Les parents de la génération X face au défi de l’éducation des enfants à l’ère du tout numérique<!-- --> | Atlantico.fr
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Les parents natifs des années 60 et 80 n'ont pas toujours une position facile à tenir.
Les parents natifs des années 60 et 80 n'ont pas toujours une position facile à tenir.
©DR

X, Y, Z...

Ils sont nés dans un monde sans Internet, ont été les premiers à se servir d'ordinateurs et ont donné naissance à des enfants pour qui le wifi et la 4G sont les choses les plus naturelles du monde. Tiraillés entre les écrans de leurs enfants et l'époque du papier journal de leurs parents, les natifs des années 60 et 80 n'ont pas toujours une position facile à tenir.

Michel Fize

Michel Fize

Michel Fize est un sociologue, ancien chercheur au CNRS, écrivain, ancien conseiller régional d'Ile de France, ardent défenseur de la cause animale.

Il est l'auteur d'une quarantaine d'ouvrages dont La Démocratie familiale (Presses de la Renaissance, 1990), Le Livre noir de la jeunesse (Presses de la Renaissance, 2007), L'Individualisme démocratique (L'Oeuvre, 2010), Jeunesses à l'abandon (Mimésis, 2016), La Crise morale de la France et des Français (Mimésis, 2017). Son dernier livre : De l'abîme à l'espoir (Mimésis, 2021)

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Atlantico : La bloggeuse américaine Alison Slater Tate met en avant dans un article publié dans le Washington Post (voir ici) la difficulté pour les personnes nées entre les années 60 et 80 de se positionner entre les habitudes de vie héritées de leurs parents et celles avec lesquelles sont nées leurs enfants. Entre le "non numérique" et au contraire le "tout connecté", dans quelle mesure peut-on parler de tiraillement, ou du moins, de dilemme ?

Michel Fize : Le propre de l'homme est l'adaptation. Pour les gens de la génération 60-80, dont je ne fais pas partie stricto sensu, mais dont les problèmes ont été les mêmes, il existe bien évidemment une certaine anxiété par rapport aux technologies nouvelles. A titre personnel je me souviens que lorsque l'ordinateur est apparu et s'est répandu dans les années 90 dans les bureaux, c'était assez terrifiant. Il faut dire que la complexité des outils de l'époque n'aidait pas. Un temps de surprise et de décontenancement s'est instauré, mais il n'empêche que le dialogue des hommes suppose qu'ils partagent un minimum de valeurs et de capacités. Je crois donc que les parents se trouvent de toute manière dans la nécessité de connaître un tant soit peu ce qui constitue aujourd'hui l'univers de leurs enfants.

La différence entre les deux générations tient-elle uniquement à la relation au numérique, ou celle-ci passe-t-elle par d'autres biais ?

Le numérique illustre tout de même à merveille les différences entre l'avant et l'après. L'avant, c'était le durable, les situations qui se reproduisaient de génération en génération, les sociétés immobiles. L'après, c'est-à-dire aujourd'hui, c'est le temps de l'éphémère, de la précarité et de la spontanéité. Il est évident qu'un outil comme internet permet d'aller vite : ou vous accepte d'un clic, on vous remercie de la même manière… Les habitudes numériques collent à l'esprit du temps, qui est porté au spontané, à l'immédiat et au "non-engagement durable". Dans le domaine politique par exemple, autrefois on était militant, pour la vie. Aujourd'hui on est engagé, quand ce n'est pas seulement indigné, ponctuellement. La jeune génération pousse un coup de gueule et s'en retourne chez elle, pour vaquer à ses occupations, beaucoup plus personnelles.

Les différences sont donc importantes : le passage du durable à l'éphémère, du collectif à l'individuel, de la défense des droits collectifs à la satisfaction des droits personnels. Les moteurs, ressorts et valeurs ne sont pas tout à fait les mêmes, cependant l'homme ayant besoin de sécurité, il a besoin de durable. Les jeunes puisent par conséquent dans l'attirail de valeurs des plus anciens : la famille, le mariage, les enfants, la maison, etc. Car encore une fois, ces éléments expriment le solide, et tout ce qui est solide est rassurant, d'autant plus dans une époque où les objets comme les gens se brisent très vite.

Quelles sont les spécificités des relations entretenues entre génération Y et génération X ?

Les sondages donnent le vertige, car ils partent dans tous les sens : un jour on nous dit que telle génération est optimiste, le lendemain qu'elle est pessimiste, le surlendemain qu'elle croit en son avenir mais pasen celui de la société, etc. Je ne crois donc pas que les lettres X, Y et bientôt Z, soient la caractéristique essentielle permettant de distinguer les uns des autres. D'une manière plus classique, je dirais qu'il existe une génération aînée, qui détient les commandes, et une plus jeune, qui au contraire ne dispose pas de leviers. Certains dérivent vers l'exclusion, d'autres vers des aventures personnelles, voire jusqu'au bout du monde.

Existe-t-il une forme d'incompréhension entre ces parents qui se sont essayés et convertis au numérique sur le tard, et leurs enfants qui eux ont toujours connu cela ? Voyant leurs enfants très souvent devant un écran – d'ordinateur, de console ou de smartphone – cèdent-ils souvent à l'exaspération, au risque de passer pour des "réacs" nostalgiques des "jeux en bois" ?

C'est le dépassement de la mesure qui inquiète les parents, autant que le contenu. S'il peut y avoir conflit entre parents des années 60-80 et jeunes nés post 80, c'est sur la différence de temps consacrée à ces outils nouveaux, sans pour autant verser dans un schéma manichéen, car des adultes consomment beaucoup, quand certains jeunes consomment peu, voire pas du tout. Rappelons que par rapport au numérique tous les jeunes ne sont pasà  égalité ; il suffit d'aller voir dans les quartiers difficiles.

Sur le plan de la vision et de la représentation du monde, en quoi les parents se situant aujourd'hui entre la trentaine et la cinquantaine diffèrent-ils de leurs enfants nés après 1980 ? Quel rôle jouent les événements historiques vécus par chaque génération ?

On est conditionné par "l'esprit du temps" dont parlait Edgar Morin, par conséquent on "baigne" dans le temps. On est d'abord ce qu'on s'est vu enseigner, puis on est ce que l'on fait dans la société du moment. Si les générations sont différentes, je pense que c'est aussi en grande partie parce que, intrinsèquement, c'est l'âge qui nous rend différents. Quel que soit le type de société, et de manière absolue, on n'a pas la même vision du monde à 20, 30 ou 50 ans. Il est naturel que les générations ne se ressemblent pas, et il devrait être normal qu'elles se succèdent tout aussi naturellement.

Peut-on imaginer que la génération baptisée "Y" fera elle-même l'expérience de l'incompréhension avec ses enfants ?

Plutôt que de parler d'incompréhension, je dirais que les générations expriment  à chaque moment de l'histoire des points de désaccord sur la vision des autres, du monde et des valeurs. Mais les désaccords ne doivent pas empêcher les conciliations. Dans des sociétés à la fois individualistes et horizontales, où le mot même de "pouvoir" indispose, nous nous trouvons dans des logiques de construction et de décision collectives. C'est la démocratie participative, qui est là quoi qu'on veuille, et quoi que veuillent nos représentants politiques, qui sont confrontés à cette poussée d'une volonté participative toutes générations confondues. Les indignés en sont le plus bel exemple : dans certains pays toutes les générations se rejoignaient pour protester. Car aujourd'hui les générations partagent les mêmes difficultés sociales, alors que c'était moins le cas avant.

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