Les programmes de sensibilisation à la diversité et à l’inclusion font plus de mal que de bien et voilà pourquoi<!-- --> | Atlantico.fr
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Les programmes de sensibilisation à la diversité et à l'inclusion sont-ils réelement efficaces ?
Les programmes de sensibilisation à la diversité et à l'inclusion sont-ils réelement efficaces ?
©Capture d'écran Youtube / DR

DEI

Selon la psychologue Mahzarin Banaji, pionnière de la recherche sur les préjugés et l'intolérance, les programmes de sensibilisation à la diversité et à l'inclusion sont un échec.

Sylvie Perez

Sylvie Perez

Sylvie Perez est journaliste. Elle a travaillé dans la presse écrite et à la radio. Sylvie Perez a publié plusieurs essais, romans et livres d'entretiens, et traduit de l'anglais l'œuvre théâtrale d'Agatha Christie. En 2023, elle publie « En finir avec le wokisme Chronique de la contre-offensive anglo-saxonne » aux éditions du Cerf.

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Atlantico : En quoi consistent les programmes de sensibilisation à la diversité et à l'inclusion ?

Sylvie Perez : Le sigle DEI (en anglais diversity-equity-inclusion) est un bel exemple de double-langage woke. Diversity : le système diversitaire est un projet politique qui consiste à diviser la population selon des critères de race, sexe, orientation sexuelle, genre. Rien à voir, donc, avec la diversité d'opinions. Inclusion : le mot inclusion n'existe pas en Français dans le sens où l'entendent les départements de ressources humaines. En Français, on inclut quelque chose (exemple : la tva est incluse dans le prix), et non quelqu'un. Par "inclusion" il faut entendre, le fait que tout un chacun se sente accueilli dans un environNement donné (entreprise, administration), quel que soit son sexe, race, genre. Equity : ça n'est pas l'équité (égalité de traitement), c'est l'égalité (égalité de résultat). Le wokisme repose sur un malentendu du fait qu'il confond disparités et inégalités.

Le régime néo-progressiste aspire à une société plus productive, plus dynamique, plus innovante, à laquelle on accèdera grâce à la religion DEI via deux outils. D'une part en confiant aux départements de ressources humaines la tâche d'appliquer des quotas dans les processus d'embauche (tant de femmes, tant de représentants des minorités ethniques, tant de transgenres). D'autre part, en soumettant les salariés à des "stages diversitaires".

La diversité est devenue une compétence. On se forme à la diversité en suivant des séminaires de diversité dont l’objectif annoncé est de créer « un environnement plus accueillant pour les membres de communautés sous-représentées ou marginalisées dans le passé ». La diversité est devenue un business. Aux Usa, dans tous les domaines d’activité, toutes les plus grosses entreprises, Boeing, Coca-Cola, Exxon Mobil, Pfizer, les Gafam bien sûr, toutes sans exception, allouent des sommes faramineuses au coaching diversitaire. On estime que les entreprises américaines dépensent chaque année 8 milliards de dollars pour ce type de formations.

L’une des militantes en faveur des programmes DEI (diversité, équité, inclusion), Mahzarin Banaji, affirme qu’ils ne fonctionnent pas et feraient même du mal.

Vous faites allusion à l'article paru dans le Wall Street Journal le mois dernier, signé par la psychologue Mahzarin Banaji et le sociologue Frank Dobbin. Ils dressent un constat d'échec de l'impératif diversitaire, qu'eux-mêmes préconisaient. "Après des décennies de stages diversitaires, force est de constater que la composition du staff des universités, des départements d'État ou des grandes entreprises a à peine changé et n'est pas plus diverse", écrivent-ils. Selon eux, les consultants en diversité s'y prennent mal, qui culpabilisent les stagiaires à propos de leurs préjugés racistes ou sexistes.

Et nous voilà devant le même genre de réthorique qu'on peut entendre dans la bouche des adeptes du communisme : ça n'a pas marché, mais l'idée est bonne, il faut juste s'y prendre autrement.

Pourtant l'idéologie diversitaire a échoué sur toute la ligne. Avec un quart de siècle de recul, aux Usa, le  bilan des stages de formation à la diversité (apparus au milieu des années 1990) est désastreux. Pour commencer, le postulat de départ selon lequel la diversité raciale et sexuelle dans l’entreprise est la clef de la créativité, est infondé. Il n’est que d’observer la Silicon Valley. Ce secteur économique, le plus créatif du monde, est aussi le moins divers (parmi les cadres, on trouve peu ou prou 60% d'Américains blancs et 35% d'origine asiatique). Ce qui n’aura pas dissuadé Google (entre autres Gafam) d’investir des centaines de millions de dollars dans des programmes de formation à la diversité. Résultat : Google comptait en 2021, tous postes confondus, 2,5% d'employés noirs.

Quel est le bilan de ces fameux programmes ?

Les formations diversitaires promettaient de souder les équipes. Mais comment ces thérapies de groupe qui soupçonnent les uns de racisme, les autres de sexisme, et sèment la méfiance parmi les employés, amélioreraient-elles le travail d’équipe ? Dispendieuses et chronophages, au mieux elles n’apportent rien, au pire elles sont contre-productives. Aucune étude n’atteste d’une amélioration concrète de l’atmosphère sur le lieu de travail. On constate une détérioration des relations entre collègues. En encourageant la délation et en instaurant un climat de suspicion, les trainings dissuadent toute spontanéité et inhibent la créativité des salariés. Par ailleurs, à véhiculer des stéréotypes raciaux ou sexuels, même si c’est pour les condamner, on finit par les renforcer. Les études sont formelles [1] : ces formations sont inefficaces. Entreprises et administrations n’en retirent aucun bénéfice.

Cette sollicitude envers les minorités ethniques et les femmes les fait passer pour des poupées de porcelaine. Les exposés des coachs diversitaires enquillent les propos condescendants et infantilisants. On pense au livre de Jason Riley, auteur afro-américain, chercheur au Manhattan Institute : Please stop helping us (Par pitié, cessez de nous aider). Comme Jason Riley, l'économiste Thomas Sowell, d'extraction modeste, afro-américain orphelin à trois ans ayant grandi dans l'Amérique de la ségrégation, démontre à longueur de livres que l’obsession diversitaire ne sert que ceux qui la prônent et non ceux qu’elle prétend aider. Sowell n’a pas de mots assez durs pour ceux qu'il appelle « les escrocs de la race » (race hustlers) ou encore « les idéologues du coin de la rue » [2].

À quel point la France a-t-elle développé les DEI ? 

L’Etat français, expert en bureaucratie, avait, dès 2008, concocté un Label Diversité : « Il vise à reconnaître l’engagement effectif, volontaire et durable d’un organisme pour prévenir les discriminations et promouvoir la diversité dans le cadre de la gestion de ses ressources humaines (recrutement, intégration, gestion des carrières…) »

En 2019, le ministère du travail conçu l'Index de l'égalité professionnelle : « Toutes les entreprises d'au moins 50 salariés doivent calculer et publier leur Index de l'égalité profesionnelle entre les femmes et les hommes chaque année, au plus tard le 1er mars. » La loi prévoit des pénalités financières pour ceux qui n'atteindraient pas les objectifs fixés par le pouvoir. L'Index de l'égalité professionnelle imposé aux entreprises de plus de 50 salariés et conçu pour renforcer la parité, est sûrement une formidable incitation à ne pas embaucher un cinquante-et-unième employé...

Le secteur public n’est pas en reste. Une circulaire de novembre 2019 ordonne la mise en place de Référents Egalité[3] au sein des établissements publics (éducation supérieure, laboratoires de recherche etc). En janvier 2020, la direction des ressources humaines de la Défense Nationale se félicitait de la mise en place d'un réseau de 960 « référents mixité-égalité » dans l'armée et annonçait son intention de porter leur nombre à 1200. Chaque nouveau record est célébré comme une avancée et rituellement accompagné d’un bémol de rigueur : "il reste encore beaucoup à faire pour améliorer la diversité".

Avant d'être nommé par le président Macron au poste de Ministre de l'Éducation, Pap Ndiaye s'était occupé de produire le Rapport sur la diversité à l'Opéra National de Paris (Janvier 2021). Il suggérait de réviser les critères de recrutement pour favoriser l'embauche d'artistes non-blancs et nommait un Référent Diversité comme l'avait fait le Metropolitan Opera de New York. La compétence ne suffit plus, il faut aussi le bon passeport minoritaire pour être éligible aux postes d'excellence.

Pourquoi dès le départ, les objectifs fixés par les DEI ne pourraient pas être correctement atteints ?

Peter Boghossian, professeur de philosophie à l'université de Portland (Oregon, Usa), a démissionné, de guerre lasse, à l'automne 2021, empêché d'enseigner comme il l'entendait en raison des velléités diversitaires du président de son établissement. Selon lui, DEI et liberté d'expression ne sont pas compatibles. Les départements DEI des universités, pour répondre à l'impératif "d'inclusion", édictent la bonne pensée. Un climat inquisitorial s'est insinué sur les campus tout comme dans les universités.

Le système diversitaire a inventé les bystander trainings (bystander est le mot anglais pour spectateur) qui font de chaque salarié un surveillant en puissance. Le salarié doit cesser de se comporter en témoin passif, c’est-à-dire complice du racisme et du système d’oppression des minorités. On lui apprend à traquer sur son lieu de travail tout comportement déviant, à surveiller ses collègues et dénoncer un regard oblique sur le décolleté d’une employée ou autres manières désobligeantes, reliquats du monde d’avant. Chaque fonctionnaire, chaque employé, chaque citoyen, doit ouvrir les yeux, dénoncer les écarts et ainsi servir la diversité, en un mot, devenir « un allié ».

Dans quels secteurs professionnels et universitaires ont-ils causé le plus de tort ?

Le régime diversitaire, source de despotisme administratif, s’appuie sur une nouvelle classe sociale, les diversicrates, chargés d'imposer des quotas dans tous les domaines de la société, musées, films, romans, entreprises, administrations, universités. Ils sont les forces de l'ordre diversitaire. Ils accomplissent les basses besognes du régime. Contrôles, sanctions et pénalités, pour le bonheur de toutzétous ! Ils ne produisent rien, mais surveillent, punissent, ordonnent, en sycophantes appointés.

Ainsi constate-t-on une inflation bureaucratique. Dans certaines des universités les plus cotées, comme à Yale (Connecticut, Usa), l’effectif administratif surpasse même le nombre de professeurs. Leslie Brisman, professeur d'anglais à Yale disait : "je ne crois pas qu'on ait un vice-président des droits des gauchers mais il faut que je vérifie. Si on n'avait pas autant d'employés chargés de surveiller la vie des étudiants et des profs, on aurait des bugets valables pour enseigner et faire de la recherche."

On peut citer la création en 2021 de la toute nouvelle Université d'Austin Texas (UATX) dédiée à la liberté académique. Le principe : il ne s’agit plus de protéger les étudiants des idées fortes, mais de les y initier. L'établissement, rejoint par des professeurs prestigieux de l'anglosphère (Dorian Abbot, Kathleen Stock, Aayan Hirsi Ali, Niall Fergusson, Bari Weiss, David Mamet...) mise tout sur la salle de classe et la qualité de l'enseignement. UATX peut offrir des frais de scolarité réduits en faisant des économies sur les installations somptuaires (pas de murs d'escalade ou de sushi bars), et des économies sur la bureaucratie (pas de département DEI).

Aucun secteur n'échappe à l'obsession diversitaire. Le 25 février 2022, lendemain de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, dans un contexte de tension maximale en Europe, Richard Moore, patron des services secrets anglais (MI6) soulignait, sur son compte Twitter, l’importance des droits LGBTQ+. On apprenait alors qu’un guide pratique à l’attention des espions britanniques du MI5 et du MI6 les invite à déclarer leurs pronoms, à prendre conscience de leur « privilège blanc » et à éviter les mots « genrés ». On se soucie de diversité et d’« inclusivité » au sein des services d’espionnage britanniques au moment où la menace nucléaire russe fait trembler le monde…

En somme, l'obsession diversitaire détourne les institutions de leur mission. Les musées s'occupent d'anti-racisme, les universités s'occupent d'harcèlement sexuel, les services secrets s'occupent de pronoms non-genrés.

Ces programmes DEI vont-ils poursuivre leur développement ?

L'arrêt de la Cour Suprême des États-Unis rendu le 29 juin 2023, qui interdit les quotas positifs à l'entrée à l'université, marque un tournant. Edward Blum, l'avocat qui mène cette bataille contre la discrimination positive depuis vingt ans, n'a pas l'intention de s'arrêter en si bon chemin. Cet arrêt permettra d'en finir avec les quotas à l'embauche dans les entreprises et les administrations (des procès sont d'ores et déjà engagés) et de rendre caducs les départements DEI ainsi que l'ensemble de la bureaucratie diversitaire. C'est décisif.

Entretien avec Sylvie Perez, auteur En finir avec le wokisme - Chronique de la contre-offensive anglo-saxonne, éditions du Cerf.



[1]Anthropology now, volume 10, pp 48-55, Why doesn’t Diversity Training Work ? The Challenge for Industry and Academia”, Frank Dobbin and Alexandra Kalev, septembre 2018.

Harvard Business Review, DIVERSITY AND INCUSION, “Does Diversity Training Work the Way It’s Supposed to ?”, Edward Chang, Katherine L. Milkman, Laura J. Zarrow, Kasandra Brabaw, Dena M. Gromet, Reb Rebele, Cade Massey, Angela L. Duckworth, Adam Grant, 9 Juillet 2019. 

Heterodox Academy, “Diversity-Related Training : What is it Good For ?”, Musa al-Gharbi, 16 Septembre 2020.

[2]Intellectuals and race, Thomas Sowell, Basic Books, 2013

[3] Les Référents Égalité sont chargés de "promouvoir l'égalité des chances entre les femmes et les hommes, communiquer sur les actions mises en place et les campagnes de sensibilisation et de prévention contre les stéréotypes et les discriminations, faire partie d'un réseau régional, bénéficier de formations dédiées, identifier les actions à proposer".

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