Les hôpitaux de San Francisco en pointe dans le combat contre le Sida et ce que nous pouvons en apprendre<!-- --> | Atlantico.fr
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Les recherches sur le virus du Sida avancent.
Les recherches sur le virus du Sida avancent.
©Reuters

Rémission mais pas guérison

Le programme RAPID, mené à San Francisco, observe les conséquences d’une mise sous traitement le jour même du diagnostic d’infection par le VIH. En comparaison avec les pratiques habituelles, les résultats sont enthousiasmants. Une avancée majeure dans la recherche.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : Ward 86, la clinique de l'hôpital de San Francisco dédiée à la lutte contre le SIDA a mis en place le programme RAPID. Celui-ci permet de traiter les gens alors qu'ils viennent d'apprendre leur contamination. Quelles sont les techniques mises en oeuvre ? Une telle approche est-elle envisageable en France ?

Stéphane Gayet : Les virus du syndrome d'immunodéficience acquise (sida), découverts en 1983 (type 1) et 1986 (type 2), appelés depuis 1986 virus de l'immunodéficience humaine (VIH-1 et VIH-2), sont comme on le sait particulièrement redoutables. Car ils s'attaquent à notre système de défense qui nous protège physiologiquement contre les virus (comme on cherche à neutraliser le système de commandement de l'ennemi que l'on attaque en temps de guerre). Les lymphocytes (petits globules blancs chargés de l'immunité) sont la principale cible de ce virus (lymphocytes de type T, c'est-à-dire dépendant du thymus, et "chefs d'orchestre" de la défense immunitaire : ce sont les lymphocytes T CD4, portant le récepteur externe CD4 sur lequel se fixe le virus avant son entrée dans la cellule). Les virus VIH détruisent les cellules qu'ils infectent, possèdent un grand nombre de gènes régulateurs et sont doués d'une étonnante variabilité génétique. C'est d'une grande efficacité, hélas. Cela peut être comparé au piratage informatique de l'état-major d'une armée suivi de son contrôle.

Face à cet ennemi diabolique et sournois, il faut agir vite, essayer de le prendre de vitesse. On sait aujourd'hui que plus tôt on frappe et plus on est efficace. D'où cette approche thérapeutique assez récente consistant à donner une trithérapie dès que le diagnostic de séropositivité VIH est posé. Cette trithérapie est une combinaison de trois molécules antirétrovirales (le virus VIH est appelé rétrovirus en raison du fait que son ARN se déguise en ADN grâce à une enzyme qu'il apporte avec lui, la rétro-transcriptase ou transcriptase inverse ; ensuite, il s'intègre au génome de la cellule infectée sous la forme d'un provirus). Il s'agit donc d'une triple chimiothérapie antivirale qui va commencer dès que possible, c'est-à-dire dès le diagnostic de séropositivité VIH. C'est précisément ce qui est appliqué dans le programme RAPID à l'hôpital de San Francisco. Ce programme comporte deux volets :

1. Une incitation et une facilitation de la détection de la séropositivité VIH chez toute personne ayant un doute fondé.

2. Une prise en charge médicale immédiate dès le diagnostic de séropositivité VIH posé.

Ce programme est-il applicable en France ? Il devrait l'être et le sera. En effet, actuellement, l'immense majorité des personnes infectées par le VIH et prises en charge médicalement est en route pour un traitement antirétroviral à vie (trithérapie). Il faut rappeler que l'on en est arrivé à systématiser la trithérapie du fait des échecs de la monothérapie (un produit) et de la bithérapie (deux produits) : le ou plutôt les virus (cas fréquent) de la personne infectée échappaient au traitement du fait de leur adaptabilité, mais cela devient très rare avec trois produits différents.

En France, nous totalisons 21 cas de rémission (sommeil) prolongée de l'infection par le VIH, parmi lesquels la jeune-femme de 18 ans traitée de la naissance à 6 ans et dont le traitement a ensuite été cessé délibérément par les parents. Ces 21 personnes ne prennent plus de traitement et leur système immunitaire parvient à contrôler le virus VIH qui reste à l'état de latence dans les cellules infectées (qui sont pourtant nombreuses). Or, ces cas de rémission ont pu être obtenus grâce à une prise en charge thérapeutique très précoce (dès la naissance pour un nouveau-né, au plus tôt après la séroconversion pour un adulte).

Les deux freins au bon fonctionnement d'un tel programme en France sont, d'une part, l'absence de réflexe de se faire dépister dès le moindre doute fondé quand à une contamination, et d'autre part, les fonds nécessaires au financement des traitements et du suivi des personnes. Il faut préciser que l'on estime qu'environ 20 % des séropositifs VIH en France ignorent leur infection.

En quoi est-ce une avancée ? 

Cette évolution dans la prise en charge des personnes infectées par le VIH permet d'espérer des progrès décisifs sur plusieurs plans. Sur le plan de la santé individuelle, plus tôt on traitera les nouveaux infectés et plus on devrait obtenir de rémissions. Une rémission signifie que l'état de santé n'est plus du tout affecté par l'infection à VIH, c'est comme si elle avait disparu (ce qui n'est pas le cas). De surcroît, il n'y a plus de médicaments antiviraux à prendre, ce qui constitue un très sérieux avantage : plus de contraintes de prises et surtout plus d'effets secondaires qui restent, malgré les importants progrès réalisés, non négligeables. Sur le plan de la santé publique, cela devrait entraîner une réduction de l'incidence (nombre de nouveaux cas), en raison de la quasi non contagiosité des personnes traitées. Sur le plan financier, enfin, l'augmentation du nombre de rémissions (arrêt du traitement) et la diminution de l'incidence de l'infection se traduiront par une stabilisation puis, il y a lieu de l'espérer, une diminution des dépenses de santé pour le VIH.

Ainsi, alors que l'on a tant de difficultés à mettre au point un vaccin anti-VIH pour les raisons que l'on a vues (le virus affaiblit l'immunité, or c'est par cette immunité que passe l'efficacité d'un vaccin ; le virus est très variable génétiquement, le vaccin ne pouvant pas suivre ces variations), c'est peut-être par la trithérapie systématique et très précoce des nouveaux infectés par le VIH que pourra s'effectuer le contrôle de cette pandémie terrible et tellement dévastatrice.


Pour les patients concernés, quelle est la différence pratique entre guérison et rémission ? Le risque résiduel est-il purement théorique ?

Prenons l'exemple de la grippe. C'est une infection virale aiguë due à un virus à ARN (à part les rétrovirus comme les VIH-1 et VIH-2, le génome des virus à ARN ne peut pas s'intégrer au génome ADN de nos cellules). Dans le cas habituel, on développe une infection qui guérit en une semaine. Quand on est guéri de la grippe, le virus a en principe disparu de notre corps. C'est une guérison vraie. Parfois, avant la guérison, alors que l'on va déjà mieux, il peut se produire une rechute.

Prenons l'exemple de l'herpès buccal. C'est une infection virale due à un virus à ADN. Le premier contact dans la vie avec le virus de l'herpès buccal est appelé primo-infection herpétique. Elle survient chez le jeune enfant en général et se traduit par une stomatite (inflammation de la bouche) aiguë vésiculeuse, fébrile, douloureuse et invalidante (difficultés à s'alimenter). Cette stomatite herpétique guérit, seule ou aidée par un traitement antiviral, et tout rentre dans l'ordre. C'est comme si le virus avait disparu de notre corps. Mais il n'en est rien. S'agissant d'un virus à ADN, il peut, à l'instar de l'ADN avec lequel se déguisent les rétrovirus, s'intégrer au génome de nos cellules. C'est justement le cas et nous gardons cette empreinte virale dans certaines de nos cellules nerveuses. Puis, tout au long de notre vie, lorsque nous avons un état de fatigue, nos menstruations, une infection bactérienne, un choc quelconque, nous pouvons développer un bouquet d'herpès à la limite entre nos lèvres et notre peau : c'est l'herpès récurrent, on appelle ce phénomène une récurrence virale. Avec d'autres microorganismes, comme la gale, on peut guérir de l'infection ("infestation"), puis présenter une récidive liée à une nouvelle contamination. Il y a aussi des récidives d'infection cutanée à streptocoque, à staphylocoque, d'infection urinaire à colibacille, etc. Avec la récurrence, il n'y a pas de nouvelle contamination (le virus reste caché en nous), alors qu'avec la récidive, il y a en principe une nouvelle contamination.

On voit, à travers ces termes que sont la rechute, la récurrence et la récidive, que la notion de guérison est une notion ambiguë. On guérit de la grippe comme de la rougeole, c'est un fait. Mais guérit-on de la primo-infection herpétique, sachant que le virus reste caché ? Pourtant, on a l'habitude de parler dans ce cas de guérison, car la stomatite vésiculeuse ne réapparaît plus.

Mais avec le virus VIH, c'est très différent. C'est une infection lente, longtemps ou très longtemps silencieuse. Une personne séropositive VIH asymptomatique (état de santé non affecté par cette infection) est malade sans l'être : elle est infectée, mais n'en souffre pas. Elle a une charge virale plus ou moins importante. Une personne séropositive VIH asymptomatique qui est traitée dès le début de sa séropositivité - et dont la charge virale devient négligeable sous traitement et le reste après traitement - est en bonne santé. Elle est en rémission, cette rémission peut se prolonger des années et des années, mais le virus reste là, comme une épée de Damoclès. On sait qu'il peut, en théorie, se réactiver et donner lieu à un sida. Du reste, c'est arrivé à l'une des personnes que l'on avait considérées, à juste titre, comme en rémission. Ce n'est donc pas une guérison. Le risque résiduel de voir reprendre l'infection à VIH est très faible, mais il n'est pas virtuel. On ne peut pas le chiffrer à l'heure actuelle, en raison du trop faible nombre de personnes concernées.

Au regard de ces dernières avancées, une éradication de la maladie est elle envisageable ? D'un point de vue mondial ?

La première chose que l'on peut espérer est un contrôle de la pandémie mondiale. C'est-à-dire une stabilisation (ce qui est proche d'être obtenu aujourd'hui), puis une diminution de l'incidence. Lorsque l'incidence mondiale aura amorcé une régression régulière d'année en année, on pourra affirmer que la pandémie est en bonne voie de contrôle. Mais attention : ce virus est diabolique, nous l'avons vu, et le moindre relâchement dans la prévention, le dépistage, le traitement et la surveillance peut être fatal.

Espérer une éradication suppose de passer à une vitesse supérieure de la lutte contre la maladie. En effet, tant qu'il y aura beaucoup de personnes séropositives VIH non connues comme telles et partant ni traitées ni suivies, il sera impossible d'évincer la maladie. Et, alors que l'état d'esprit vis-à-vis de cette infection a beaucoup progressé – ce n'est plus la maladie honteuse et mortelle qu'elle était dans les années 80 -, alors que de plus en plus de personnes se sachant exposées sexuellement sont prêtes à se faire dépister, alors que l'on sait, comme on l'a vu, qu'une prise en charge thérapeutique très précoce après la séroconversion est très efficace, ce sont les moyens financiers qui risquent de manquer. Sans vouloir apporter une note de pessimisme, il est tentant de citer le Professeur émérite Marc GENTILINI qui s'exprimait ainsi à la fin des années 80 : "L'humanité ne mourra probablement pas du sida, mais on ne peut exclure l'éventualité qu'elle meure de son coût". Ceci reviendrait à une sorte de victoire à la Pyrrhus : un monde ruiné, mais ayant éradiqué le virus VIH. Mais non, nous refusons ce scénario. Nous devrions parvenir un jour à triompher de l'infection à VIH et probablement à l'éradiquer. Mais quand ? Et comment ? Il est possible que ce soit grâce à ce nouveau mode de prise en charge précoce et systématique, le vaccin ayant tant de mal à voir le jour.

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