Liberté d’expression, pluralisme et équité entre les citoyens : accusé Conseil d’État, levez-vous<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Société
Le Conseil d’Etat reproche à l’Arcom de ne pas avoir suffisamment pris en compte la couleur politique des intervenants de CNews avant de conclure à l’équitabilité des temps d’antenne associés.
Le Conseil d’Etat reproche à l’Arcom de ne pas avoir suffisamment pris en compte la couleur politique des intervenants de CNews avant de conclure à l’équitabilité des temps d’antenne associés.
©AFP

Parti pris

Le Conseil d’Etat reproche à l’Arcom de pas avoir suffisamment pris en compte la couleur politique des intervenants de CNews avant d’établir que les temps d’antenne y étaient équitables. Mais peut-on considérer que la haute hiérarchie des institutions administratives et judiciaires françaises est suffisamment diverse idéologiquement et sociologiquement pour rendre équitablement la justice au nom du peuple ?

Pierre Bouchardon

Pierre Bouchardon

Pierre Bouchardon, du nom d’un haut-magistrat intègre sous l’Occupation, est un haut-magistrat tenu au devoir d'anonymat.

Voir la bio »
Georges Fenech

Georges Fenech

Georges Fenech, ancien juge d'instruction, a présidé la commission d'enquête parlementaire consacrée aux attentats du 13 novembre 2015 et la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES). Son dernier livre est intitulé "L'ensauvagement de la France : la responsabilité des juges et des politiques" (2023) aux éditions du Rocher.

Il a déjà publié de nombreux ouvrages, parmi lesquels Gare aux gourous (2020), mais aussi "Face aux sectes : Politique, Justice, Etat" (1999) et "Criminels récidivistes : Peut-on les laisser sortir ?" (2007).

Voir la bio »

Atlantico : Le Conseil d’Etat reproche à l’Arcom de ne pas avoir suffisamment pris en compte la couleur politique des intervenants de CNews avant de conclure à l’équitabilité des temps d’antenne associés. Dans quelle mesure le Conseil d’Etat peut-il se permettre ce reproche ? Que dire de la diversité idéologique et sociologique en son sein ?

Pierre Bouchardon : Nos concitoyens ne mesurent pas d’abord l’extrême parenté entre la Cour de cassation, plus haute juridiction judiciaire de notre pays, et le Conseil d’Etat, plus haute juridiction administrative de la nation. Ces deux hautes juridictions ont, c’est exact, des contentieux distincts. Mais elles devraient être soumises l’une comme l’autre au processus (d’ailleurs garanti par la Convention européenne des droits de l’Homme) d’une juridiction indépendante de l’Etat et impartiale pour chacun de ses membres. Qu’en est-il ? Notre organisation de la Cour de cassation étant différente de celle du Conseil d’Etat, on peut observer que c’est la « section du contentieux » qui, au sein du Conseil d’Etat, est l’équivalent de la Cour de cassation pour l’ordre judiciaire, au même niveau. Le Conseil d’Etat en tant que juridiction n’a pas, à sa tête, un « premier président » comme cela peut être le cas pour les judiciaires, mais en revanche, un président de section du contentieux. Il n’est pas nommé, à la différence d’un magistrat du siège, au terme du processus constitutionnel du Conseil supérieur de la magistrature. C’est seul le président de la République qui, sur rapport du garde des Sceaux et après avis conforme du vice-président du Conseil d’Etat, le désigne (décret du 13 janvier 2021). A part le point commun que nous avons « deux Christophe » à la tête des plus hautes juridictions du pays, il s’agit là d’une différence de situation qui interpelle : ce mode de nomination, comme s’il s’agissait d’un poste d’Administration centrale à la discrétion de l’Etat, ne donne pas les garanties de l’indépendance que mérite pourtant cette fonction.

En l’espèce, la section du contentieux est aujourd’hui présidée par monsieur Christophe Chantepy. Il est membre du Conseil d’Etat, où il a fait une partie de sa carrière. C’est un juriste remarquable – rien ne permet de le remettre en question – mais il suffit d’un simple coup d’œil sur sa fiche wikipédia pour découvrir que sa carrière ne s’est pas limitée à la magistrature administrative : il a aussi occupé différentes fonctions partisanes. Il a été notamment directeur de cabinet de la campagne de madame Ségolène Royal, au cours de l’élection présidentielle de 2007. Un de ses « architectes » disait même Acteurs publics, un organe de presse très neutre. S’il a été nommé à cette fonction par une candidate à l’élection présidentielle, c’est évidemment parce qu’il « militait » auprès du mouvement, le PS, dont celle-ci se réclamait, et qui l’avait investi. Notons aussi qu’il a aussi occupé des postes de cabinet ministériel, notamment de directeur de cabinet de l’ancien Premier ministre PS Jean-Marc Ayrault. Là encore, ce sont des fonctions très politiques, quand bien même elles sont souvent exercées par des hauts-fonctionnaires. Elles témoignent donc d’une proximité amicale, peut-être, mais surtout politique avec la majorité hollandiste dont celui-ci se réclamait.

Tout ceci mis bout-à-bout conduit nécessairement à s’interroger sur l’opportunité du choix fait par le pouvoir de nommer ce profil à un tel poste. Une seule revue, Acteurs publics, avait observé au moment de sa nomination que c’était tout de même une première sous la Ve République de choisir un chef de juridiction « très marqué politiquement », qui « ne passe pas inaperçue ». Aucun président de section du contentieux, auparavant, n’avait un profil aussi politiquement avoué. Naturellement, comment voulez-vous que certaines organisations, qui sont souvent requérantes devant le Conseil d’Etat, dont le contentieux est par nature davantage dirigé contre l’action gouvernementale ou porte sur des sujets sociétaux, ne s’interrogent pas sur la neutralité humaine et institutionnelle d’un chef de juridiction qui, à l’instar du premier président de la cour de cassation, connait de tous les pourvois.… Comment entrer en confiance quand un président de la section du contentieux « tutoie » un grand nombre de personnalités politiques actuelles, ne l’oublions pas.

Naturellement, il ne s’agit pas de remettre en cause les compétences juridiques ou l’honnêteté de monsieur Chantepy qui sont grandes. Cette réflexion est « sur le plan des grands principes ». Force est de constater, néanmoins, que si c’était le premier président de la Cour de cassation qui affichait un tel C.V., si, juste avant d’être nommé, Christophe Soulard avait été directeur de cabinet d’un Premier ministre, un grand nombre de nos magistrats judiciaires, presque tous nos avocats et beaucoup de nos justiciables penseraient que ce n’est pas la meilleure façon de garantir l’indépendance comme de l’impartialité de la Justice. Tous les baromètres montrent depuis des dizaines d’années que le service public qui donne le moins confiance aux Français, c’est …la Justice. Selon la dernière vague, réalisé par l'institut CSA pour …CNews, en novembre 2023, ou selon une étude objective du Sénat, la moitié des Français n’a pas confiance en sa Justice. C’est grave. Qu’en pense les téléspectateurs de Cnews ? Ils ne risquent pas de faire mentir le constat. Une loi doit rapidement venir poser des indomptabilités absolues de toute fonction de magistrat, judiciaire ou administratif, avec la carrière politique, dont les fonctions de cabinets ministériels ou de mandat d’élu local font partie. 

Imagine-t-on une seconde ce qu’aurait dit la presse bien pensante si le président de la section du Contentieux nommé avait été l'ancien directeur de cabinet de François Fillon ? Et pourquoi la Pologne ou la Hongrie sont les seuls épinglés par Mme Ursula von der Leyen pour leur Justice réputée "aux ordres" et jamais la France, sous une autre couleur politique ? 

Georges Fenech : Notons que le Conseil d’Etat est aujourd’hui présidé par des personnalités marquées – sinon très marquées – à gauche. Il faut d’abord citer son vice-président, monsieur Tabuteau, dont il est peu probable qu’il soit intervenu dans l’affaire ici évoquée. Le président de la section du contentieux, monsieur Christophe Chantepy, a notamment été directeur de cabinet du Premier ministre socialiste, Jean-Marc Ayrault. Il a donc eu une carrière très marquée à gauche, et c’est également le cas de ses deux adjoints, les vice-présidents qui composent la section du contentieux. Il faut savoir que ce genre de décision est généralement prise par un triumvirat. Nous avons donc légitimement de quoi nous inquiéter au regard de l’impartialité idéologique du Conseil d’Etat dont les décisions, c’est désormais indéniable, apparaissent très orientées politiquement. La section du contentieux est aujourd’hui monocolore.

Si la même chose se passait au niveau judiciaire, c’est-à-dire du côté de la Cour de cassation, on poserait évidemment la question de son indépendance. Et c’est valable pour toute institution dont les membres sont nommés et qui, détenant dès lors un certain pouvoir, arrivent avec un bagage intellectuel ou politique très marqué. Cela pose un vrai problème d’ordre démocratique. 

Rappelons maintenant que cette décision du Conseil d’Etat, qui est une juridiction suprême, fait suite à un conflit faussement triangulaire : le requérant n’est autre que Reporter Sans Frontières qui a saisi l’Arcom, affirmant alors qu’il lui fallait revoir ses critères pour s’assurer du bon respect du pluralisme sur la chaîne CNews. L’Arcom a répondu que CNews respectait le pluralisme à la seconde près et Reporter Sans Frontières a opté pour un recours en excès de pouvoir devant la section du contentieux du Conseil d’Etat. CNews, a aucun moment, n’a eu l’occasion de se défendre. Elle n’a pas eu droit à un procès équitable et n’a pas été conviée à donner ses arguments. On peut, dès lors, parler d’une rupture d’égalité, il me semble. Et s’agissant d’une décision du Conseil d’Etat, c’est-à-dire d’une décision souveraine, il n’existe pas de voies de recours internes. La seule solution consiste donc à saisir la Cour européenne des droits de l’Homme.

Pour en revenir au fond de l’affaire, il faut rappeler que le Conseil d’Etat a statué de manière prétorienne : il a créé du droit et rajouté à la loi de 1986, enjoignant l’Arcom – une haute autorité, donc – à retenir d’autres critères que la simple appartenance politique d’un invité pour s’assurer du pluralisme. Il faudrait donc s’inquiéter des appartenances politiques des chroniqueurs, des animateurs, des journalistes, des invités qui ne sont pas les représentants d’un parti. Rien de tout cela n’est dans la loi et donc la demande n’a rien de légitime. D’autant qu’il serait impossible d’appliquer une telle décision : faut-il procéder au fichage de tous les invités de CNews ? De chacun de ses chroniqueurs ? Cela n’a pas de sens et cela relève de la chasse aux sorcières, du procès stalinien.

Quid des autres institutions judiciaires, comme la justice administrative, civile, pénale ou même européenne ?

Georges Fenech : La situation, ainsi que nous avons pu en discuter brièvement précédemment, concerne un grand nombre des institutions françaises. On ne devrait pas avoir un président du Conseil constitutionnel qui est connu pour avoir été un ancien Premier ministre socialiste, comme c’est le cas aujourd’hui… et nous pourrions dire la même chose de la Cour des comptes, que préside aujourd’hui Pierre Moscovici, dont on sait pertinemment qu’il n’hésite pas à faire de la rétention sur les rapports. Sans oublier, bien sûr, le Défenseur des droits, le Contrôleur général des lieux de privations de libertés ou bien d’autres hautes autorités qui sont manifestement trustées par une gauche très établie.

La justice administrative, aujourd’hui, est très marquée à gauche. La droite a clairement manqué de vigilance et n’a pas joué un rôle suffisant pour garantir l’indépendance idéologique des ces grandes institutions. C’est de cela dont nous payons les conséquences aujourd’hui.

Force est de constater que la diversité existe au sein de ces institutions, dont certains des membres ont pu être nommés par un pouvoir de droite quand celle-ci était aux manettes. Pourtant, elle se reflète de façon très imparfaite au sommet de la hiérarchie. Comment contourne-t-on la diversité, au juste ?

Georges Fenech : C’est une certaine culture de l’entrisme qui permet aujourd’hui à la gauche de contourner cette diversité et de s’assurer qu’elle ne soit pas bien représentée au sommet de la hiérarchie. Une culture, rappelons-le, qui émane de l’époque trotskiste et qui a permis à la gauche de truster les postes importants. Qui l’a poussée, également, à changer ce pan du personnel politique en place une fois arrivée au pouvoir. Dès lors, il apparaît mécanique que toute nouvelle famille arrivant au manette est confrontée à de très forts contre-pouvoirs dans ces institutions, lesquels ont été nommés de manière très partiale. Cela pose un réel problème démocratique.

Sans doute cette capacité à bien se positionner de la gauche résulte-t-elle d’un certain manque de retenue dont n’a pas fait preuve la droite. Celle-ci ne s’est jamais livrée, en récupérant les rênes du pouvoir à la moindre chasse au sorcière, à l’application d’un quelconque spoil system ou à une politique de nomination spécifique. Quand François Mitterrand est devenu président de la République, un nombre conséquent de directeurs administratifs ou d’institutions ont été remerciés. Au sein de la magistrature, c’est une véritable chasse au sorcière qui a eu lieu. Cela fait partie de l’ADN de la gauche. Pas de celui de la droite. 

Pourtant, nous avons pris des mesures pour augmenter les garanties et ainsi avoir l’assurance de l’indépendance ainsi que de l’impartialité de ces institutions. Tout futur conseiller constitutionnel (et c’est vrai également pour la présidence du Conseil) doit passer par la Haute autorité pour la transparence de la Vie Publique. Chaque candidat retenu par le pouvoir doit ensuite passer devant les commissions de l’Assemblée nationale  et recueillir une majorité renforcée pour s’assurer de la validation de sa nomination. Malgré tout cela, on en arrive toujours à un avantage incontestable pour la gauche. Il suffit de faire le compte : à la Cour des comptes, au Conseil constitutionnel, à la Haute autorité pour la transparence de la Vie Publique, au Conseil d’Etat…  il n’y a pas une personnalité de droite qui occupe une présidence ou même un poste de vice-président. Cela n’est pas un hasard. C’est une défaillance démocratique.

Que dire, peut-être, des problèmes de recrutement qui entraînent ce genre de dérives ?

Georges Fenech : Je ne crois pas que le problème relève de la formation de nos magistrats. C’est une question avant tout culturelle. La gauche, nous l’avons dit, a trusté les postes de sorte à s’assurer de rester un contre-pouvoir, lequel n’est d’ailleurs pas légitime dans la mesure où les juges qui devraient prendre des décisions en application stricte du droit s’en écartent pour créer leur propre interprétation de celui-ci. Ils n’ont pourtant pas la légitimité du suffrage universel et cela s’est encore vu récemment sur la question de la loi immigration. Tout cela pose un problème de confiance dans les juges et notamment les juges suprêmes de notre pays, dont on a l’impression qu’ils avancent à visage masqué. Qu’ils servent une idéologie plutôt que l’application stricte du droit.

L’heure, il me semble, est grave : jamais a-t-on ainsi tenté par le passé de porter atteinte à une liberté aussi fondamentale, garantie à la fois par notre Constitution mais aussi par tous les textes internationaux et européens. La liberté de la presse, ainsi que l’a signifié la Cour européenne des droits de l’Homme, est le chien de garde de la démocratie. Décider de l’affaiblir, ainsi que le font les pays autoritaires, c’est s’éloigner de la démocratie. Et nous sommes actuellement en train de chercher tous les prétextes pour s’attaquer à une chaîne qui aborde des sujets dont d’autres n’osent pas parler, qui apporte une liberté de temps de parole et de débat contradictoire que l’on ne retrouve pas ailleurs. Qui rencontre d’ailleurs, rappelons-le, un succès indéniable auprès des Français.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !