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Christophe de Jaeger publie « Médecine de la longévité : une révolution ! » chez Guy Trédaniel éditeur.
Christophe de Jaeger publie « Médecine de la longévité : une révolution ! » chez Guy Trédaniel éditeur.
©STR / AFP

Bonnes feuilles

Christophe de Jaeger publie « Médecine de la longévité : une révolution ! » chez Guy Trédaniel éditeur. Est-ce la fin de l'obsolescence programmée de l'être humain ? Nous nous sommes habitués à considérer qu'il était normal et inéluctable de se dégrader progressivement, de tomber malade et de mourir. Or, grâce à une multitude de découvertes scientifiques, nous pouvons enfin espérer mettre fin à des millénaires de fatalité. Extrait 2/2.

Christophe  de Jaeger

Christophe de Jaeger

Le docteur Christophe de Jaeger est chargé d’enseignement à la faculté de médecine de Paris, directeur de l’Institut de médecine et physiologie de la longévité (Paris), directeur de la Chaire de la longévité (John Naisbitt University – Belgrade), et président de la Société Française de Médecine et Physiologie de la Longévité.

Il est l'auteur de plusieurs ouvrages, notamment de "Bien vieillir sans médicaments" aux éditions du Cherche Midi, "Nous ne sommes plus faits pour vieillir"  chez Grasset, et "Longue vie", aux éditions Telemaque

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Nous sommes à l’aube d’une augmentation rapide et significative de l’espérance de vie en bonne santé, si l’on considère l’ensemble des progrès que les sciences de la longévité nous permettent d’entrevoir. Fixer un objectif en matière d’âge est irréaliste aujourd’hui: 120, 150, 175, 200 ans ou plus sont autant de possibilités qui ne sont plus ridicules à la lumière de nos possibilités techniques. Promettre 1000 ans, comme le font certains conférenciers, n’a évidemment pas de sens scientifique, mais provoque toujours, chez les auditeurs, un vrai frisson, qui, hélas, retombe très vite devant la réalité des faits.

L’important n’est pas l’âge visé, l’important, c’est aujourd’hui d’apprendre à gérer au mieux son capital santé. Rester du côté de la santé, éviter tout ce qui pourrait l’altérer un peu plus que le processus de sénescence, qui est partiellement inscrit dans nos gènes. C’est de notre responsabilité personnelle d’en prendre conscience et de respecter ainsi au mieux notre organisme.

Cette première prise de conscience est indispensable et peut ensuite nous amener à aller plus loin dans la gestion de notre capital santé en travaillant sur les différents processus de la sénescence. Ce travail nécessite une nouvelle philosophie de vie, un véritable engagement personnel, des professionnels aguerris, des évaluations régulières et une adaptation personnalisée des stratégies de prise en charge, car la réponse à un phénomène aussi complexe que la sénescence ne peut être que scientifique et vraiment très personnalisée.

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Chacun aura une position sur cette question de la grande longévité qui sera fonction de son histoire, de sa philosophie de vie, de son état réel et de sa façon de se projeter dans l’avenir. Tout le monde n’a pas envie d’en bénéficier. Pour certains, cette nouvelle vision de la longévité peut même être ressentie comme une malédiction.

Il faut choisir individuellement de tenter de vivre plus longtemps. Ce n’est pas un choix de société, c’est un choix individuel à faire en votre âme et conscience, car les conséquences ne sont pas neutres. Elles ne sont pas neutres pour vous en tant qu’individu et pas neutre pour la société elle-même.

Imaginons maîtriser les processus du vieillissement qui nous dégradent tous les jours un peu plus. Plus d’usures ou alors une usure compensée et maîtrisée. Plus de pertes fonctionnelles ou limitées. Des maladies maîtrisées. De nouvelles perspectives s’ouvrent à vous en tant qu’individu, mais également à l’humanité.

Le poids psychologique de vivre longtemps

Vivre longtemps, évidemment en bonne santé, n’est pas psychologiquement aisé à concevoir. Sommes-nous capables psychologiquement de vivre très longtemps ? Je me pose toujours la question. Théoriquement, c’est un bonheur d’échapper aux limites de notre espérance de vie. Avoir enfin le temps! Un temps qui ne nous serait plus compté chichement comme maintenant. Avoir le temps… quel bonheur!

C’est un bonheur si, comme moi, tous les jours, vous avez de nouveaux projets, qu’il faut abandonner faute de temps. Avoir le temps, profiter du temps! Quel radical changement de perspective ! Le temps n’est plus une limite, le temps vous accompagne dans votre vie. Ce temps qui rétrécit et qui s’accélère terriblement à partir de 50-60 ans, ce temps qui file entre vos doigts, alors que vos capacités fonctionnelles diminuent, ce temps ne sera plus un problème immédiat. Vous quittez votre statut actuel «d’obsolescence programmée» pour devenir «durable ». Quelle révolution !

Mais, pour certains, le temps long est source d’angoisses. Les limites ou les frontières sont rassurantes. Bien sûr, on aimerait vivre plus longtemps, et encore plus si c’est en bonne santé. Mais longtemps, très longtemps, c’est une autre histoire pour beaucoup. Vivre deux cent cinquante ans serait, pour moi, une immense promesse et ouvrirait un champ des possibles presque sans fin. Un rêve qui peut enfin, grâce aux avancées des sciences de la longévité, devenir réalité. Mais également un cauchemar pour certains. Une angoisse de cette absence de frontières, une angoisse devant un demain où tout peut être différent. Imaginez, certains luttent toute leur vie (formation et travail) pour enfin bénéficier d’une retraite bien méritée qu’on espère longue et sans problèmes de santé. Et cet univers bien limité, pas idéal, mais confortable pour lequel ils se sont battus, vole en éclats. Pas « cool », diraient nos plus jeunes. Qui dit inquiétudes, angoisses dit également rejet possible.

Mais cette révolution ne peut être que la vôtre et pas automatiquement celle de tout le monde, car vous aurez à faire un choix que d’autres, pour mille raisons, n’auront pas fait ou ne voudront pas faire, introduisant ainsi une nouvelle forme d’inégalité ou de déséquilibre dans notre société. Il faut en prendre conscience et y réfléchir dès à présent. C’est l’un des thèmes de réflexion autour de philosophes et de psychologues dans le groupe de réflexion ou think tank que je dirige.

Mais revenons à l’individu qui a fait le choix de gérer son capital santé. Le temps ne s’arrêtera pas pour tout le monde. On ne fige pas le temps pour tous. Il faudra donc accepter de voir ses amis, des membres de sa famille, nos relations se dégrader, tomber malade et mourir. Cela peut être difficilement tolérable pour certains, à la fois ceux qui partent et à la fois ceux qui restent. La tension psychologique est donc générale. Elle existe pour ceux qui souhaitent refuser et pour ceux qui se battent afin d’améliorer leur espérance de vie. Je me souviens très bien d’une patiente qui, au bout de plusieurs années de prise en charge qui l’enchantaient, me disait un jour: «Cher docteur, je vais arrêter.» J’ai été très choqué par cette décision et lui ai demandé : «Mais pourquoi, quelque chose ne va pas ? » «Oh non, je n’ai jamais été aussi bien. Mais je suis seule », dans le sens d’isolée dans son entourage. «Mon mari est vieux et ne me comprend pas dans mon désir de bouger, de voyager, de rencontrer des gens et mes amis pensent que je suis folle. » Elle ajoute : « Je sais que j’ai raison dans ma démarche, mais je ne veux plus être seule et regardée comme un animal étrange par mon entourage.» Je l’ai encouragée à faire partager sa prise en charge à ses amis et à son époux. Elle m’a répondu qu’elle avait essayé, sans succès. J’ai encore insisté : «Et pourquoi ? » Ils ne veulent pas faire d’effort, ils ne veulent rien changer à leur vie. Fin de l’histoire.

Gardons toujours dans nos esprits qu’une des premières certitudes est que toute la population n’aura pas le souhait ou la possibilité de voir son espérance de vie augmenter de façon mathématique. Il y aura les gens «pour» et forcément les gens qui ne le voudront pas ou ne le pourront pas, qui seront «contre». Nous aimons bien en France être «contre». Un clivage de plus dans notre société déjà très scindée. Un clivage majeur de plus.

Une autre organisation sociétale : l’âge de la retraite

Mais, au-delà de l’aspect psychologique, nous vivrons une vraie explosion de notre organisation sociétale actuelle. Pouvoir bénéficier rapidement de vingt-cinq ou trente ans de plus d’espérance de vie rend totalement absurde la notion d’âge pivot pour prendre sa retraite. J’avais, lors d’un colloque de la Société française de médecine et physiologie de la longévité, que j’avais organisé à l’Assemblée nationale, il y a quelques années, pris comme postulat «Demain, nous vivrons vingt-cinq ans de plus». Et j’avais demandé, à la lumière de ce postulat, à une directrice d’une importante caisse de retraite de réagir. J’avais été très étonné par sa réponse sur l’évolution de l’âge de la retraite. Elle m’avait répondu: «Mais il n’y a aucun problème. Nous avons des équations précises. » Si l’espérance de vie augmente, immanquablement, l’âge de la retraite recule, c’est mathématique. Nous étions loin des polémiques actuelles. Mais il est vrai que le postulat de base n’était pas celui que nous connaissons aujourd’hui.

Une autre organisation du travail

Une augmentation significative de notre espérance de vie nous permet également d’imaginer une tout autre organisation du travail. Notre organisation actuelle est basée sur le triptyque : formation, travail, retraite. Une première partie de notre vie est consacrée à la formation professionnelle, la suivante, à l’exercice de notre profession et, enfin, la dernière, à la retraite si durement acquise. Ce qui se comprend bien sur une durée de vie moyenne de quatre-vingt-cinq ans.

Mais imaginons une espérance de vie qui double, ce qui est loin d’être déraisonnable, si nous développons les sciences de la longévité et une médecine adaptée. Alors, cette organisation de la société peut prendre une tout autre forme. Nous pourrions vivre une succession de cycles. Le premier temps d’un cycle reste la formation, le deuxième, l’exercice professionnel avec un acquis de points de retraite, que l’on pourrait utiliser après un certain temps de travail pour un troisième temps, qui terminerait le cycle et qui ne serait pas une retraite, mais plutôt quelques années de vacances. Un tel cycle pourrait durer environ trente ans et dépendrait de la durée de la formation et de nombreux autres paramètres. Imaginons cinq ans de formation, vingt ans de travail, cinq ans de « vacances », soit trente ans. Et un autre cycle commence: formation (actualisation de vos connaissances si vous continuez dans la même profession, ou toute nouvelle formation si vous décidez de changer de métier), puis vingt ans de travail, puis cinq ans de vacances. Et cela continue ainsi avec une succession de cycles, vous permettant d’évoluer dans votre profession ou d’en changer. L’autre point important est que vous pouvez bénéficier de cinq années sabbatiques en pleine forme, sans attendre la retraite avec éventuellement une santé déficiente.

Cette nouvelle organisation permettrait, dans de bonnes conditions, de vraies reconversions professionnelles. Qui plus est, nous pourrions bénéficier de nos «acquis travail» tout au long de notre vie et en profiter sans attendre la fin de vie, sous-entendu en étant malades.

Alors, à quand la vraie retraite, celle où l’on se retire de la vie ? Elle surviendrait immanquablement que si nos capacités fonctionnelles de travail étaient incompatibles avec une activité professionnelle. Plus d’âge pivot, plus de semestres validés, mais une retraite en fonction de l’état objectif de notre organisme. L’âge chronologique ne serait plus une limite, seul l’âge physiologique déterminerait notre devenir. C’est également une façon de rééquilibrer le nombre d’actifs par rapport au nombre de retraités.

Une société en pleine mutation

Cette augmentation significative de notre espérance de vie aurait également des conséquences sur l’organisation même de notre société, qui deviendrait une société d’adultes. Moins d’enfants, moins de retraités, plus d’actifs. Je pense qu’il y aura en effet moins d’enfants, car il est probable que la fertilité féminine ne suive pas l’expansion de la longévité.

Et, d’autre part, il est possible que le besoin naturel de transmettre soit moins fort si la longévité augmente significativement, rendant moins fort le désir de descendance.

Cela demande une évolution de nos mentalités, à la fois en entreprise et en politique. Plus d’âge limite. Vous pouvez rester tant que vous êtes physiologiquement apte. Que vont devenir tous ceux qui sont en train d’attendre que leur chef parte à la retraite pour prendre leur place ? Ils risquent de ne pas rester dans l’entreprise et vont peut-être en fonder une autre, concurrente…

L’augmentation rapide et significative de notre durée de vie avec la transformation de la pyramide des âges (réductions aux deux extrémités) va conduire à une modification de nos comportements personnels. Moins d’enfants, durée de vie des couples encore plus incertaine. Certains couples dureront, quel que soit le nombre d’années, et d’autres suivront probablement un rythme différent.

Nous rentrons dans l’inconnu. La seule chose rassurante est que tout cela ne se fera pas en un jour. C’est l’enjeu des vingt-cinq prochaines années.

Extrait du livre de Christophe de Jaeger, « Médecine de la longévité : une révolution ! », publié chez Guy Trédaniel éditeur

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