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Célébrant le 65ème anniversaire de la Vème République devant le Conseil constitutionnel, le Chef de l’Etat a annoncé le 4 octobre 2023 une révision de la Constitution qui, selon ses souhaits, porterait sur plusieurs points.
Célébrant le 65ème anniversaire de la Vème République devant le Conseil constitutionnel, le Chef de l’Etat a annoncé le 4 octobre 2023 une révision de la Constitution qui, selon ses souhaits, porterait sur plusieurs points.
©Yoan VALAT / POOL / AFP

Etat des lieux

Célébrant le 65ème anniversaire de la Vème République devant le Conseil constitutionnel, le Chef de l’Etat a annoncé le 4 octobre 2023 une révision de la Constitution qui, selon ses souhaits, porterait sur plusieurs points.

Jean-Eric Schoettl

Jean-Eric Schoettl

Jean-Éric Schoettl est ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel entre 1997 et 2007. Il a publié La Démocratie au péril des prétoires aux éditions Gallimard, en 2022.

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Célébrant le 65ème anniversaire de la Vème République devant le Conseil constitutionnel, le Chef de l’Etat a annoncé le 4 octobre 2023 une révision de la Constitution qui, selon ses souhaits, porterait sur plusieurs points : élargissement des possibilités de référendum, reconnaissance de « la liberté des femmes de pouvoir recourir à l’interruption volontaire de grossesse », protection de l’environnement, statuts de la Corse et de la Nouvelle-Calédonie, nouvelle étape de la décentralisation.

Ces idées, inspirées de projets antérieurs inaboutis, se heurtent aux mêmes difficultés.

1) Extension du référendum 

L’extension aux questions de société du champ du référendum législatif de l’article 11, déjà prévue par le projet de loi constitutionnelle de 2019, combinée aux assouplissements envisagés par le Chef de l’Etat pour le référendum d’initiative partagée (abaissement du nombre minimum de signatures parlementaires et de soutiens citoyens, initiative citoyenne précédant éventuellement le ralliement de parlementaires) est certes possible par voie de révision constitutionnelle. Elle rencontre (au moins en apparence) une certaine faveur dans les partis politiques. Mais elle soulèverait d’épineuses questions pratiques et institutionnelles. L’articulation de la démocratie directe et de la démocratie représentative ne va pas de soi. On risquerait d’assister à une multiplication d’initiatives référendaires, y compris simultanées, perturbant la vie politique du seul fait de leur déclenchement. Dans l’affaire des Aéroports de Paris, en 2019, le seul dépôt d’une proposition de loi référendaire remettant en cause la loi de privatisation fraîchement votée avait fait échouer celle-ci, bien avant la clôture du recueil de signatures.

Du point de vue de l’intérêt général, le référendum, même d’initiative gouvernementale, présente un travers rédhibitoire lorsque les effets des mesures soumises à l’approbation populaire sont difficiles à cerner et faute de maturation d’une question par l’opinion publique : le danger de conduire, pour des raisons psychologiques circonstancielles, à des décisions aux conséquences irréversiblement dommageables pour la collectivité et que celle-ci regrettera ultérieurement. Les sondages ne révèlent-ils pas que les Britanniques sont maintenant majoritairement hostiles au Brexit ? Denys de Béchillon (Express du 5 octobre 2023) se demande ce qui serait advenu si on avait organisé un référendum quelques semaines après la catastrophe de Fukushima, pour décider d’un arrêt de la production d’électricité nucléaire : « Selon toute probabilité, le résultat aurait été favorable. Or, comme nous le voyons depuis notre prise de conscience collective de ces derniers mois, nous nous en serions mordu les doigts ». De même, s’il avait été organisé cette année, un référendum sur les retraites aurait vraisemblablement conduit au rejet de la réforme, cristallisé l’âge de départ à 62 ans, compromis la pérennité du régime de répartition et imposé, à terme, des mesures plus drastiques encore pour la société.

2) Inscription du droit à l'IVG dans la Constitution

Constitutionnaliser le droit à l'IVG ? C'est une fausse bonne idée qui, pour la macronie, semble avoir un pur objectif politique: voir la gauche joindre enfin ses suffrages aux siens.

En premier lieu, cette révision serait inutile. Nous disposons déjà d’une législation libérale et non contestée. A distance générationnelle, il n'y a aucun risque de "régression législative". Quelle famille politique porterait une telle mesure ? Aucun risque non plus de revirement de jurisprudence du Conseil constitutionnel. Depuis la loi Veil du 17 janvier 1975, le Conseil a admis les moutures successives, toujours plus permissives, de la législation sur l'IVG, en considérant qu'il ne lui appartenait pas, dans un tel domaine, de substituer son appréciation à celle du législateur. Bien plus, par sa décision du 27 juin 2001, il a rattaché l'IVG à la liberté personnelle de la femme, protégée par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. C'est la remise en cause de l'IVG par la loi qui serait censurée !  Est donc sans objet la référence  à la décision du 24 juin 2022 de la Cour suprême des USA (Dobbs vs Women’s health organization), qui abandonne la jurisprudence Roe vs Wade de 1973.

Qui plus est, la liberté de la femme doit être conciliée avec les autres exigences constitutionnelles, en particulier la protection de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation. Ce dernier principe s’opposerait à un avortement de convenance alors que l’enfant est en fin de gestation, pourrait viablement naître et ne présente aucune pathologie. Veut-on une IVG complètement libre jusqu’au neuvième mois ? On espère que non, même si la proposition de loi constitutionnelle adoptée par l’Assemblée nationale en première lecture le 24 novembre 2022 affirme que l’accès au droit à l'interruption volontaire de grossesse doit être "effectif et égal". En créant un droit-créance illimité, une telle disposition porterait au contraire atteinte aux équilibres et à l’esprit de la loi Veil.

L'inscription du droit à l'IVG dans la Constitution illustre la propension contemporaine à encombrer de droits la Constitution, sans se soucier de faisabilité et d'arbitrage, avec tous les effets pervers et frustrations qui en résultent.

3) Inscription de la préservation du climat et de l’environnement dans la Constitution

Il s’agirait, conformément au vœu de la Convention Climat, d’ajouter à l’article 1er de la Constitution que « la République garantit la préservation de la biodiversité et de l’environnement et la lutte contre le dérèglement climatique ». La formulation a de quoi laisser perplexe. Selon la lecture qu’on en fait (et surtout selon celle qu’en ferait le Conseil constitutionnel, qui serait très souvent saisi de la compatibilité d’une loi avec l’exigence portée par ce nouvel alinéa), cette formulation est soit cosmétique - et donc inutile, car n’ajoutant rien à la Charte de l’environnement -, soit trop contraignante, en raison de l’emploi d’un terme juridiquement très fort (« garantit »).

Cette révision serait fâcheuse dans l’hypothèse (optimiste) où la nouvelle disposition aurait une portée purement symbolique, car elle illustrerait à nouveau combien le pouvoir politique, plutôt que de prendre à bras le corps les aspérités du réel, se réfugie dans le verbe incantatoire.

Elle serait fâcheuse surtout si le nouvel alinéa de l’article 1er était interprété comme ayant valeur normative, ce qui est après tout la vocation d’une disposition constitutionnelle et correspond à la tendance naturelle de l’interprète attitré de la Constitution qu’est le Conseil constitutionnel. Dans cette lecture, en effet, tout devrait être sacrifié à la préservation de la biodiversité et de l’environnement et à la lutte contre le dérèglement climatique : la liberté d’aller et venir, la liberté d’entreprendre, le droit de propriété ou encore le droit de travailler.

Qui plus est, une nouvelle source d’insécurité juridique permanente pèserait sur le travail législatif. Qu’est-ce en effet que « garantir la préservation de la biodiversité, de l’environnement et la lutte contre le dérèglement climatique »? À partir de quand une loi ne « garantit » plus? Obligation de moyens ou de résultat? Ce serait au Conseil constitutionnel de le dire. Mais en répondant à cette question loi après loi, sa jurisprudence formaterait les politiques publiques en matière environnementale (ou ayant des incidences environnementales). Il n’en a ni la légitimité, ni l’expertise.

Ajoutons que l’alinéa ajouté à l’article 1er de la Constitution, s’il contraignait la République à « garantir la préservation de la biodiversité et de l’environnement et à lutter contre le dérèglement climatique », engagerait la responsabilité financière de l’État - autrement dit l’argent des contribuables - à tout propos (opération d’aménagement, grands équipements, politique de construction et de l’urbanisme etc).

Le Conseil d’État a souligné, à propos d’une disposition analogue (et plutôt moins impérative) figurant dans le projet de révision constitutionnelle de mai 2019 (« La République agit pour la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et contre les changements climatiques »), les risques de tous ordres (aux plans pénal, civil, administratif et financier) qu’une obligation constitutionnelle d’agir en matière environnementale, de caractère à la fois large et vague, ferait peser sur tout responsable public ou privé.

4) Statut de la Corse

« Ayons l’audace de bâtir une autonomie à la Corse dans la République » vient de déclarer Emmanuel Macron à Bastia. Autonomie, mais encore ? À lui seul, le mot « autonomie » peut avoir des acceptions bien différentes : pouvoir d’adaptation de la règle nationale aux singularités locales ; ou souveraineté législative de plein exercice, comme en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie. « Autonomie » est le prototype de mot polysémique qui peut rapprocher apparemment et momentanément les tenants de vues opposées, mais sur la base d’une ambiguïté plus ou moins cyniquement entretenue de part et d‘autre et qui ne tardera pas à éclater. 

Qu’ajouterait le nouveau projet constitutionnel au précédent ? Le Chef de l’Etat reste dans le flou, renvoyant à une concertation de six mois avec les élus locaux. Il saute même sans parachute en déclarant qu’il n’y a plus pour lui de « ligne rouge ». Emmanuel Macron évoque la consécration constitutionnelle d’une « communauté linguistique, culturelle et historique corse ». Faire ainsi miroiter la reconnaissance du « peuple corse » et la co-officialité du français et du corse, c’est flatter le communautarisme et prendre le risque de détricoter la République en fabriquant plusieurs catégories de citoyens. Pourquoi alors s’opposer au communautarisme islamiste ?

Qu’en sera-t-il de la différenciation normative en Corse ? On croit comprendre que lui serait dévolu non le pouvoir législatif, mais un pouvoir réglementaire d’application des lois nationales, y compris en l’absence de renvoi par celles-ci aux autorités locales. C’est le bémol par rapport au projet de loi constitutionnel du premier quinquennat. Ce pouvoir serait encadré, en amont (Conseil d’Etat) comme en aval (Conseil constitutionnel), à l’instar des lois métropolitaines. Construction baroque : si c’est l’Assemblée de Corse qui prend un règlement d’application, on comprend le contrôle amont du Conseil d’Etat (sur des actes équivalents à des décrets sur le continent) ; en revanche pourquoi le contrôle aval du Conseil constitutionnel sur des mesures qui, à la différence des lois du pays des collectivités françaises du Pacifique, sont de niveau infra-législatif ? 

Tout cela débouchera vraisemblablement sur des complications dont on se demande si le ministère de l’intérieur et l’Elysée ont une claire conscience. Nous allons vers une petite usine à gaz, sans pour autant complaire aux ultras locaux qui veulent la compétence législative, le privilège des résidents, l’officialité de la langue corse et la reconnaissance du peuple corse…   Et en suscitant des demandes reconventionnelles, comme en Bretagne.

5) Statut de la Nouvelle-Calédonie

Le résultat du troisième référendum rejetant l’accession du « Caillou » à la « pleine souveraineté » oblige à réécrire le titre consacré à la Nouvelle-Calédonie dans la Constitution. Mais quel contenu donner au nouveau statut ? Au regard de la citoyenneté, il devrait être moins dérogatoire au principe d’égalité que le statut actuel. Or les indépendantistes verraient dans une telle amodiation une négation de leurs droits ancestraux. Cèdera-t-on à nouveau, dans l’espoir d’acheter la paix civile, à un caprice identitaire contraire à l’universalisme républicain ?

6) Une nouvelle étape de la décentralisation

La révision de la Constitution devrait être aussi l’occasion, selon Emmanuel Macron, d’une nouvelle étape de la décentralisation, ainsi que d’une correction de trajectoire par rapport à tout ce qui s’est fait depuis les lois Defferre : « toute notre architecture territoriale est à repenser (…) Depuis 40 ans, l'idéal de démocratie locale a organisé l'empiètement, la concurrence parfois, la coexistence en tout cas de collectivités et de l'État, parfois des collectivités entre elles, sans que l'écheveau des compétences ne soit réellement tranché. Cette décentralisation inachevée produit de l’inefficacité pour l’action publique. Elle produit aussi de la perte de repères pour nos concitoyens. » 

Simplifier l’organisation territoriale, afin que les citoyens sachent « qui est responsable de quoi, quel impôt concourt à quel service public » ? Fort bien, mais cela relève essentiellement de la loi. Même l’expérimentation locale, initialement envisagée par Emmanuel Macron dans le cadre du projet de loi constitutionnelle de 2019, a finalement été permise par la loi (loi organique n° du 19 avril 2021). Alors quelles ambitions justifieraient que les dispositions déjà introduites en 2003 dans la Constitution en faveur des collectivités territoriales (loi constitutionnelle du 28 mars relative à l’organisation décentralisée de la République), notamment pour les doter d’un pouvoir réglementaire propre, soient renforcées ou complétées aujourd’hui ?  S’agit-il d’« aider nos maires à agir mieux, à adapter les normes, à leur donner plus de libertés », en assortissant cette liberté de « plus de responsabilités » ? Pareil objectif est trop vague pour se faire une idée de la manière dont il serait décliné dans la Constitution. Ce flou décourage tout commentaire. Soulignons seulement que, en matière de décentralisation, le pire serait d’aggraver la fragmentation territoriale de la République tout en ajoutant à l’illisibilité normative que l’on prétend combattre.

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Née d’une crise de gouvernance aigüe en 1958, le tropisme premier de la Vème République est d’instituer un Exécutif fort, disposant des coudées franches pour déterminer et conduire la politique de la Nation. C’est cette donne première que remet sans cesse en question la révision constitutionnelle depuis trois décennies. Les dix-neuf révisions constitutionnelles intervenues depuis 1990 ont en effet réduit la marge de manœuvre de l’État, pris dans sa branche exécutive comme dans sa branche législative, et ce, du fait des nouvelles contraintes, tant nationales que supranationales, qu’elles ont fait peser sur lui.

Cela suffit. S’il fallait toucher à la Constitution, ce devrait être pour remonter cette pente et non pour continuer à la dévaler.

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