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Les Etats-Unis vont fournir des armes à sous-munitions à l'Ukraine.
Les Etats-Unis vont fournir des armes à sous-munitions à l'Ukraine.
©DR / Capture d'écran

Contre-offensive

Les Etats-Unis ont annoncé l'envoi d'armes à sous-munitions à l'Ukraine, afin de venir en aide à Kiev dans le cadre de la contre-offensive face à la Russie.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Les forces russes ont retardé la contre-offensive ukrainienne qui a été lancée au début juin  en déployant depuis des semaines de solides défenses qui s’appuient sur des champs de mines – dont des modèles antipersonnel – battus par les feux. 

Par ailleurs, Kiev commence à manquer des munitions d’artillerie qui sont indispensables lors de toute offensive.

En conséquence, les États-Unis ont décidé d'envoyer des obus de 155 mm à sous-munitions en Ukraine pour aider son armée à repousser les forces russes retranchées le long des lignes de front. 

L'Administration Biden a annoncé le 7 juin qu'elle en enverra des milliers dans le cadre d'un nouveau programme d'aide militaire d'une valeur de 800 millions de dollars, ce qui porte son assistance à plus de 41 milliards de dollars depuis le début du conflit en février 2022. 

Le président Joe Biden sur CNN a déclaré : « cela a été une décision très difficile pour moi ». Il a précisé en avoir discuté au préalable avec les pays alliés et le Congrès américain. 

Jake Sullivan, le conseiller à la Sécurité nationale, a surenchéri en disant que le président Biden avait pris sa décision après une « recommandation unanime » de son Administration. De plus, Kiev aurait fourni des garanties écrites sur l'usage que ses forces feraient de ces armes afin de minimiser « les risques posés aux civils ». 

Nombre de pays ont interdit l'utilisation et la production de ce type de munition dans le cadre de la Convention d'Oslo de 2008. 

Carte montrant les pays où la Convention sur les armes à sous-munitions est entrée en vigueur (en violet), ainsi que ceux qui ont signé, mais pas ratifié (en bleu) ou adhéré (en rose) à l'accord. Les USA, la Russie, l’Ukraine, la Chine, l’Inde, le Pakistan, Israël, l’Arabie saoudite, le Maghreb (sauf la Tunisie), etc. ne l’on pas signé. Source : AndrewRT via Wikimedia. 

Qu'est-ce qu'une arme à sous-munitions ? 

Une arme à sous-munitions est une bombe, une roquette ou un obus qui s'ouvre dans les airs et libère des grenades (parfois appelées « bombelettes ») sur une vaste étendue. 

Ces armes sont conçues pour neutraliser des véhicules ou des personnels à pied en atteignant plusieurs cibles à la fois. 

Les obus à sous-munitions sont tirés par les mêmes armes d'artillerie que les États-Unis et leurs alliés ont déjà fournies à l'Ukraine pour la guerre - comme des obusiers-.

Les sous-munitions « DPICM » (Dual-Purpose Improved Conventional Munitions) englobent divers types d'obus d'artillerie et de roquettes chargés de plusieurs types de sous-munitions qui sont tous conçus pour fonctionner à peu près de la même manière. 

L'essentiel de la production des munitions chargées DPICM a eu lieu entre les années 1970 et 1990 ce qui voudrait dire que les munitions américaines ont plus de trente ans...

Ces sous munitions pouvaient être emportées dans des obus de 105 mm, 155 mm et 203 mm, ainsi que des roquettes d'artillerie de 227 mm pouvant être tirées à partir des lanceurs M270 Multiple Launch Rocket System (MLRS) et M142 High Mobility Artillery Rocket System (HIMARS). Ces deux systèmes sont en service dans l’armée ukrainienne et la question se pose concernant la fourniture éventuelle de roquettes à sous-munitions. 

Le DPICM a évolué à partir de la série antérieure d'armes à sous-munitions améliorées (ICM). Le «double usage» vient du fait que les sous-munitions DPICM, que l'armée américaine appelle des «grenades», sont conçues pour être au moins efficaces contre les véhicules blindés ainsi que contre des cibles plus molles comme les véhicules classiques et les forces débarquées. 

Bien qu'il existe plusieurs types de sous-munitions DPICM, elles sont toutes conçues de la même manière de base, avec une charge creuse destinée à percer le blindage entourée d'un boîtier fonctionnant comme une grenade défensive envoyant des shrapnels aux alentours. 

Le problème est que dans les conflits précédents et actuels (Vietnam, Afghanistan, Yémen, Liban, etc.), les armes à sous-munitions ont eu un taux de « ratés » élevé, ce qui signifie que des milliers de grenades non explosées sont restées sur place et ont tué ou mutilé des personnes bien des mois ou des années après. Les Américains reconnaissent jusqu’à 20% de grenades non explosées mais dans des cas très spécifiques qui freinent les sous-munitions (relativement stabilisées par un ruban de queue) dans leur chute : forte végétation, marais, etc. 

Les États-Unis ont utilisé pour la dernière fois au combat ce type de munitions en 2003 en Irak. Ils ont arrêté de le faire quand les opérations se sont déplacées vers des environnements urbains aux des populations civiles plus denses. 

Le brigadier général Patrick S. Ryder, porte-parole du Pentagone, a déclaré que le ministère de la Défense disposait de « plusieurs variantes » des munitions et que « celles que nous envisageons de fournir n'incluraient pas les modèles plus anciens avec des taux de non explosion supérieurs à 2,35 % ». Sur une munition qui comporte 600 grenades, environ 14 n’explosent pas à l’impact. 

Pourquoi les fournir maintenant ? 

Pendant plus d'un an, les États-Unis ont puisé dans leurs propres stocks de munitions de 155 mm et envoyé plus de 2 millions d’obus en Ukraine. Les alliés du monde entier en ont fourni des centaines de milliers d'autres. 

Un obus de 155 mm standard peut atteindre des cibles à des distances allant de 24 à 32 kilomètres, ce qui en fait une munition de choix pour les troupes terrestres ukrainiennes qui tentent d’atteindre des objectifs loin à l’intérieur des lignes ennemies. 

L’arme à sous-munitions est une option intéressante car elle peut détruire plus de cibles avec moins d’obus et comme les États-Unis ne les ont plus utilisées depuis 2003, ils en ont de grandes quantités en stock. Les Républicains ont fait état de plus de trois millions d’armes de ce type. 

Ryan Brobst, analyste de recherche pour la Fondation pour la défense des démocraties (National Endowment for Democracy - NED) a affirmé que :« les armes à sous-munitions sont plus efficaces que les obus d'artillerie classiques car elles infligent des dégâts sur une zone plus large […] C'est important pour l'Ukraine alors qu'elle essaie de nettoyer les positions russes fortement fortifiées […] Exploiter les stocks américains d'armes à sous-munitions pourrait remédier à la pénurie d'obus de l'Ukraine et atténuer la pression sur les stocks de 155 mm aux États-Unis et ailleurs ».

Comparaison entre les effets d'un obus d'artillerie à sous-munitions (à gauche), un hautement explosif avec une fusée à impact (au centre) et avec une fusée à explosion en altitude (à droite). 

En outre, depuis que la Russie a lancé son invasion en 2022, il est clair que les forces ukrainiennes ont régulièrement la possibilité de frapper de grandes concentrations ennemies. Encore une fois, il faudrait un plus grand volume d’obus classiques et plus de temps pour saturer une zone de même superficie. 

Un argument en faveur de la délivrance de telles munitions à l'Ukraine est que ce sont ses gouvernants légitimes qui choisiraient de les utiliser sur son propre territoire. Ils acceptent les risques de le faire et n'imposent pas leurs effets à long terme sur un autre État. 

Il convient également de noter que l'armée américaine a déjà fourni des obus d'artillerie à sous-munitions chargés de mines antichar dispersables qui présentent également une menace pour d'autres types de véhicules. On ne sait pas pourquoi les obus RAAM (Remote Anti-Armor Mine) de 155 mm n'ont pas suscité le même type de débat politique. 

Quelle est leur légalité ? 

L'utilisation de bombes sous-munitions en elle-même ne viole pas le droit international, mais leur utilisation contre des civils peut constituer un crime de guerre. 

Comme dans toute frappe, il convient de vérifier si la cible est légitime et tout faire pour éviter les pertes civiles. 

Le directeur adjoint des armements de Human Rights Watch, Mark Hiznaya, déclaré à l'Associated Press : « cependant, la partie du droit international où cela commence à jouer (un rôle), ce sont les attaques aveugles visant des civils […] donc, ce n'est pas nécessairement lié aux armes, mais à la façon dont les armes sont utilisées ». 

Il n’existe pas d’arme miracle capable à elle seule d’inverser le sens de la guerre à l’exception des bombes atomiques américaines lors du second conflit mondial. Cela dit, les obus et autres roquettes à sous-munitions peuvent effectivement aider l’armée ukrainienne de manière notable, que ce soit en phase offensive comme c’est le cas actuellement, ou défensive si les Russes tentaient de reprendre l’initiative. 

En réalité, elles vont aider à stabiliser le front ce qui obligera les parties à adopter une solution à la « coréenne » : pas d’accord de paix mais une ligne de démarcation depuis 1953…

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