atlantico Février 2014 - voir méthodologie)

La situation à Calais en est un autre exemple. C'est un point de fixation pour l'opinion publique et la situation est explosive. 

Quelles sont les raisons de ce rejet de l'immigration ?

Jérôme Fourquet : En Suisse, les nouvelles limitations proposées au peuple posaient des répercussions économiques non désirées pour la population. Ensuite, un premier tour de vis assez sérieux a déjà été donné en Suisse concernant la limitation des flux migratoires.

En termes de dynamique démagrophique et de besoin économique, nous sommes dans des schémas différents. Côté Suisse, on est plus proche du modèle allemand que du cas français. En Europe, toute une série de responsables politiques vous démontre que le vieux continent européen à la démographie déclinante a besoin de l'immigration pour continuer de faire tourner son modèle économique. C'est déjà le cas en Allemagne.

En France, il faut qu'on ait une croissance de 1,5% par an pour absorber les enfants des baby boomers qui arrivent sur le marché du travail : soit pas loin de 200 000 nouveaux postes créés chaque année pour faire baisser le chômage. Notre démographie est en effet plus dynamique que celle de l'Allemagne. Dans ce cadre, il n'est pas anormal que notre position sur l'immigration diffère.

Cela uniquement sur le plan de la rationalité économique. Mais le débat se pose également en termes d'équilibre démographique, de paix sociale sur certains territoires, sans oublier de capacité d'intégration et d'assimilation d'une société face à une arrivée de population allogène. Sur ces plans, partout en Europe des clignotants s'allument, avec des opinions publiques (même pour ceux qui sont démographiquement moins dynamiques) moins allants sur la question migratoire. Un autre cas emblématique est celui de la Grande-Bretagne. Il y a eu peu de barrières érigées, et l'immigration se retrouve au coeur des préoccupations avec des interrogations très sérieuses sur le modèle communautariste d'intégration. Ils ont l'impression d'en payer aujourd'hui le prix fort. Ukip (parti extrémiste et europhobe) décroche ainsi son deuxième mandat à une élection partielle face aux conservateurs.

La France n'est pas isolée sur cette thématique. Elle se pose à l'échelle du continent tout entier. Au Sud, ils ont besoin mathématiquement de main-d'oeuvre étrangère. Ils ont d'ailleurs été les grands pourvoyeurs des flux d'immigration intra européenne consécutifs à la crise. Des diplômés du Sud de l'Europe sont en effet partis chercher de l'emploi ailleurs, notamment en Allemagne.

Et cela pose toute une série de problèmes politiques outre-Rhin : l'aile droite de la CDU a fait campagne contre la fraude et le tourisme social et des partis plus extrêmes n'ont pas hésité à surfer sur la vague de la préférence nationale.

Jean-Claude Barreau : En France, les politiques ne portent plus l'assimiliation des immigrés. Il n'y a plus de service militaire, l'école est différencialiste, dénuée de civisme. C'est là un premier problème auquel il nous faut remédier dans le respect de la culture de chacun. Les immigrés ne posent pas de problème en France quand ils s'assimilent. Cela renverserait la tendance quant au regard que porterait l'opinion française sur l'immigration.

Sur le poids d'une certaine idéologie différencialiste que je qualifierais d'extrême gauche, on a refusé de conduire l'assimilation. Cela ne signifie pas que notre culture est meilleure, simplement qu'elle est la culture de notre territoire. Et je le répète, cela ne signifie en rien l'annihilation de la culture des immigrés, mais simplement qu'ils épousent notre culture. Le peuple rejette massivement l'idéologie d'extrême gauche sur la différencialisation, à laquelle se résume malheureusement la question de l'immigration.

Je pense que c'est là le problème principal, plus que celui des flux. Nos flux sont d'environ 400 000 immigrés par an, autour des chiffres allemands. Problème, sur ces 400 000 immigrés, environ 150 000 sont non réguliers. La France peut absorber ces chiffres, d'autant plus que le surplus de naissances par rapport aux morts est d'environ 300 000. Mais on approche de la limite.

Et l'idéologisation politique ?

Jérôme Fourquet : Les considérants sont aussi de cet ordre, et cela n'est pas un phénomène nouveau. Certains partis en ont fait leur fond de commerce : qu'il s'agisse de la limitation de l'immigration ou de la création de droits nouveaux en faveur des immigrés.

On en mesure les conséquences avec la montée de la thématique de gestion des flux migratoires face à la montée des populations allogènes dans une logique d'immigration de peuplement.

Jean-Claude Barreau : En France, mener un référendum sur cette question est une possibilité tout à fait vraisemblable. Rien ne l'empêche si le Parlement ou le pouvoir éxécutif le demande. Le problème, c'est que l'immigration souffre de problématiques d'idéologisation. J'en veux pour preuve l'utilisation des mots "clandestin" revendiqué par l'idéologie de droite ou le mot "sans papiers" qui est une magnifique trouvaille de l'extrême gauche. Les mots pour l'immigration sont réguliers (qui ont des papiers) ou irréguliers (qui n'en n'ont pas).

Les clandestins, cela laisse en effet entendre que les immigrés réguliers ne travaillent pas, ne paient pas d'impôts. Ce qui est faux. Quant à sans papiers, cela sous entend lourdement que tout le monde devrait avoir droit à des papiers. Ce n'est pas le cas. Il faut traiter ce fait social avec calme. Le débat ainsi faussé biaise l'opinion publique sur la question de l'immigration. D'où le fait aussi que les Français se prononceraient majoritairement pour la limitation de l'immigration.

Sous quelles conditions vous semble-t-il possible de réconcilier les Français avec une politique de l'immigration ?

Jean-Claude Barreau :Il nous faut être plus rapide vis-à-vis des demandeurs de la nationalité française, qu'il s'agisse d'un oui ou d'un non, qu'on les intègre ou les reconduise chez eux, il nous faut apporter une réponse en 3 mois, pas en 3 ans comme c'est actuellement le cas. Pourquoi ? Parce que c'est la lenteur du système qui crée l'inhumanité. Quelqu'un qui est installé en France depuis 3 ans, ne peut plus ensuite être reconduit dans son pays. Il vit en France, est installé, a développé des liens sociaux, travaille ; ce serait inhumain de le jeter hors de France. Donc la rapidité de réponse apportée au flux d'immigration est un enjeu majeur.

Le regroupement familial, création de Valéry Giscard-d'Etaing, est un autre problème au sens où il est détourné. Nombreux sont ceux qui se créent artificiellement des familles dans leur pays d'origine (des enfants sont enlevés, parfois même achetés) et se regroupent ensuite en France, notamment dans une logique où seul compte le fait de tirer profit des aides sociales. En ce sens, il serait intéressant de repenser ou limiter le regroupement familial. Il faut maîtriser ce dernier. Nous avons lâché prise à ce niveau.

Le reste repose sur la volonté d'assimilation. Je crois que nous avons besoin de l'immigration, c'est une richesse. Mais il nous faut rompre avec l'idéologie dominante de la différencialisation. Il faut que la langue française soit apprise à l'école, que la culture soit intégrée, que ces nouveaux arrivants puissent devenir Français rapidement et que cela signifie quelque chose pour eux. Il faut que la France véhicule de nouveau cette fierté du drapeau, comme aux Etats-Unis. Un immigrant devenu Américain porte en lui cette fierté. Ce n'est toujours pas le cas en France ! Il nous faut résoudre ce problème majeur. 


Propos recueillis par Franck Michel / sur Twitter

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