Les commentateurs allemands mettent un carton rouge au modèle français mais le leur pourra-t-il tenir longtemps ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Les commentateurs allemands mettent un carton rouge au modèle français.
Les commentateurs allemands mettent un carton rouge au modèle français.
©Reuters

A consommer de préférence avant le...

La fondation allemande Bertelsmann a publié, lundi 7 avril, une étude sans complaisance soulignant notamment les difficultés de la France à se réformer.

Guillaume Duval

Guillaume Duval

Guillaume Duval est rédacteur en chef du mensuel Alternatives économiques, auteur de La France ne sera plus jamais une grande puissance ? Tant mieux ! aux éditions La Découverte (2015) et de Made in Germanyle modèle allemand au-delà des mythes aux éditions du Seuil et de Marre de cette Europe-là ? Moi aussi... Conversations avec Régis Meyrand, Éditions Textuel, 2015.

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Atlantico : Alors que la fondation Bertelsmann publiait lundi 7 avril une étude sur l’état de la France, parlant d'un pays qui "n’est pas compétitif", que peut-on dire aujourd'hui des failles du modèle Allemand qui s'est si longtemps imposé en modèle via sa politique monétaire ?

Guillaume Duval :Le modèle allemand a de réelles forces : la décentralisation du pays, un système éducatif basé sur l'apprentissage et qui facilite l'intégration des jeunes sur le marché du travail, l'importance qu'elle accorde à la valeur industrielle, mais aussi le poids important de la négociation sociale, des corps intermédiaires, et des syndicats.

L'une de ses principales failles réside dans sa démographie, cependant, dans l'immédiat, c'est une force pour le pays. Avec moins de natalité et donc moins de jeunes, les Allemands ont fait beaucoup d'économies. Le pays a aujourd'hui moins d'inactifs que d'actifs. Cela a été un avantage en particulier sur la question de l'immobilier. Ainsi, en 15 ans, les prix n'ont pas bougé alors qu'en France ils ne cessaient d'augmenter. Dans l'immédiat, le vieillissement de la population est un atout, mais à terme, cela reste un obstacle majeur pour l'Allemagne. C'est d'ailleurs une menace pour l'Europe toute entière. Si les chômeurs espagnols, italiens, et grecs vont travailler en Allemagne, cela peut résoudre le problème démographique allemand. Cependant, ces pays là sont eux-aussi dans des situations démographiques très proches de l'Allemagne, cela signifie que l'Europe du Sud se retrouverait complètement bloquée.

Par ailleurs, il ne faut pas se faire d'illusions excessives sur la réelle puissance de l'industrie allemande. L'industrie allemande vend aujourd'hui toujours les mêmes choses qu'au début du XXème siècle, c'est-à-dire des machines et des voitures. Le pays a raté le virage de l'internet, et de l'électronique grand public.

Il y a aussi les failles introduites maintenant par les réformes Schröder. Le niveau de cohésion et de négociation sociale élevé était une véritable force pour l'Allemagne. Les réformes ont opéré un profond bouleversement facilitant ainsi le développement des inégalités et de la pauvreté. L'Allemagne en avait moins que nous, elle en a plus aujourd'hui.

On observe en Allemagne une productivité plus faible qu'en France. Quelles en sont les conséquences sur la croissance, notamment dans un pays qui voit sa population vieillir ?

Une productivité plus faible n'a pas que des aspects négatifs, c'est aussi pour cette raison là que le pays connaît un taux de chômage moins élevé que le nôtre. Les réformes Schröder du marché du travail ont consisté à organiser une réduction très puissante du temps de travail. Un Allemand travaille une demi-heure de moins qu'un Français en moyenne. Seulement, une femme allemande travaille trois heures de moins qu'une femme française. Les réformes Schröder ont consisté à pousser les femmes à entrer sur le marché du travail, de façon très précaire et à temps très partiel. C'est ce qui explique aussi cette faible productivité allemande. Les petits boulots mal payés et peu productifs ont été privilégiés. C'est aussi ce qui explique le développement de la pauvreté et des inégalités. Cela n'empêche pas l'Allemagne d'avoir une industrie productive, ce sont surtout les conséquences sociales et sociétales qui sont négatives.

Si la croissance allemande est très faible, c'est avant tout une question démographique, ceci est lié notamment aux conséquences du vieillissement plus qu'à l'affaiblissement de la productivité.

Cependant lorsque l'on dit que l'Allemagne va très bien, ce n'est pas vrai. En 2013, le PIB allemand a été de trois points supérieur à ce qu'il était en 2008. Le PIB américain était lui 6 fois supérieur à son niveau de 2008. L'Amérique s'est redressée deux fois plus vite de la crise que l'Allemagne. Alors, même si elle va mieux que le reste de l'Europe, l'Allemagne ne va pas très bien pour autant.

D'après Eurostat, le poids de l’Allemagne sur le marché des exportations mondiales est passé de près de 12% en 1991 à un peu plus de 8% en 2011, les limites des exportations allemandes notamment  pour ce qui est des machines-outils, symboles de la puissance industrielle du pays, n'atteindraient-elles pas leur limite ?

Sur la baisse du poids des exportations allemandes dans les exportations mondiales, il faut dire que l'on sort d'une période où une toute petite partie du monde seulement était industrialisée et exportait. Le fait que la part des exportations de l'Allemagne baisse dans l'exportation mondiale ne signifie pas que le pays s'affaiblit, cela veut simplement dire que d'autres pays exportent plus que l'Allemagne aujourd'hui.

Par contre, la spécialisation de l'Allemagne est ancienne et très tournée vers les industries de l'équipement. Le pays a profité à fond de l'explosion de la demande des pays émergents dans les années 2000. On constate que ces pays là vont quand même beaucoup plus mal, qu'ils arrivent à un palier en termes d'industrialisation et qu'ils doivent changer leur modèle économique. Les choses se corsent donc pour les exportations allemandes.

Egalement, les Chinois mais aussi les Coréens, se mettent à produire des équipements qu'ils achetaient auparavant aux Allemands, notamment les éoliennes, le photovoltaïque, ou encore les TGV. Certains pays entrent sur les mêmes créneaux que l'Allemagne, il y a donc des raisons de penser que ça ne se passera pas aussi bien pour l'Allemagne dans le futur.

Que peut-on dire également des inégalités entre les travailleurs de l'industrie et ceux des services ? La mise en place du SMIC a-t-elle limité la pratique des mini-jobs ? En matière d'intégration sociale, qui de la France ou de l'Allemagne semble la mieux armée ?

Toutes les réformes Schröder du marché du travail ont consisté à accompagner l'entrée massive de femmes sur le marché du travail allemand. Dans un pays à la tradition conservatrice forte, l'homme gagnait sa vie dans l'industrie et la femme gardait les enfants. Le pays s'est sorti de cette situation mais de manière extraordinairement inégalitaire entre les hommes et les femmes. L'Allemagne est un pays où les écarts de revenu et de temps de travail sont très élevés. Dans l'immédiat cela a été toléré et accepté par les Allemands. Mais cela pose de plus en plus de problèmes et c'est notamment pour cette raison que l'on a assisté à l'instauration du SMIC et à d'autres mesures. Ce que l'on constate aujourd'hui c'est que les Allemands sont en train de prendre en exemple des éléments essentiels du modèle social français, non seulement sur la question du SMIC mais aussi sur celle de l'extension des conventions collectives. En France 98% des salariés sont couverts par une convention collective, en Allemagne, ils ne sont que la moitié. Sur plusieurs aspects, la France semble ainsi mieux armée que l'Allemagne en termes d'intégration sociale notamment en ce qui concerne les inégalités hommes-femmes. Cependant les déséquilibres territoriaux sont plus importants en France.

Enfin, la politique énergétique visant à sortir du nucléaire en 2022 a des conséquences elle aussi sur les Allemands, quelles sont-elles ? Le modèle français est-il plus avantageux aujourd'hui ?

La production nucléaire allemande a déjà reculée et elle a été compensée intégralement par les énergies renouvelables. Le problème des Allemands n'est pas que le pays manque d'électricité, c'est qu'il en produit trop. L'Allemagne a battu son record d'exportations d'électricité l'an dernier. Le pays utilise plus de charbons depuis deux ans, mais cela n'a rien à voir avec l'arrêt du nucléaire, cela est dû à la baisse à l'échelle mondiale du prix du charbon. Le charbon est ainsi devenu plus compétitif que le gaz en Allemagne mais aussi dans toute l'Europe.

Cependant, il est vrai que le prix de l'électricité est deux fois plus élevé en Allemagne qu'en France. Les ménages allemands gaspillent cependant moins que les ménages français. Un ménage allemand consomme 25 % d'électricité de moins qu'un ménage français, hors chauffage électrique. Le poste "énergie" dans le budget des ménages allemands est inférieur à ce qu'il est en France car les allemands dépensent moins. L'énergie pas chère semble donc une incitation à gaspiller l'énergie, alors que l'énergie chère est une incitation à  l'économie. L'Allemagne est un pays deux fois plus industriel que la France où la quantité d'énergie utilisée pour produire 1 euro de richesse est inférieure de 7% à ce qu'elle est en France.

Propos recueillis par Amandine Bernigaud

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