Les deux droites (et le vrai critère qui les sépare)<!-- --> | Atlantico.fr
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Olivier Marleix, le nouveau président du groupe parlementaire du parti Les Républicains pose avec des députés LR à l'Assemblée nationale française, à Paris, le 22 juin 2022.
Olivier Marleix, le nouveau président du groupe parlementaire du parti Les Républicains pose avec des députés LR à l'Assemblée nationale française, à Paris, le 22 juin 2022.
©ALAIN JOCARD / AFP

Opposition ferme ou constructive

Alors que les tribunes et prises de position se multiplient appelant soit les LR à s’allier avec Emmanuel Macron au nom d’une convergence de vues, soit à tenir une ligne d’opposition ferme au nom de divergences profondes, ce qui les différencie n’a en réalité que très peu à voir avec un positionnement plus ou moins éloigné du centre.

Jérôme Besnard

Jérôme Besnard

Jérôme Besnard est journaliste, essayiste (La droite imaginaire, 2018) et chargé d’enseignements en droit constitutionnel à l’Université de Paris.

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William Thay

William Thay

William Thay est président du Millénaire, think tank gaulliste spécialisé en politiques publiques. 

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Atlantico : Alors que les tribunes et prises de position se multiplient appelant soit les LR à s’allier avec Emmanuel Macron au nom d’une convergence de vues, soit à tenir une ligne d’opposition ferme au nom de divergences profondes. La droite est-elle séparée entre un pôle calé sur la gestion technique, pragmatique avec des relais au sein de l'État, une autre plus politique, plus ancrée sur des valeurs et sur une philosophie de l’action qui ne ramène pas tout à la « réforme » ? Est-ce la preuve que la droite a une idéologie propre sans qu’elle soit ramenée au centre ?

Jérôme Besnard : Il existe deux logiques différentes à droite qui procèdent de la fin du cumul des mandats. Les villes, les départements et les régions se gagnent et se gèrent au centre droit. Les groupes parlementaires, eux, sont composés d’élus chevronnés, aux positions politiques plus affirmées qui ont été élus sur leur bilan local mais aussi sur leurs positions nationales très fermes vis-à-vis du gouvernement et de sa politique .

William Thay : La droite a toujours été diverse, il suffit de remonter aux trois droites de René Rémond qui séparait les orléanistes, les bonapartistes et les légitimistes. Aujourd’hui, on pourrait classifier la droite en trois catégories : les libéraux séduits par Emmanuel Macron, les gaullistes qui restent du côté de LR avec une tendance forte à l’opposition au macronisme, et les conservateurs qui sont séduits par Marine Le Pen et Éric Zemmour. La création de l’UMP en 2002 a conduit à la fusion de ces trois courants dans un même parti politique, mais cela tenait principalement au fait que la synthèse entre les libéraux et les conservateurs se faisaient sous l’égide d’un chef gaullo-bonapartiste. Pourtant, à l’heure actuel, vous n’avez pas de chef gaullo-bonapartiste pour faire tenir l’ensemble, d’autant plus que les libéraux sont séduits par Emmanuel Macron et que les conservateurs sont proches des idées de Marine Le Pen et d’Éric Zemmour. Cette situation explique que le parti soit divisé entre ceux qui souhaitent travailler avec Emmanuel Macron et ceux qui veulent s’opposer très fermement à lui.

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Pour revenir à la séparation que vous effectuez entre la droite technocratique et la droite des valeurs, il s’agit du clivage entre les libéraux autrefois orléanistes et les conservateurs autrefois légitimistes. Vous retrouvez entre les deux courants un clivage sur la doctrine idéologique mais également sur l’origine sociologique des cadres. Les libéraux plaident pour une adaptation de la France à la mondialisation et également à la construction renforcée de l’Union européenne. Cela conduit naturellement à avoir une gestion technique sur une doctrine similaire aux hauts-fonctionnaires qui conduisent ce type de réforme, s’ils ne possèdent pas également le même profil. De l’autre côté, les conservateurs plaident pour la sauvegarde de la civilisation française pour qu’elle ne soit pas diluer dans la mondialisation, la construction européenne et les dérives du progressisme. Ce type de position éloigne les conservateurs du centre sur le plan doctrinal, et notamment d’Emmanuel Macron qui a pris des positions en ce sens. Enfin, vous avez les gaullistes qui placent la grandeur de la France, l’autorité de l’État au centre de leur doctrine. Pour autant, cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de « technos » parmi les conservateurs ou les « gaullistes », c’est davantage une question de cohérence entre le profil et les idées de chacun des courants.

Le défi de la droite est d’imaginer un avenir post-UMP en comprenant la révolution politique menée par Emmanuel Macron en 2017. Faut-il fonctionner sous la synthèse de l’UMP consistant à réunir les libéraux et les conservateurs sous l’égide d’un chef gaulliste ? Dans cette hypothèse, comment faire revenir les libéraux face à Emmanuel Macron et éventuellement Edouard Philippe ensuite ? Ou faut-il imaginer quelque chose, sur le modèle de Donald Trump et Boris Johnson qui ont construit une nouvelle offre politique face à des démocrates qui ont capté les libéraux et le centre ? Il s’agit de questions essentielles que doit se poser les Républicains pour assurer leur survie.

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Ce clivage entre une droite techno et politique s’ancre-t-il depuis longtemps à droite ? Des tempéraments et personnalités se dégagent-ils pour ces camps ?

Jérôme Besnard : Ce clivage n’est probablement pas aussi affirmé que cela. Regardez Laurent Wauquiez : il gère la région Rhône-Alpes-Auvergne avec la même détermination qu’il avait adoptée lors de son élection à la présidence du parti LR. Après il est sûr que des maires comme Christophe Béchu, Caroline Cayeux (qui viennent d’entrer au gouvernement), Arnaud Robinet ou Édouard Philippe) assument de soutenir le gouvernement au nom d’un pragmatisme qui correspond à leur électorat. La situation est plus compliquée pour Christian Estrosi à Nice, qui marque le pas face à son rival local Éric Ciotti. Du côté du parlement on observe aussi en milieu rural les excellents scores de parlementaires LR aux convictions affirmées, comme Marc Le Fur, Philippe Gosselin, Olivier Marleix ou Thibault Bazin.

William Thay : Vous avez plusieurs temps de cette séparation entre une droite libérale, orléaniste et technique contre une droite gaulliste, souverainiste. Tout d’abord, avant la création de l’UMP en 2002, vous aviez une séparation entre d’un côté l’UDF giscardienne et le RPR gaulliste de Jacques Chirac. Ces deux partis pourtant alliés dans des coalitions gouvernementales retranscrivent le clivage que vous indiquez entre une droite techno qui était plutôt la droite giscardienne et la droite politique qui était plutôt la droite gaulliste. C’est aussi pour reprendre la classification de René Rémond, la différence entre la droite orléaniste et la droite bonapartiste.

Ensuite, ce n’est pas pour autant que la droite gaulliste n’avait pas ce même clivage au sein même du RPR. Nous avons retrouvé ce clivage sur deux questions : économique et européennes dans les années 80 et 90. Sur la question européenne, le RPR s’est coupé en deux lors du référendum de Maastricht en 1992 pour la création de l’euro et la bataille d’un côté avec Jacques Chirac, Alain Juppé et Edouard Balladur contre Philippe Séguin et Charles Pasqua de l’autre. Le premier camp partisan de Maastricht était favorable à la construction européenne et de l’euro tandis que le second y voyait la fin de la souveraineté française et une trahison de l’idéal gaulliste. Sur la question économique, la bataille s’est jouée lors de l’élection présidentielle de 1995 entre d’un côté Edouard Balladur, partisan de l’adaptation de la France à la mondialisation avec un programme de redressement de l’économie et des comptes publics et de l’autre côté Jacques Chirac qui a repris les thèmes de Philippe Séguin sur la fracture sociale.

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Ainsi, la bataille entre ces deux droites peut être symbolisée par la bataille entre Alain Juppé et Philippe Séguin. Si les idées de Philippe Séguin l’ont gagné lors de l’élection présidentielle de 1995, c’est pourtant la droite d’Alain Juppé qui s’est imposée. D’abord à Matignon en 1995 pour faire du Balladur en moins bien, puis dans la création de l’UMP en 2002. Ainsi à ce moment c’est la droite libérale, orléaniste et technocratique qui a battu la droite gaulliste, populaire avant que Nicolas Sarkozy renverse le paradigme en 2007. Vous retrouvez souvent d’un côté, une droite libérale et orléaniste qui jure par la technique et de l’autre côté, une droite gaullo-bonapartiste qui jure par la politique. Le premier va davantage miser sur l’expertise, la rationalité du programme tandis que le second sur le côté populaire et charismatique.

Quelles seraient les forces et les faiblesses de ces deux droites ?

Jérôme Besnard : La force des maires, c’est leur ancrage local. Leur faiblesse c’est la situation complexe des finances publiques locales, puisque le gouvernement annonce des coupes drastiques alors que les dépenses de fonctionnement subissent l’inflation et la hausse du prix des matières premières. Investir est devenu très difficile pour les collectivités territoriales. Au niveau des parlementaires, la donne est différente : le groupe LR de l’Assemblée nationale recèle de vrais talentset possède une réelle cohérence idéologique mais il va avoir fort à faire pour exister à côté d’un RN qui focalise l’attention des médias et qui lui est d’un tiers supérieur en nombre.

William Thay :La difficulté de la droite orléaniste et technique est d’expliquer son utilité avec l’arrivée d’Emmanuel Macron. Ce dernier s’est fait élire sur le dépassement du clivage entre la droite et la gauche pour une ligne libérale et européenne qui peut ressembler à un second Michel Rocard voir à un Valéry Giscard d’Estaing. Ce positionnement se rapproche des orléanistes et des libéraux qui sont naturellement séduit par lui. Il est ainsi difficile d’expliquer aux Français qui se désintéressent de la politique, les différences fondamentales entre les deux positionnements.

Pour la droite gaulliste et la droite conservatrice, la difficulté est l’installation qui semble durable du Rassemblement national surtout après les dernières élections législatives. Cela doit conduire à adopter un positionnement ferme dans l’opposition au président de la République et à son courant de pensée pour être légitime pour récupérer les électeurs de Marine Le Pen.

Ainsi, les deux courants doivent observer une faiblesse soit de Marine Le Pen soit d’Emmanuel Macron. Si Marine Le Pen est affaibli, alors la droite gaulliste et conservatrice peut remporter davantage de suffrage. De même pour la droite orléaniste et libérale pour un affaiblissement d’Emmanuel Macron.

Macron joue-t-il avec ces deux pôles politiques pour asseoir son parti dans l’échiquier politique ?

Jérôme Besnard : Emmanuel Macron n’a jamais réussi à constituer un véritable parti politique. Les échéances locales lui ont été défavorables. Il flatte donc certains maires de droite, comme il compose avec les amis d’Édouard Philippe ou de François Bayrou. Quand aux parlementaires LR ils ont clairement exprimé leur volonté de se situer dans l’opposition.

William Thay : Emmanuel Macron joue sur le dépassement des clivages pour conduire les Républicains dans un positionnement compliqué. La synthèse de l’UMP (ancien nom des Républicains) conduit à une synthèse des libéraux et des conservateurs sous l’égide d’un chef gaulliste. Ainsi, pour maintenir ce positionnement il est nécessaire d’un côté d’avoir un chef gaullo-bonapartiste et de l’autre de conserver les libéraux et les conservateurs. C’est notamment la synthèse effectuée par Nicolas Sarkozy et plus récemment par François Fillon.

Ainsi le président de la République conduit les Républicains à se poser cette question existentielle pour l’avenir de leur parti. Est-ce qu’il est encore pertinent de maintenir une telle offre politique quand vous n’avez pas de chef gaulliste et que les libéraux sont séduits par Emmanuel Macron et les conservateurs par Éric Zemmour et Marine Le Pen ? Faut-il abandonner les libéraux qui peuvent être définitivement entrés dans le macronisme pour se concentrer sur les électeurs du Rassemblement national et de Reconquête ? Ce sont les questions que se posent la droite française depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron dans l’arène politique.

Le parti du président de la République espère ainsi que la droite décide d’aller complètement sur le terrain de Marine Le Pen pour abandonner les libéraux et le centre-droit à la République en Marche. Le pari est le même que celui effectué dans les pays anglo-saxons par Bill Clinton, Barack Obama ou Tony Blair, dans la mesure où les gauches américaine et britannique ont triangulé pour adopter les thèses néolibérales pour séduire le centre et le centre-droit afin de mettre en minorité les droites américaine et britannique. Dans ces deux pays, Donald Trump et Boris Johnson ont réussi à imposer une nouvelle coalition électorale pour renverser ce paradigme. Est-ce que c’est le modèle à suivre pour la droite française alors qu’il n’y a pas de Rassemblement national dans ces deux pays qui restent marqués par le bipartisme ? Il est difficile d’y répondre sans avoir essayé, mais pour cela, il est nécessaire d’avoir un chef crédible et charismatique pour détourner les électeurs de Marine Le Pen.

Comment ces deux forces pourraient-elles se rassembler et se réunifier ?

Jérôme Besnard : Le logiciel politique de la droite nécessite la présence d’un chef, comme on l’a vu avec le colonel de La Roque, le général de Gaulle, Jacques Chirac ou Nicolas Sarkozy. Lorsqu’un nouveau chef émergera, la droite pourra se réunifier. En attendant, elle est dans une position difficile : ses effectifs militants ont fondu, elle fait figure d’UDF tandis que le RN incarne de fait ce que fut le RPR. L’émergence de Marine Le Pen, sa présence au second tour de l’élection présidentielle, son succès aux élections législatives handicape fortement la droite LR l’obligeant à concurrencer Emmanuel Macron au centre droit alors que son barycentre se situe du côté conservateur. Le choix de la tête de liste LR aux élections européennes s’annonce compliqué mais crucial pour l’avenir.

William Thay :Pour que ces deux forces puissent se rassembler et se réunifier, il est nécessaire de remplir plusieurs conditions cumulatives. Tout d’abord, il faudrait reprendre la synthèse formulée par Nicolas Sarkozy et François Fillon : la synthèse des libéraux et des conservateurs sous l’égide d’un chef gaullo-bonapartiste. Il est donc nécessaire de trouver dans un premier temps, un chef gaulliste capable d’effectuer ce rassemblement et cette nouvelle synthèse.

Ensuite, il est nécessaire d’aboutir à une révolution idéologique. Lorsque Nicolas Sarkozy reprend en main l’UMP en 2005, il fait évoluer le parti aussi bien sur la forme que sur le fond. De même, lorsque François Fillon remporte la primaire, il propose une rupture avec les 40 années qui ont déclassés la France avec un programme de redressement et de grandeur. Ainsi, la droite doit proposer cette même rupture en comprenant les nouvelles mutations mondiales : changement d’ère économique, géopolitique avec le conflit entre la Chine et les États-Unis, etc.

Enfin, cela suppose deux impasses : celle d’Emmanuel Macron et celle de Marine Le Pen. Pour que les libéraux reviennent, il semble nécessaire que la capacité d’attraction programmatique et électorale soit plus importante du côté des Républicains que de la majorité présidentielle et de son successeur éventuellement Edouard Philippe. Cela peut également se produire à travers le déplacement de la majorité présidentielle vers la gauche. De l’autre côté, les Républicains doivent être plus attractif que l’offre politique de Marine Le Pen. Cela suppose que sa normalisation échoue et qu’elle n’arrive pas à offrir des perspectives à ses cadres. De plus, ses électeurs doivent voir toujours le plafond de verre pour se dire : « elle n’y arrivera jamais qu’importe le nombre de tentatives et d’années ».

William Thay, président du Millénaire, think-tank gaulliste spécialisé en politiques publiques. 

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