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Les malchanceux de l'Histoire de France : Margot, la reine calomniée et avilie jusqu'à aujourd'hui
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Bonnes feuilles

Que de destins de femmes et d'hommes frappés par la malchance dans l'histoire de France ! À travers les vingt récits historiques de ce livre, laissez-vous emporter vers les amonts de la mémoire. Extrait de "Les Malchanceux de l'Histoire de France", Jean-Joseph Julaud, publié aux éditions le Cherche-midi (2/2).

 Jean-Joseph Julaud

Jean-Joseph Julaud

Né en 1950, Jean-Joseph Julaud est l'auteur de romans, nouvelles, livres pratiques et essais, dont plusieurs best-sellers, notamment L'Histoire de France pour les Nuls et La Littérature française pour les Nuls. Après avoir enseigné pendant de nombreuses années, il se consacre aujourd'hui entièrement à l'écriture. Il vit à Paris.

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– Ma vie… Mon père, le roi Henri II, mort la tête percée par la lance de Montgomery dans ce duel affreux du 30 juin 1559. Nous étions heureux alors, Claude, jusqu’à ce jour. Et puis il fut absent, pour toujours. Et ce fut le malheur. Mon frère, le roi François II, mourait un an plus tard, à seize ans, dans l’horreur de cris que j’entends encore, ses oreilles ayant conduit à son cerveau un pus blanchâtre qui fut retrouvé par les lames d’Ambroise Paré. Malheur à Amboise lorsque les conjurés huguenots sont pendus à la balustrade du château, j’avais sept ans, je les ai vus, Claude, des têtes décapitées étaient fichées sur les grilles ! Malheur encore deux ans plus tard, en 1562 : les catholiques de François de Guise massacrent les huguenots à Wassy, des femmes et des enfants transpercés par l’épée sous l’oeil bien lointain d’un même Dieu… Ma mère, Catherine, veut que vivent ensemble les deux religions, et nous voici partis sur les routes du royaume, pendant deux ans, en 1564 et 1565, pour en persuader toutes les provinces. Ah, si vous aviez vu cela, Claude : seize mille chevaux, des processions de chariots, de charrettes, de voitures richement parées, des gentilshommes par centaines, les grands seigneurs, les princes, les Suisses en écarlate, des pages et des laquais, des cuisiniers, des échansons, des palefreniers, des gens d’Église, des fauconniers, des trompettes et des tambours, des jours de lenteur, deux printemps de bonheur à Troyes, à Bordeaux, deux étés de folie, à Roussillon, à Bayonne, l’automne à Châteaubriant, à Avignon, l’hiver à Tarascon. J’oubliais, Claude, j’oubliais l’escadron volant créé par ma mère, quatre-vingts des plus belles jeunes filles du royaume, les mieux éduquées, élevées dans la pratique des lettres de la musique, quatre-vingts jeunes filles capables d’installer avant toute négociation un climat de sourire, de détente et de bonheur d’être. Aucune autre volonté que celle de créer l’amitié pure entre femmes et hommes, et cela fut admis, compris, ma mère réussissait à imposer le bonheur par le charme et l’intelligence… Et pour prix de ces merveilles, la guerre, encore la guerre ! Condé, le huguenot qui tente d’enlever mon frère Charles IX et ma mère à Meaux ! La guerre encore… Henri de Navarre, mon roi, mon époux depuis, futur Henri IV, nommé chef de l’armée des protestants, à dix-sept ans ! Et puis cette idée de ma mère, Catherine, pour tout arranger : puisque les catholiques et les protestants ne cessent de se faire la guerre, qu’ils se fassent donc l’amour et tout ira bien. Claude François, vous le savez, c’est moi qui suis contrainte d’épouser Henri de Navarre, et cela ne me déplaît pas. Je veux bien servir la paix. Je le trouve rustre, sale, mais toujours joyeux, vif, batailleur, invincible. On a dit que j’avais fait la rebelle, que j’avais dit ce fameux « Jamais ils ne m’auront », ce sont des légendes nées de mon premier mouvement, celui du refus instinctif, qui ne dura pas. Devant Notre-Dame, où la bénédiction nuptiale nous fut donnée, car les protestants ne voulaient pas entrer dans le lieu sacré, j’acceptai de bonne grâce la main d’Henri. C’est un mensonge que de prétendre qu’il fallut la main de mon frère Charles IX, le roi, pour me faire acquiescer. En ce temps-là, j’ai pris de la taille, de la gorge, je suis belle, on me le dit, je le crois, je séduis et j’en use, mais de raisonnable façon. J’aime avant tout l’idée de l’amour. Que des yeux conquérants préparent leurs armes pour me gagner, je le sens, je le sais, ou le provoque, et c’est moi toujours qui donne la victoire ou force au renoncement. En amour, Platon me guide, Claude, vous le savez…

– Pourtant, Madame, pourtant…

– Ne dites rien, Claude, notre voie première à Usson fut celle du sentiment subtil, et cela dura jusqu’à ce que deviennent naturelles, nécessaires, des caresses au pouvoir plus apaisant que des mots mariés à la musique. Pourquoi cela ? La réponse est en votre souvenir et dans le mien, je savais que mon frère, ma mère et mon mari souhaitaient ma mort, et je m’attendais chaque jour à être transpercée de la dague qu’ils auraient payée pour cette besogne. J’avais peur, et vous étiez là. En ce temps-là, pour que l’on ne se trompe en rien sur moi, j’envisageai d’écrire mes Mémoires…

– Madame, c’est assez de dire vos malheurs. En ce jour du 18 juillet, votre fête, j’ai apporté un air que j’ai composé pour le souvenir d’Usson, de nous…

– Vous êtes tellement bon, Claude, mais laissez-moi dire encore un moment, s’il vous plaît, afin que le fleuve du temps les apaise, toute ma misère, et mes malchances… Le 24 août 1572, quelques jours après mon mariage, mon frère, le roi Charles IX, et ma mère décident de faire assassiner quelques chefs huguenots, une dizaine. Ce sont des milliers de protestants qui meurent en cette Saint-Barthélemy funeste, indélébile tache sur le nom des Valois ! Et je vis l’horreur ! Malheur encore en 1574, lorsque meurt mon frère Charles IX, les poumons pourris. Malheur deux ans plus tard : Henri, mon mari, s’évade de la cour de France pour rejoindre sa Navarre, il redevient le chef des protestants. Henri III, mon frère, est le nouveau roi. Mon autre frère, François d’Alençon, se brouille avec lui. On m’accuse de diriger fuites et brouilles, alors que je tente de dissoudre les haines. François voudrait être roi d’une Flandre où se réaliserait le rêve de ma mère : catholiques et protestants mêlés vivant un paradis sur terre. Mais François meurt en 1584, au retour de mon séjour à Nérac, en Gascogne, où j’étais restée trois ans, près de mon mari volage. Si volage que je l’abandonne. Et me voici dans la nature, poursuivie par les deux religions qui souhaitent ma mort. On m’arrête sur l’ordre de mon frère le roi, et on m’enferme à Usson en 1586…

– Pour mon bonheur, Madame. Maintenant, chantons…

– … vingt ans à Usson, vingt ans dans votre Auvergne, mon Auvergne où je réussis à apaiser les tensions religieuses ! Ma mère meurt en 1589. Dans le même temps, mon frère Henri est assassiné. Est-ce assez de malheurs ? Point encore… Usson, pourtant, devient par ma volonté l’école du platonisme, du raffinement, on y décline le sentiment avec dans l’esprit l’élégance qui bannit les unions de chair soudaines et bestiales. Et si le cours de la pensée amoureuse croise un de ces hasards où le désir de n’être plus qu’un, sans métaphore, se fait impérieux, les corps deviennent une sorte d’harmonie céleste, parfaite, née de l’espoir soudain comblé jusqu’à la pâmoison. Mes amis et correspondants s’appelaient Montaigne, qui me passionna lors de son séjour à Paris en 1580, Guillaume du Bartas, Honoré d’Urfé, si souvent présent à Usson, et qui vous découvrit.

– Enfin, votre retour à Paris, voilà dix ans, après l’annulation de votre mariage, qui permit à Henri IV d’épouser Marie de Médicis.

– Ils venaient me voir tous les deux, dans cette petite cour que j’ai créée en mon hôtel des Augustins. Nous étions de bons amis tous les trois. Et l’infâme Ravaillac a poignardé ce doux bonheur le 14 mai 1610 ! Voilà toute ma vie, Claude François ! Des malheurs, des misères, des… – Des amours, Madame…

– Oui, Claude, il y eut Bussy d’Amboise, si sûr de lui, je l’aimais pour ses bravades, son audace ; il eut celle de courtiser la dame de Monsoreau, il en mourut. Il y eut Jacques de Harlay, seigneur de Champvallon, que j’aimai à coeur perdu. Voilà, ces deux hommes seulement occupèrent mon coeur, j’eus pour eux de la ferveur et peut-être un peu de folie… Mais, Claude François, je vois dans les miroirs du ciel bien des visages que l’on déclare mes conquêtes sous les plumes de la haine, et ces têtes ont des grimaces affreuses. Les ignobles scribes qui ont consigné mes amours imaginaires seront-ils demain les vainqueurs de ma mémoire, et feront-ils de mon être une âme immonde, un corps qui se donna à ses frères ? Ces bruits que font courir encore les ennemis de ma famille se sont-ils éteints ? Peut-on imaginer entre François, Henri, Charles et moi d’autres événements que ceux de la tendresse fraternelle ? Une union de chair ? Je frémis d’horreur à cette idée ! Croira-t-on ce bruit qui dure encore et me met dans les bras du duc Henri de Guise ? Oui, je l’aimais, en amie, en prudente politique qui oeuvrait pour l’union des religions. Ajoutera-t-on foi à toutes ces images d’ordure où l’on me montre affamée du sexe mâle, roulure enfiévrée, chienne jamais repue, dans le lit avec des jeunes hommes dont je fais ma suite, prise par tel ou tel, n’importe quand, n’importe où… J’ai peur, Claude François, que l’on ajoute foi à cette histoire Du Guast, favori de mon frère Henri III, que j’aurais fait assassiner par un spadassin pour une bourse d’or donnée dans une chapelle une nuit où il aurait exigé mon corps, et où je le lui aurais donné… Et toutes ces morts autour de moi, celle de mon prétendu amant La Môle, décapité, dont j’aurais récupéré la tête fichée sur la place de grève au bout d’une pique, y prenant un ultime baiser glacé avant de la conserver dans une boîte couverte de plomb enterrée à Montmartre ? Tout cela est écrit, Claude François, tout cela se répète, tout cela est monstrueux, ce n’est pas moi, jamais je n’ai trempé dans ces turpitudes, dans ces banlieues de l’enfer ! Jamais. Combien diront m’avoir surprise dans l’exercice public de l’amour, combien affirmeront m’avoir regardée, les jupes retroussées, en bête de lucre, assouvir mon désir ? Vous, Claude, vous savez qu’il n’en est rien, que toujours mon coeur fut pur, et que je conduisis ma vie afin de ne jamais blesser la morale, ou ternir mon image qui passera dans les siècles à venir. Claude, pensez-vous qu’en ces temps lointains il se trouvera des êtres assez sages pour séparer le bon grain de l’ivraie, pour éteindre le soufre et me rendre la lumière, pour nier l’immonde et tracer de moi le portrait que j’ai ébauché dans mes Mémoires ? Ou bien donnera-t-on à ces ragots l’ampleur suffisante pour que, la bave aux lèvres, des lecteurs aux méninges en feu, aux parties malades, à l’âme délabrée, assurent que ce tas d’immondices fut ma vie ? Claude François, rassurez-moi : des générations qui viennent, j’espère le meilleur, je souhaite la sortie de l’état de violence que nous avons vécu. Et cela s’accompagnera d’une croissance de l’intelligence générale. Jamais on ne prendra le fiel des petites hyènes de la page pour vérité, rassurez-moi, Claude… »

Extrait de "Les Malchanceux de l'Histoire de France", Jean-Joseph Julaud, publié aux éditions le Cherche-midi, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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