Les guerres hybrides de Vladimir Poutine pour déstabiliser l’Occident et affaiblir l’OTAN<!-- --> | Atlantico.fr
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L’ouvrage « Le Livre noir de Vladimir Poutine » est publié sous la direction de Galia Ackerman et de Stéphane Courtois aux éditions Perrin et Robert Laffont.
L’ouvrage « Le Livre noir de Vladimir Poutine » est publié sous la direction de Galia Ackerman et de Stéphane Courtois aux éditions Perrin et Robert Laffont.
©ALEXANDER ZEMLIANICHENKO / POOL / AFP

Bonnes feuilles

L’ouvrage « Le Livre noir de Vladimir Poutine » est publié sous la direction de Galia Ackerman et de Stéphane Courtois aux éditions Perrin et Robert Laffont. Le 24 février 2022, en lançant son armée contre l'Ukraine, Vladimir Poutine a pris une décision qui bouleverse l'équilibre politique et économique mondial, et qui aura de tragiques répercussions sur la société russe comme sur l'image du pays. Extrait 2/2.

Nicolas Tenzer

Nicolas Tenzer, enseignant à Sciences Po, président du Centre d'étude et de réflexion pour l'Action politique (CERAP), senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA), bloggeur de politique internationale sur Tenzer Strategics.

 

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La guerre de Poutine contre les principes que l’Occident est censé incarner – la liberté, les droits de l’être humain et l’État de droit – est devenue progressivement une guerre tous azimuts et, dans certains pays, en particulier l’Ukraine, une guerre totale. Celle-ci a gagné à la fois en étendue dans la mesure où elle concerne, à des degrés divers, tous les continents, et en profondeur de champ, puisqu’elle joue sur une palette diversifiée d’éléments, de la corruption systémique à la guerre ouverte, des cyberattaques à la guerre de l’information, de l’attentat de type terroriste à la pénétration des milieux de pouvoir et cercles intellectuels, sans parler de l’utilisation de l’arme énergétique ou de celle de la famine. On peut, certes, percevoir dans cette guerre multiforme la continuation des pratiques de l’ancien KGB, mais avec trois différences – ou « améliorations » – de taille : d’une part, une amplification de ses effets à l’heure de l’Internet ; d’autre part, une idéologie de destruction, assurément moins visible et donc plus intrusive, qui s’inscrit dans la continuité de l’idéologie communiste de destruction de l’Occident démocratique et prospère ; enfin, une importance accrue de la corruption qui remplace avantageusement les affinités idéologiques du côté des relais du régime en Occident.

Les termes « guerres hybrides » ou « menaces hybrides » sont souvent utilisés pour désigner le caractère multidimensionnel de la guerre du Kremlin. Le terme « hybride » n’est pas en lui-même erroné, mais son usage doit conduire à nous prémunir contre deux risques symétriques. Le premier est celui d’un oubli de la guerre « chaude », qui a tué et continue à tuer des centaines de milliers de personnes. Telle est la réalité contre laquelle les démocraties doivent réagir et agir. Le second risque consiste à minimiser certains actes de guerre de Poutine, notamment les actions d’influence, comme ne relevant pas précisément de la guerre – et donc à ne pas leur accorder suffisamment d’importance.

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Il ne faut pas, non plus, perdre de vue le point majeur, à savoir le résultat attendu par le Kremlin. Les actions qui ne relèvent pas de la guerre ouverte n’ont finalement d’autre objectif que de dissuader toute action des démocraties libérales devant les actes de guerre. C’est le but premier de la propagande, de l’achat d’agents d’influence et des menaces, notamment d’une apocalypse nucléaire. Poutine n’a jusqu’à présent pas trop mal réussi : depuis vingt-trois ans et le début de la seconde guerre de Tchétchénie, il a gagné toutes ses guerres faute de réponse significative des pays libres, au moins jusqu’en 2022.

La grammaire du crime

Ces guerres peuvent difficilement être caractérisées comme des guerres conventionnelles, même si elles eurent aussi cette dimension, y compris de guerres de tranchées, ainsi que l’a rappelé Loup Bureau dans son film Tranchées portant sur la guerre contre l’Ukraine à partir de 2014. Toutes eurent pour élément essentiel la terreur de masse à l’encontre des populations civiles et se sont traduites par des crimes de guerre sur lesquels avaient enquêté notamment Anna Politkovskaïa, Natalia Estemirova, Stanislas Markelov et Boris Nemtsov, tous assassinés. Leur caractère systématique et délibéré permet de conclure à l’existence de crimes contre l’humanité perpétrés par le régime.

Cela fut vrai aussi de la guerre en Géorgie, fût-ce à moindre échelle, comme l’a jugé la Cour européenne des droits de l’homme dans un arrêt du 21 janvier 2021, même si elle ne s’est pas reconnu une juridiction pleine et entière sur toutes les dimensions de cette agression russe d’août 2008. Le caractère systématique de ces crimes fut encore plus marqué en Syrie où les forces de Poutine ont, à elles seules, à côté du régime de Bachar al-Assad et de l’Iran, assassiné plus de civils syriens que Daech lui-même. Elles ont de manière systématique et délibérée visé les hôpitaux, les centres de soins, les marchés et les écoles ainsi que les secouristes, en particulier les Casques blancs. En Ukraine, depuis 2014, et à une échelle encore plus massive depuis le 24 février 2022, elles ont une fois encore ciblé les civils, les immeubles d’habitation et aussi les hôpitaux. Les assassinats de civils désarmés ont été la règle : rien qu’à Marioupol, on estime que le nombre de tués, directement ou indirectement faute de soins, de nourriture et d’eau, pourrait avoisiner les 50 000. Dans les territoires occupés du Donbass et de Crimée, ou encore dans la région de Kherson, les disparitions forcées et les tortures sont une pratique courante, notamment en Crimée à l’encontre de la minorité tatare – rappelant la déportation massive de celle-ci à l’époque de Staline. Il convient d’y ajouter les atrocités commises par les milices privées du groupe Wagner, liées de fait à l’État russe, en Syrie, dans plusieurs pays d’Afrique et désormais en Ukraine, ainsi que par des combattants tchétchènes envoyés par le potentat de Tchétchénie, Ramzan Kadyrov.

Cette longue litanie de crimes relève de quatre catégories légalement définies : crime de guerre, crime contre l’humanité, crime de génocide et crime d’agression, également connu comme crime contre la paix. Chacun de ces crimes est imprescriptible, sans qu’il y ait d’ailleurs de hiérarchie formelle entre eux et dans leur punition, et, pour les trois premiers, passible de la Cour pénale internationale, le dernier pouvant relever d’un tribunal spécial. Les crimes de guerre commis dans tous les pays mentionnés sont considérés, sur le plan juridique, comme des crimes contre l’humanité dès lors que leur caractère systématique peut être établi, ce qui est le cas de manière indéniable en Tchétchénie, en Syrie et en Ukraine, en particulier depuis 2022. Le crime de génocide, qui oblige les États qui le constatent à une action de prévention, est aussi caractérisé lorsqu’il existe une intention de destruction d’un groupe particulier, national, religieux ou « ethnique ». La déportation d’enfants et la séparation de leurs parents sont également considérées comme un génocide par l’article II-e de la Convention sur la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948. Il peut être appliqué à la Russie de Poutine qui a « évacué » – en réalité déporté sur son territoire – environ 2 millions d’Ukrainiens, dont plus de 300 000 mineurs.

Enfin, le crime contre la paix ou crime d’agression, tel que défini par le tribunal de Nuremberg, est manifeste en Ukraine et encore plus visible depuis 2022. Ce crime est celui qui englobe tous les autres et il permet d’incriminer en tant que tels les dirigeants russes sans qu’il soit besoin d’établir la chaîne précise de commandement pour un crime en particulier. Dès le 16 mars 2022, la Cour internationale de justice a exigé que la Russie cesse son agression, et des procédures, lancées par l’Ukraine, et soutenues par la plupart des pays occidentaux, pourraient aboutir à une incrimination des dirigeants russes. Or, il ne suffit pas seulement de constater ces crimes, mais d’en comprendre le sens. En réalité, le crime est le message. Mais, en l’envoyant, Poutine se doutait que les dirigeants occidentaux ne voudraient pas le comprendre.

Ce qu’il a cherché à démontrer, face à un Occident qualifié de « lâche », « efféminé » et « gay », est qu’il réussirait à rendre effective sa prophétie autoréalisatrice. Le paroxysme de cette « démonstration » a été mené principalement en Syrie – sans doute davantage qu’en Tchétchénie qui avait bénéficié de moins de relais médiatiques, notamment par le truchement des réseaux sociaux qui n’existaient pas à l’époque. En Syrie, à partir de l’automne 2015, le régime russe a assassiné, en direct, des dizaines de milliers de civils, dont de très nombreux enfants. D’ailleurs, le ministre de la Défense français avait alors reconnu que les frappes russes visaient à plus de 90 % les opposants à Bachar al-Assad et pour moins de 10 % les terroristes de l’État islamique (Daech). Or, les dirigeants démocratiques n’ont pas mentionné ces crimes contre l’humanité et crimes de guerre ; ils ont même osé demander à Poutine de faire pression sur Bachar al-Assad pour qu’il fasse « preuve de retenue » – alors que le maître du Kremlin était lui-même l’ordonnateur des crimes les plus graves. Ils ont continué à entretenir avec lui des relations d’apparence cordiale et ont refusé de boycotter la Coupe du monde de football qui, en 2018, était organisée en Russie.

En somme, ces crimes, qui sont la nature même du régime, ont été sciemment évacués de la conscience universelle, ce qui est apparu comme une incitation donnée à Poutine à continuer et à surenchérir – ce qu’il fit en Ukraine. L’indifférence devant le crime peut être d’ailleurs considérée comme l’acte premier de la victoire de sa propagande.

(…)

L’OTAN est une sorte d’obsession fabriquée par le régime de Poutine et l’élément central d’une partie de sa propagande. Cela ne signifie certes pas qu’il considère l’organisation atlantiste comme une « vraie » menace, mais il a tout intérêt à faire semblant de la considérer comme telle, alors qu’au contraire tout semblait avoir bien commencé. En effet, la coopération entre la Russie et l’OTAN débuta dès 1994 avec le Partenariat pour la paix et elle fut consacrée par l’Acte fondateur cosigné par Boris Elstine le 27 mai 1997. Au début de son mandat, en 2000, Vladimir Poutine sembla adopter une attitude coopérative et, le 28 mai 2002, un Conseil OTAN-Russie fut même créé, sur fond de lutte antiterroriste en Afghanistan, tout en passant par pertes et profits les crimes de guerre russes en Tchétchénie. Or, si l’agression russe contre la Géorgie mit fin à l’existence de ce conseil, le discours de Munich, le 10 février 2007, du président russe qui présenta l’extension de l’OTAN comme une « provocation », parut vite oublié. Ainsi, la coopération se poursuivit-elle jusqu’à la guerre russe contre l’Ukraine de 2014 et, même après cette date, les canaux de communication restèrent toutefois ouverts.

Le discours russe repose sur trois fictions. La première est celle d’une promesse qui aurait été faite de ne pas élargir l’OTAN aux pays d’Europe centrale et orientale. Or, aucun document officiel ne vient étayer cette thèse. La deuxième est celle d’un encerclement de la Russie par l’OTAN : outre que cette organisation a toujours essayé, comme l’Union européenne, de tracer les voies d’une coopération avec la Russie, elle fut et reste d’abord une organisation défensive qui ne menace aucun État non agressif. La troisième fiction est celle d’une menace de l’OTAN par le biais de l’Ukraine, qui fut l’un des prétextes donnés à la nouvelle agression de 2022. Or, lors du sommet de Bucarest de 2008, l’Allemagne et la France avaient précisément bloqué l’octroi d’une feuille de route à Kiev (Membership Action Plan – MAP) et l’Ukraine était un pays neutre, en vertu du Mémorandum de Budapest de 1994, violé par la Russie en 2014.

La réalité est en fait l’envers de l’image présentée par le Kremlin. L’OTAN a toujours tendu la main à Moscou et une Russie coopérative et démocratique aurait sans doute fini par la rejoindre. L’Organisation atlantique, jusqu’à ces dernières années, a accepté tous les compromis possibles, au-delà sans doute du raisonnable : blocage de l’adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie en 2008, réaction mesurée après 2014 même si les documents prospectifs de l’OTAN identifiaient désormais la Russie comme la principale menace sur le sol européen, absence d’intervention directe après le 24 février 2022, précisément au nom de la distinction entre pays membres et non membres (l’Ukraine). Il a fallu la nouvelle guerre russe pour que la Suède et la Finlande décident de rejoindre l’OTAN, et à l’issue de celle-ci la candidature de l’Ukraine pourrait, voire devrait être sérieusement reconsidérée. Elle a au moins démontré son impérieuse nécessité.

Extrait de l’ouvrage « Le Livre noir de Vladimir Poutine », publié sous la direction de Galia Ackerman et de Stéphane Courtois aux éditions Perrin et Robert Laffont.

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