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Les retransmissions télévisées des commissions d’enquête : corridas médiatiques ou véritables exercices de démocratie ?
©GERARD JULIEN / AFP

The revolution will not be televised

Dans le cadre de l'affaire Alexandre Benalla, plusieurs commissions d’enquête menées par les députés étaient orchestrées ce lundi. Quelle importance a ce genre d’événement télévisé dans le cadre de notre démocratie ?

Dominique Wolton

Dominique Wolton

Dominique Wolton a fondé en 2007 l’Institut des sciences de la communication du CNRS (ISCC). Il a également créé et dirige la Revue internationale Hermès depuis 1988 (CNRS Éditions). Elle a pour objectif d’étudier de manière interdisciplinaire la communication, dans ses rapports avec les individus, les techniques, les cultures, les sociétés. Il dirige aussi la collection de livres de poche Les Essentiels d’Hermès et la collection d’ouvrages CNRS Communication (CNRS Éditions).

Il est aussi l'auteur de nombreux ouvrages dont Avis à la pub (Cherche Midi, 2015), La communication, les hommes et la politique (CNRS Éditions, 2015), Demain la francophonie - Pour une autre mondialisation (Flammarion, 2006).

Il vient de publier Communiquer c'est vivre (Cherche Midi, 2016). 

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Atlantico : La journée de lundi a été marquée par plusieurs commissions d’enquête menées par les députés dans le cadre de l’affaire Benalla. Ont été auditionnés Gérard Collomb ainsi que le préfet de police de Paris, et de nombreux proches du pouvoir et des forces de l’ordre devraient suivre dans les jours qui suivent.  Quelle importance a ce genre d’événement télévisé dans le cadre de notre démocratie ?

Dominique Wolton : C’est une bonne idée que la radio et la télévision - et surtout la télévision parce qu’il y a l’image en plus - couvre les commissions parlementaires. Même s’il ne faut pas que cela ait lieu toutes les semaines, bien entendu. Mais le fait que les téléspectateurs puissent voir les politiciens et hauts fonctionnaires s’expliquer devant la représentation nationale, c’est une vraie bonne chose. 
Le bémol est que dans la mesure où il y a saturation d’image, de concurrence entre les médias, au bout d’un moment il risque d’y avoir une même banalisation de ce genre d’événements exceptionnels comme de tout. On pense pouvoir être dans la chambre à coucher du Président de la République, et on pense qu’on peut convoquer tous les matins des ministres, des commissions parlementaires… il y a un côté justicier assez gênant qui peut se mettre en place.
Autre bémol, c’est que dans un univers déjà surmédicalisé, ce genre d’intervention se multiplie trop, et on tend à une peoplisation de la fonction politique. C’est à dire que toute le monde est l’égal de tout le monde. Il est bien qu’il y ait, du fait du règlement, des enquêtes et des auditions. Mais vous et moi ne sommes pas à même de savoir tout ce qui se passe. Il y a le risque donc avec ce genre de commission retransmise d’une forme d’illusion de démocratie en direct. 
L’hypermédiatisation tend à supprimer l’intermédiaire, qu’il soit journaliste ou professeur ou universitaire, lequel doit malgré tout continuer à exercer son rôle entre la médiatisation du politique et le public. Ce lien social entre le politique et la nation est extrêmement important, mais il faut cependant rester extrêmement vigilant, parce qu’on risque de tomber non pas dans un renforcement de l’exercice de la démocratie mais au contraire un renforcement de sa caricature, la peoplisation du politique, la pseudo-démocratie en directe.

La mise en forme spectaculaire du fonctionnement de nos démocraties, telle qu’on l’observe par exemple dans le cas de commissions politiques retransmises à la télévision aux Etats-Unis n’est-il pas nécessairement instructif ?

Ce n’est pas parce qu’on voit des politiques venir se justifier devant la représentation nationale que vous et moi sommes pour autant capable d’en comprendre le fonctionnement. Il y a une distance nécessaire. Il y a un risque d’un pseudo égalitarisme, qui ferait que puisqu’ils sont tous obligés de venir se justifier, on est tous égaux. Oui c’est un exercice de contrôle du pouvoir fait par le Parlement vis-à-vis de l’action politique, mais en même temps, cela ne peut signifier qu’on dévalorise le statut du politique pour autant, le rendant parfaitement égal à n’importe quel citoyen. L’équilibre est plus difficile à trouver aujourd’hui qu’il y a 30 ans. Il y a 30 ans il fallait désacraliser le pouvoir, mais aujourd’hui il est tellement désacralisé qu’à force de zoomer sur telle ou telle crise, on ne voit plus que les crises, pas l’action. Le but n’est pas de faire que le citoyen modèle soit un justicier. 
Or la société française connaît certes des scandales dans le politique, mais il en est de même en fait dans tous les domaines. Il y a des dérapages partout. Mais il y a un purisme qui se développe à l’égard de la classe politique, un soupçon permanent qu’on a pas à l’égard des autres secteurs. On ne prend pas autant de temps à auditionner les militaires, les patrons du CAC 40 à qui on pourrait demander bien des choses. Et que dire des lobbies, qui ont une action extraordinaire dans le fonctionnement de nos pays. Et idem pour les médias, les scientifiques… Il ne faut pas que la politique soit le bouc émissaire. 

Le format télévisé convient-il ou déverrouille-t-il la communication politique ?

Cela ne déverrouille pas la communication politique, c’est une autre forme de communication politique. Le fait que cela soit long, lent, est une très bonne chose. On est aujourd’hui dans une telle logique de vitesse aujourd’hui, il est bien qu’une commission prennent deux trois heures pour débattre et discuter, et que les gens, en l’occurrence les hommes politiques et les téléspectateurs prennent leur temps. Ce genre de formats déstabilisent certains de vos confrères, qui voudraient une version synthétique, condensée, et sont fâchés de ne pas avoir un contenu de 5 minutes mais plusieurs heures. Mais c’est ridicule. Si on fait confiance aux hommes pour s’exprimer et pour parler, il faut leur laisser le temps de parler. C’est l’intérêt principal de ce genre de format, et la raison pour laquelle de nombreux citoyens y trouvent de l’intérêt.

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