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Libéraux en peau de lapin : pourquoi la polémique autour de François-Xavier Bellamy en dit long sur le raidissement des soit-disant « modérés »
©LUDOVIC MARIN / AFP

Et la liberté de conscience, bordel ?

Ce dimanche, Aurore Bergé et Marlène Schiappa se sont émues face à l'hypothétique désignation de François-Xavier Bellamy à la tête de la liste LR aux élections européennes. En cause : son positionnement sur l'IVG.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Ce dimanche, Aurore Bergé et Marlène Schiappa se sont émues face à l'hypothétique désignation de François-Xavier Bellamy à la tête de la liste LR aux élections européennes. En cause : son positionnement sur l'IVG. L'opposition à l'IVG, qui a manifesté dans Paris ce dimanche lors de la Marche pour la Vie, est loin de rencontrer l'adhésion des Français. Mais l'attitude des détracteurs n'est-elle pas symptomatique d'un libéralisme politique à géométrie variable ?

Christophe Boutin : Effectivement, dans une déclaration au Journal du Dimanche, François-Xavier Bellamy a affirmé son opposition à l’IVG, « une conviction personnelle que j'assume» a-t-il dit, sans à aucun moment parler pour autant de remise en cause de ce droit apporté par la loi Veil. Et, effectivement, Marlène Schiappa, écrivain-e et secrétaire d’État, comme Aurore Bergé, transhumante politique et porte-parole de La République En Marche, se sont aussitôt élevées contre cette déclaration.

Aurore Bergé, séduite par l’allure de ce Versaillais qu’elle côtoya peut-être dans son enfance dans les allées du parc Balbi ou le long du Grand canal, le voit « jeune et brillant… mais hostile à l’IVG ». « S'il est choisi pour être l'incarnation de la droite aux européennes – ajoute-t-elle -, c'est aussi à un choix de société et de civilisation que les Français auront à répondre ». Rien moins que cela, et elle concluait par cette petite pique : « Aux législatives, déjà, les électeurs lui avaient dit non ! », évoquant l’échec du philosophe à Versailles face à un candidat laREM.

Marlène Schiappa choisit elle aussi de s’indigner : « Alors même que la France vient de lancer une campagne européenne pour la ratification de la convention d'Istanbul, voilà qui les Républicains veulent envoyer au Parlement européen : un anti-IVG ». On pourrait certes répondre à l’auteur-e de Pas plus de 4 heures de sommeil que prendre un peu plus de repos lui aurait permis de ne pas confondre le Conseil de l’Europe, cadre dans lequel a été signée la convention en question, et l’Union européenne, objet des prochaines élections. Ou que la dite convention d’Istanbul, sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes, précise dans son article 39 que « les Parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires pour ériger en infractions pénales, lorsqu’ils sont commis intentionnellement (…) le fait de pratiquer un avortement chez une femme sans son accord préalable et éclairé ». Or, on le sait, nombre d’opposants à l’avortement ne souhaitent nullement revenir sur la loi Veil, mais seulement, n’oubliant pas, comme le déclarait la ministre panthéonisée, que « tout avortement est et restera un drame », qu’une information portant, en amont sur les moyens de contraception, comme en aval sur les possibilités ouvertes aux femmes enceintes désireuses de garder l’enfant, soient faites plus clairement.

Certes, on l’aura compris dans les tweets de ces femmes politiques, il s’agit ici de préparer les futures élections européennes. Laurent Wauquiez semblant faire le choix d’une tête de liste plutôt de droite pour LR – une attitude on en conviendra surprenante - c’est aussitôt le tollé, y compris d’ailleurs dans cette formation : Gérard Larcher trouve Bellamy par trop clivant, un élu LR anonyme cité par le JDD n’a, lui, « pas senti guerrier » ce « chérubin » « hors-sol », le pire étant bien sûr le qualificatif doublement infamant de « catholique conservateur » donné à droite comme à gauche et qui fait frissonner de Jean-Pierre Raffarin (un ancien Premier ministre) à Daniel Cohn-Bendit (un ancien révolutionnaire).

Manœuvre politique donc, sinon politicienne ? Sans doute, mais pas seulement. Ce sujet montre en effet parfaitement le fonctionnement du « cliquet anti-retour » de la gauche – et d’une partie centriste de la droite. L’humanité allant, on le sait, des ténèbres à la lumière, comme aimait à le rappeler Jack Lang en 1981, il faut en effet impérativement empêcher le rocher de Sisyphe de redescendre la pente. C’est pourquoi non seulement une réforme de gauche ne saurait plus jamais être contestée – elle devient en effet, sitôt votée, un « acquis » intangible -, mais encore l’évolution de l’application de cette réforme ne saurait aller qu’en en poussant les prémices, aussi modérées soient-elles, aux extrêmes.

En ce sens, cette approche est l’exact opposé d’un « libéralisme politique » à qui ses détracteurs reprochent parfois, au contraire, de n’avoir aucune certitude, et même pas concernant ses propres positions. S’il n’est pas nécessairement cet homme qui « pense que son adversaire a raison », comme le disaient Léon Daudet et Charles de Gaulle, le libéral, parce qu’il pense que le débat est l’élément central pour établir une norme qui corresponde aux attentes de la société de son temps, n’admet en effet par principe ni « acquis » ni tabous : tout doit toujours être négociable ou, pour parler comme Karl Popper, « falsifiable » dans la « société ouverte » qui est la sienne.

Dans le même ordre d'idée, une étude récente de GW Politics montrait que si les "libéraux" américains sont les premiers à défendre l'idée d'un compromis, ils sont dans les faits les moins à même de faire véritablement des compromis. Comment expliquer ce paradoxe ?

Cette étude est intéressante en ce qu’elle montre une différence entre l’affirmation d’un principe et sa non-application politique : lorsque l’on demande aux électeurs démocrates si savoir faire des compromis est important en politique, ils y répondent de manière très favorable, et nettement plus que les républicains ; mais quand on en vient aux questions pratiques, ils ne sont prêts à faire aucune concession, alors que les républicains y sont prêts. Cette étude en rejoint une autre récente, menée aussi aux USA, sur le rapport des centristes américains aux présupposés démocratiques. Elle relevait que ces derniers étaient les moins enclins à considérer les droits civils nécessaires pour protéger les individus d’une éventuelle oppression de l’État ou, mieux encore, qu’ils étaient les moins portés à considérer que choisir un dirigeant dans une élection libre était indispensable à la démocratie.

Un paradoxe - qui concernerait donc d’ailleurs les démocrates et/ou les centristes, mais non les « libéraux » ? Et un paradoxe que l’on retrouverait en France, ou dans d’autres pays, quand la gauche et le centre estiment que les positions de la droite sont négociables, mais jamais les leurs ? En partie seulement, car cela relève bien de deux conceptions du monde – et donc de la politique. La droite – y compris libérale, celle des Constant, des Tocqueville – a une approche réaliste et de l’homme et de ses propres capacités. Elle pense, par exemple, que la raison peut connaître des éclipses, que l’on peut se tromper, et qu’il faut alors en tirer les conclusions, y compris en changeant, et relève ainsi de ce que Max Weber appelle « l’éthique de responsabilité ». La gauche et/ou le centre – leur matrice idéologique étant rigoureusement la même il est permis de les lier ici sans exagérer – estiment eux, dans une approche cette fois bien idéaliste, que la Raison, avec cette fois une majuscule, ne peut se tromper, mais seulement être trompée, que les responsables ne sont donc pas coupables, et relèvent cette fois, toujours au sens de Weber, de « l’éthique de conviction ».

D’où leur approche différente du débat : la droite veut débattre pour trouver une solution dont elle a conscience qu’elle ne sera peut-être que partiellement la sienne, aboutissant donc si besoin est à un éventuel compromis ; la gauche ou le centre débattent eux uniquement pour convaincre leur adversaire de la justesse de leurs opinions. Ils « sont » la Raison, et si leur interlocuteur n’est pas convaincu, c’est, soit qu’il est de mauvaise de foi, et l’on ne saurait donc tenir compte de son avis, soit que, malgré lui, il n’arrive pas à se libérer des divers préjugés qui l’empêchent d’accéder à la connaissance du Vrai, du Beau, du Bien et du Juste – donc à être d’accord avec eux. Celui-là, disait Rousseau, n’est pas vraiment libre et, concluait-il, « on le forcera à être libre ». Comme dans Tintin et le lotus bleu, on l’aidera à « trouver la voie »…

Le gouvernement actuel ne souffre-t-il pas de ce paradoxe à l'heure du grand débat qu'il a demandé mais n'a cessé depuis cette annonce de restreindre et contrôler ce même débat. Que craignent les libéraux qui ont peur de la liberté de conscience et d'expression ?

Encore une fois, l’expression de « libéraux » me semble sujette à caution pour caractériser les représentants du macronisme, ou alors faudrait-il envisager, mais c’est un très vaste débat, que les prémices individualistes effectivement présents dans le libéralisme classique, celui des Constant ou Tocqueville, mèneraient nécessairement au macronisme. Plus que de « libéralisme » donc, c’est bien, comme le fait d’ailleurs le maître des horloges, de « progressisme » qu’il faut parler pour définir cette idéologie qui règne en France comme ailleurs et prétend s’imposer, y compris par la force, comme étant la seule solution « raisonnable », ou « viable ». Son mot d’ordre, qui est en quelque sorte l’exact opposé de cette discussion permanente de tout et de tous que l’on a tant reproché à un certain libéralisme, reste l’acronyme TINA, pour « There Is No Alternative », il n’y a pas d’autre solution.

C’est le sens du Grand débat dont on a bien conscience qu’il devra nécessairement accoucher des réformes prévues. Les élites du cercle de la raison, agacées par l’incompréhension de leurs concitoyens (ne se reprochaient-elles pas il y a peu d’avoir été « trop intelligentes » et « trop subtiles » ?), acceptent de faire un pénible tour des gymnases de la France rurale pour porter la Vérité. Alexis de Tocqueville décrit magnifiquement dans De la démocratie en Amérique un tel système. « On trace un cercle autour de la pensée » écrit-il. À l’intérieur de ce cercle, on peut tout dire ; mais on ne peut pas plus sortir du cercle que se poser la question de son existence.

Ainsi, par exemple, met-on largement l’accent sur la contradiction qu’il y aurait à conserver des acquis sociaux en diminuant les impôts. C’est tout le sens de ces phrases de la Lettre aux Français d’Emmanuel Macron : « Nous ne pouvons, quoi qu’il en soit, poursuivre les baisses d’impôt sans baisser le niveau global de notre dépense publique. (…) Faut-il supprimer certains services publics qui seraient dépassés ou trop chers par rapport à leur utilité ? » On reste bien ici dans le cercle de la raison macronienne, sans le casser ni le remettre en cause. Notre dépense publique n’est-elle en effet obérée que par le fonctionnement de nos services publics ? Plutôt que d’en supprimer, ne pourrait-on mieux les gérer ? De quel poids supplémentaire pèsent les non-cotisants qui s’invitent pour bénéficier de ces services ? De tout cela il ne saurait être question. Comme dans la fausse religiosité de carton-pâte des cérémonies révolutionnaires la « déesse Raison » marche toujours au bras du « dieu du Progrès ». Acta est fabula.

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