Les risques géopolitiques en 2024 vont obliger les entreprises à inventer de nouvelles stratégies<!-- --> | Atlantico.fr
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Aux États-Unis, la perspective d’un retour de Donald Trump sème l'inquiétude dans toutes les grandes démocraties libérales qui vivaient sous le parapluie américain.
Aux États-Unis, la perspective d’un retour de Donald Trump sème l'inquiétude dans toutes les grandes démocraties libérales qui vivaient sous le parapluie américain.
©TANNEN MAURY / AFP

Atlantico Business

L’année 2024 va dérouler tellement d’événements et de crises dans le monde que les rapports de force géopolitiques vont obliger les entreprises à faire une analyse précise des risques : risques économiques et financiers, mais aussi risques éthiques et moraux.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Jusqu’à une époque très récente, les entreprises grandes ou petites ne s’intéressaient guère aux phénomènes internationaux. Depuis l'effondrement du bloc communiste, la planète toute entière s'était convertie à l'économie de marché où la concurrence permettait de réguler les rapports de force économique et financier à l'écart des enjeux politiques ou idéologiques.

Le Fonds Monétaire International et l'Organisation mondiale du commerce avaient l'ambition de surveiller l'application des règles commerciales auxquelles tous les partenaires semblaient adhérer, et quand il y avait un litige, on parvenait à le régler via des médiateurs ou des cours internationales. Cette mondialisation a fonctionné avec quelques succès jusqu'aux années 2010, permettant à beaucoup de pays de sortir d'un état de sous-développement et de rentrer sur les marchés, et de postuler une promesse de prospérité économique. Le grand gagnant de cette mondialisation heureuse a été la Chine et la plupart des pays d'Asie du Sud-Est.

Les entreprises du monde entier, quel que soit leur statut, ont profité du jeu de l'économie de marché en essayant d’exploiter leur situation de rareté ou d’originalité sur des marchés de plus en plus larges et cela, quelle que soit l'organisation politique des marchés.

La plupart des entreprises occidentales ont su s'adapter aux marchés chinois ou russes sans trop d'état d’âme. Dans le cadre de leur stratégie de développement, les seuls critères qui les préoccupaient restaient l'état du marché, son évolution, et les conditions d’exploitation (salaires, prix de l'énergie et des matières premières, etc.), avec au bout du compte une optimisation du résultat. Alors, les chefs d'entreprise se doutaient bien que parfois les conditions de travail et de vie dans certains pays où ils s'étaient implantés ne répondaient pas aux exigences qui étaient celles de leur pays d'origine, notamment en matière de droit de l'homme et de respect des libertés individuelles... mais l'Occident se rassurait en se disant que le développement économique allait améliorer le niveau de vie et, par conséquent, le niveau d’exigence des populations dans le domaine des droits de l'homme justement. Les entreprises savaient créer de la richesse et satisfaire des besoins élémentaires, elles pensaient participer à la création d'une classe moyenne qui demanderait l'Occident. de plus en plus à vivre en accord avec les valeurs libérales.

L’actualité de ces dernières années prouve que le développement économique n’a pas fait évoluer les régimes autoritaires. L'actualité prouve que les progrès technologiques considérables, dans le domaine de la santé, de l'éducation, de l'information, de la mobilité, ont été préemptés pour répondre à des besoins matériels d’une classe moyenne qui en a profité, mais prouve aussi que tous les progrès n'ont pas réussi à convertir les populations émergentes aux valeurs occidentales, et notamment celles qui prônent un respect des droits de l'homme (et de la femme...). La force des cultures, de l'histoire, des religions a souvent été plus forte que les valeurs véhiculées par le progrès économique ; la guerre en Ukraine a été une énorme claque à tous ceux qui pensaient que la Russie allait pouvoir s'intégrer au concert des nations développées, la pandémie du covid a révélé que les dirigeants chinois n'avaient décidément pas la même définition de la valeur humaine que les dirigeants occidentaux.

Plus grave, on a découvert dans les démocraties libérales que les classes défavorisées étaient très sensibles aux arguments populistes et démagogiques des marchands d'autoritarisme. Plus grave encore, ces mêmes démocraties libérales ne réussissent pas à enrayer la poussée des courants terroristes d'origine religieuse.

Bref, le monde entier est bousculé par une géopolitique imprévisible aux effets souvent tragiques. L’année 2024 va encore accroître les tensions internationales, la guerre en Ukraine ne trouvera pas son épilogue. La Russie ne gagnera pas cette guerre, mais elle n'abandonnera pas pour autant ses velléités de puissance territoriale et son organisation autoritariste. Le Moyen-Orient restera explosif avec des confrontations tragiques, sans parler de la multitude de scrutins qui vont être organisés sur la planète. En Russie, en Inde, ou à Taïwan, on ne voit pas ce que le résultat des élections pourrait apporter comme régimes moins sévères. Aux États-Unis, la perspective d’un retour de Donald Trump sème l'inquiétude dans toutes les grandes démocraties libérales qui vivaient sous le parapluie américain. Près de 100 pays dans le monde vont envoyer leurs peuples aux urnes. Personne ne sait ce qu’il en sortira globalement, mais personne n'est véritablement rassuré.

La sphère économique va se retrouver pour la première fois dans l'histoire face à une possible remise en cause de sa stratégie. Les entreprises qui ont toujours vécu à l'écart des enjeux politiques se retrouvent aujourd'hui obligées de se sentir concernées par des risques qui dépassent parfois de très loin leurs propres activités, mais qui vont forcément les toucher. Les entreprises sont aux prises avec les risques environnementaux et climatiques parce que leurs consommateurs, leurs clients, leurs actionnaires, et leurs salariés les somment de gérer la décarbonation. Alors les gouvernements ont pris des engagements, mais les vrais acteurs de la lutte contre le réchauffement ce sont les entreprises. C’est assez nouveau, mais c’est un fait. Cette décarbonation a été intégrée à leur logiciel stratégique. On ne reviendra pas dessus.

Mais les entreprises du monde entier sont aussi confrontées à des risques géopolitiques. Elles en tiennent compte quand elles sont sur des marchés en guerre ou alors quand leur gouvernement impose des sanctions et les oblige à sortir du jeu concurrentiel. Plus grave, les entreprises vont devoir s'interroger sur la légitimité ou la morale d’un business qu’elles font avec un pays voyou , et tout simplement qui ne respecte pas les valeurs occidentales. Il y a des pays dans le monde, des marchés, sur lesquels les entreprises ne pourront plus aller pour des raisons de sécurité (les assureurs ne les couvriront pas), mais aussi pour des raisons éthiques et morales.

Plus grave encore, les entreprises vont devoir analyser et prévoir les risques géopolitiques qui peuvent perturber leur activité.

La géopolitique existe depuis la nuit des temps. Tous les empereurs de l'Antiquité romaine ont fait de la géopolitique sans le savoir, mais Napoléon aussi. Les premiers à en avoir écrit et conceptualisé la discipline sont sans doute Machiavel et Clausewitz pour le compte des princes et des rois qu'ils conseillaient. En France, il faudra attendre Yves Lacoste pour en faire une discipline universitaire à part entiere . Pour ce professeur à la Sorbonne, la géopolitique est d'abord de la géographie et de l'histoire. Une étude sérieuse des risques où les rivalités de pouvoirs ne sont pas maîtrisées et portent sur un territoire ou sur l'influence et la souveraineté d'un territoire.

La géopolitique est donc devenue très à la mode en ce début d'année 2024, et une majorité d'étudiants en sciences politiques, en géographie, ou mieux, en économie, rêvent de devenir Frédéric Encel, comme d'autres il y a vingt ou trente ans rêvaient de journalisme et de devenir Claire Chazal ou Jean Boissonnat.

Tous les grands cabinets de consultants en stratégie, comme McKinsey, offrent désormais à leurs clients des expertises qui n'existaient pas il y a moins de dix ans : d'une part des expertises en RSE (responsabilité sociale et environnementale) et d'autre part en géopolitique. Ces expertises rapportent directement à la direction générale ou à la présidence. Elles sont évidemment stratégiques. Mais ce qui rend les diagnostics compliqués, tout comme dans la science politique ou l'économie, c'est qu'elles font appel à une connaissance scientifique et donc objective, mais aussi à une part de jugements morale ou éthique qui conforte la confiance d'agir ou pas.

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