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Les Eglises ont-elles abandonnés les "petits blancs" ?
©Reuters

Bonnes feuilles

Pierre Jova publie aux éditions Tallandier "Les chrétiens face aux migrant". La question des migrants est aujourd’hui une des plus polémiques qui soit, à la fois dans l’ensemble de notre société marquée par une forte insécurité culturelle, mais aussi au sein du christianisme où, malgré l’engagement des différents papes et les injonctions bibliques, elle reste âprement débattue. Extrait 1/2.

Pierre Jova

Pierre Jova

Diplômé de l’IEP Paris, Pierre Jova est journaliste au Figaro puis au service politique et international du magazine Famille Chrétienne.

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Aux yeux de certains catholiques conservateurs inquiets des migrants, les gilets jaunes validaient une de leurs obsessions : si l’Église a perdu le petit peuple « blanc », c’est à cause de son positionnement sur l’immigration. Oubliées, les causes complexes de la sécularisation ! Pour eux, les choses étaient plus simples. « Les compromissions de nombre d’évêques avec l’idéologie immigrationniste sont probablement responsables de bon nombre d’abandons de la foi chez les Européens », écrivait sur Twitter un certain « Hérisson Dissident », en juin 2018. S’il l’exprime de manière plus élégante, Laurent Dandrieu pense la même chose. « À cette population européenne qui, au lieu du nectar hédoniste espéré, n’a plus qu’un goût de cendres dans la bouche, l’Église, au lieu du calice de la vie éternelle, n’offre que la coupe amère du suicide collectif », affirme le journaliste de Valeurs actuelles à la fin de son essai Église et immigration. Le grand malaise, en concluant « comment le catholicisme se coupe des populations européennes ». En avril 2018, dans les colonnes de son hebdomadaire, il avait également accusé l’Église catholique d’être « sourde » aux « souffrances de cette France périphérique qui est bien placée pour ne pas partager cette vision idyllique de l’immigration ».

Écartons d’emblée la thèse selon laquelle le catholicisme se couperait des populations européennes, hardie à vérifier car il est déjà minoritaire sur une partie du continent où les Églises traditionnelles sont réformées (Suisse, Hongrie), anglicane (Grande-Bretagne), luthériennes (Scandinavie) ou orthodoxes (Bulgarie, Grèce, Serbie, Roumanie). Mais discutons de cette hypothèse sur le terrain français. Le discours migratoire de l’Église catholique est-il un frein à l’évangélisation de la France périphérique ? A-t-elle abandonné les « petits Blancs » de ces territoires ?

Pour avoir une approche incarnée de cette question, il me fallait aller à la rencontre de convertis au catholicisme ayant tous en commun d’être issus de milieux dits populaires, en contact avec les conséquences de l’immigration. Commençons par Claude, 25  ans, attablé dans un excellent restaurant arménien de Paris. « Je descends d’Arméniens fuyant le génocide turc, et d’Italiens immigrés dans la Meuse. » Né à Créteil (Val-de-Marne), il n’a jamais quitté cette ville, sauf pour une année Erasmus en Grande-Bretagne. Cet élève brillant a bénéficié de la convention ZEP de Sciences Po Paris et travaille aujourd’hui dans un cabinet de conseil.

« À l’âge de sept ans, on m’a traité pour la première fois de “sale Français” », confie Claude, dont la scolarité est marquée par la Seconde Intifada, les attentats du 11 septembre 2001 et le débat sur le voile à l’école, en 2004. « Tous les enfants parlaient de ça, j’ai ressenti une césure. Il y avait de moins en moins d’élèves juifs. Persécuté comme “Blanc”, je me suis construit contre le rap, les sweat à capuche, la culture urbaine », raconte celui qui fut brièvement « jeune correspondant » du quotidien communiste L’Humanité.

Issu d’un milieu déchristianisé, le jeune homme a été baptisé dans l’Église catholique, à Pâques 2017. « J’ai toujours vécu avec des gens qui croyaient en quelque chose. Mes camarades allaient à la mosquée pendant les récréations. De l’autre côté, les profs ânonnaient “laïcité, laïcité…” Mais ça ne remplissait pas l’existence ! Tu n’opposes pas le vide au plein ! » Son goût pour la beauté des églises le met lentement sur la voie. Ce n’est qu’en participant à La Manif Pour Tous, en 2013, que Claude rencontre des catholiques : « Jusqu’alors, je n’en connaissais aucun ! » avoue-t-il. Deux ans plus tard, il se jette à l’eau, en fréquentant l’église Saint-Eugène, une paroisse parisienne qui draine une population majoritairement traditionaliste. « Avec la liturgie, ce milieu me convenait dans sa coloration politique, notamment sur l’immigration. Mes oreilles chauffent moins chez eux ! »

Claude s’explique : « Là où certains voient le multiculturalisme comme une chance, j’ai vu à Créteil le désordre, la tristesse et l’inquiétude pour l’avenir. Le discours de l’Église ne m’a pas empêché de devenir chrétien. Mais cela ne m’a pas encouragé non plus. D’ailleurs, je n’attends pas de l’Église qu’elle me dise ce que je veux entendre : je n’adhère pas à un programme politique, et je suis prêt à ce qu’on m’explique ! » Toutefois, il a le sentiment que l’Église ne s’intéresse pas à la fameuse « France périphérique ». « Je pense qu’elle a pourtant soif de spiritualité. Il suffirait de pas grand-chose : ma tante, agnostique, a fini par mettre un crucifix sur sa porte parce que ses voisins sont musulmans ! » Sa conversion l’a cependant rendu moins sensible au discours identitaire sur les « racines chrétiennes ». « Plus j’essaie de mener ma vie en chrétien, plus je me dis que les racines ne suffisent pas. Il faut un arbre ! Et l’arroser ! » Son regard sur l’étranger, même s’il reste difficile, a également changé. « La foi m’a aidé à ne plus voir dans les immigrés des masses indistinctes. J’ai fini par voir des visages. Je perçois toujours autant de problèmes. Mais je suis devenu moins hargneux, et moins agressif. »

Extrait du livre de Pierre Jova, "Les chrétiens face aux migrant", publié aux éditions Tallandier.

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