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Les agressions du Nouvel an en Allemagne revues à la hausse : pour vraiment comprendre la nature de ces crimes d'un nouveau genre (et des débats qu'ils soulèvent)
©Reuters

L'heure du bilan

Alors que les agressions de Cologne le 31 décembre concernent finalement une grande partie de l'Allemagne (12 des 16 Länder), ce phénomène remet en cause le relativisme culturel lié au libéralisme et à l'immigration massive.

Nathalie Krikorian-Duronsoy

Nathalie Krikorian-Duronsoy

Nathalie Krikorian-Duronsoy est philosophe, analyste du discours politique et des idéologies.
 
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Trois semaines après les faits, les interrogations sur les viols collectifs de femmes, commis dans plusieurs villes d’Europe, la nuit du 31 décembre, dont 766 plaintes déposées à ce jour à Cologne, sont levées (1).

Mais il aura fallu attendre plus de dix jours pour qu’enfin le pays le plus touché par le phénomène admette sa particularité, et donne des précisions sur l’identité des agresseurs : "des demandeurs d’asile ou des sans-papiers, originaires du Moyen-Orient et du Maghreb" selon Ralf Jäger, ministre de l'Intérieur de l'Etat de Rhénanie-du-Nord-Westphalie.

Enfin, depuis quelques jours, l’ensemble des commentateurs, en France comme en Allemagne, s’accordent à voir dans ces crimes la forme singulière d’agressions sexuelles pratiquées selon un modus operandi particulier appelé "harcèlement sexuel collectif dans des foules".

Comprendre les événements de Cologne et les débats que soulève ce fait divers pourrait-il revenir à se demander si nous avons à faire à un nouveau "fait de société, mondialisé" ?

Car ce genre de crime phallocratique de masse (2) était méconnu avant l’année 2000. Il est révélé, pour la première fois, pendant la révolution égyptienne du Printemps 2011 (3). Et selon de nombreux observateurs, serait corrélé aux développements du fondamentalisme religieux, qui impose, dans les pays de culture islamique, depuis que la religion musulmane y subit la pression des radicalismes islamistes, (4) des interdits sociaux de plus en plus puissants. Une pratique donc, tout aussi nouvelle dans les pays musulmans, de sorte qu’il ne serait peut-être pas irrationnel de se poser la question d’un lien possible avec la pénétration de terroristes, en Europe, via les flots de migrants ?

Ce qui, dans l’affaire de Cologne, s’affiche donc, de prime abord, au regard de l’historien des idées, c’est cette inquiétante nouveauté.

Comme en témoigne, par des mots simples et pourtant riches de sens la conclusion de l’enquête auprès des victimes, menée par la journaliste Annick Cojean : "l’ignominie" de "ce drame du 31 décembre" renvoie à "son incroyable étrangeté" et c’est l'une des raisons pour lesquelles, il ne doit pas être "minimisé". (5)

C’est d’ailleurs la nature inédite des faits qui est à l’origine, en Allemagne comme en France, des débats, et c’est de leur mise en perspective et de leur analyse que je me propose de tirer des réponses aux questions qu’ils soulèvent.

Je laisse de côté le premier aspect politique, lié à la question, certes centrale pour l’Europe du XXIème siècle, d’une immigration devenue massive. L’avènement brutal de l’exode de plus de cinq millions d’individus fuyant la guerre et la misère, en provenance d’un Moyen-Orient en pleine réorganisation politique et territoriale, et l’accueil de plusieurs millions de réfugiés durant l’année 2015, est aussi en soit une situation jusqu’alors inconnue, pour laquelle on a d’ailleurs inventé le mot "migrant". Elle pose la question de leur intégration économique et renvoie au double problème, ingérable depuis l’été dernier, de la construction de l’espace Schengen et des frontières, inexistantes, de l’Europe.

Mais si les événements du 31 décembre questionnent à nouveau l’Europe sur le problème crucial de ses frontières, ça n’est pas tant le point de vue territorial qui m’intéresse que celui des limites intellectuelles et morales du libéralisme. Car l’affaire de Cologne met en cause, d’une manière certes radicale, le relativisme ethnologique et donc culturel qui, depuis les années 60, grignote peu à peu les fondements philosophiques des sociétés démocratiques européennes. On ne sera donc pas étonné de constater que les débats qu’elle produit opposent d’une part, nationalistes de droite et immigrationistes de gauche, et d’autre part, les deux orientations, divergentes en leur fond, du militantisme féministe contemporain, dont l’une, différentialiste, tend à dominer le débat en France, depuis une vingtaine d’années.

Sur la question opposant droite et gauche, dès le lendemain des événements, les propos du ministre de l'Intérieur de l'Etat de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, Ralf Jäger, insistant sur le risque politique et social de stigmatiser des agresseurs "presque exclusivement… d’origine immigrée" ont montré les raisons idéologiques du refus de reconnaître le lien entre la nature des actes et le statut de ceux qui les avaient commis, car précisait-il : "C'est ce que font les charognards de l'extrême-droite".

Nul doute que les origines philosophiques des positions politiques de monsieur Jäger soient à rechercher du côté de la critique antitotalitaire du nazisme, commune à l’ensemble des démocraties européennes, depuis la découverte des horreurs de la Shoah. Mais force est de constater que ces critiques se réduisent aujourd’hui à une idéologie caricaturale, sous la forme d’un antiracisme doctrinal aveuglant, qui du reste, donne sens aux réactions tardives de la police, des politiques et des médias allemands ainsi qu’au débat français actuel.

L’impuissance publique autant que la confusion mentale traduisent, en effet, la puissance absolue d’un tabou en Europe. Né des horreurs de la Seconde Guerre Mondiale, il interdit de dénoncer, et même parfois de voir, certaines réalités nouvelles.

En France, l’originalité du débat sur les crimes de Cologne, repose de manière plus complexe sur des présupposés idéologiques de type communautariste, réunissant des arguments antiracistes contre l’extrême-droite et les idées d’un néo-féminisme militant de type différentialiste.

Hier, sous le titre "Cologne, le choc des cultures n’explique pas tout", le journal la Croix en offrait une synthèse parfaite, avec des explications mêlant à une lecture antiraciste niant la réalité des inégalités de statut entre hommes et femmes dans les sociétés musulmanes, des assertions néo-féministes édifiantes, selon quoi : "les migrants sont des coupables idéaux, mais la seule certitude est que 98% sont des hommes".

Cette conception différentialiste des luttes féministes est diffusée en France par l’association "Osez le féminisme !", sous la houlette de la militante socialiste Caroline de Haas (6) qui en est la présidente. Tout en reprochant au Front National d’instrumentaliser la souffrance des victimes de Cologne, Madame de Haas ne redoute pas d’assimiler la "société patriarcale occidentale" dont elle souhaite la ruine, à une "culture du viol". Quitte à glisser sur la pente malsaine d’une concurrence des viols, elle affirmait dans un tweet : "Les violences contre les femmes sont universelles, la culture du viol est présente chez nous aussi." On appréciera ce jugement sur le drame de Cologne à sa juste valeur : plus stupide, tu meurs !

L’incohérence de ces positions féministes dominantes, prétendant lutter contre l’existence d’un patriarcat universel, tout en refusant d’admettre la singularité des crimes phallocratiques de Cologne, sans nul doute légitimés par des croyances ancestrales en une inégalité naturelle des sexes, n’a pas manqué d’interpeller Marine Le Pen.

La présidente du Front National y a saisi l’occasion de défendre un féminisme individualiste, dans la logique des positions républicaines et laïques qu’affirme son parti : "Elisabeth Badinter avait parfaitement raison de dire que la gauche, par clientélisme, par une peur fantasmée de la stigmatisation de l’islam ou de l’amalgame, abdique devant des mises en cause très graves de la laïcité et des droits des femmes."

Mais dans la même veine, Jean-Marie Le Guen a surpris en se rangeant mercredi (7), contre toute attente, aux arguments de madame Badinter : "elle dit des choses sur la laïcité et sur le féminisme qui parlent de plus en plus à nos oreilles" explique-t-il, tout en dénonçant le fait que : "le féminisme s’est laissé entraîner dans une logique relativement communautaire".

Ce retour à une forme de républicanisme de gauche, de la part du secrétaire d’Etat aux relations avec le Parlement, ira-t-il jusqu’à la défense des anciens principes d’intégration républicaine ? Ce serait un tournant majeur au Parti socialiste très attaché, depuis les années 80, à la défense de cette idéologie antiraciste ayant viré en 2012 à l’éloge d’une société multiculturelle.

A contrario, les principes d’une intégration politique et économique autant que d’une assimilation culturelle, issus des idées républicaines, exigent des individus un renoncement à suivre d’autres lois, d’autres coutumes ou d’autres mœurs et leur garantit, en retour, le bénéficie des trois libertés républicaines indissociables : en conscience, en pensée et en parole.

Comme l’ont décrit Hobbes et Rousseau, le citoyen qui renonce à la part égoïste de sa liberté individuelle, fut-elle communautaire et culturelle, peut, dès lors, connaître la paix et la sécurité qu’assure une organisation démocratique et libérale de la vie en société.

De ce point de vue, l’affaire de Cologne aura révélé que la femme occidentale, ayant conquis sa libération politique et sociale, est un modèle de vie et le contre-symbole absolu de la femme voilée, devenue quant à elle, qu’elle le veuille ou non, le symbole de l’aliénation mentale et physique imposée par la radicalisation islamiste des esprits.

  • (1)Les informations recueillies précisent que les mêmes faits se sont déroulés, à la même date, dans douze villes allemandes, amis aussi, à Zurich (Suisse) et à Helsinki (Finlande)
  • (2) Nicolas Barotte, "Cologne : la police s'inquiète d'un nouveau phénomène, le "taharrush gamea", Le Figaro, 12 janvier 2016
  • (3) Trois journalistes occidentales, parmi l’ensemble des femmes qui en furent victimes, Lara Logan, le 11 février 2011, Caroline Sinz et Mona Heltahawy, avaient été elles aussi, agressée, battues et violées, alors qu'elles couvraient les événements de la place Tahrir en Egypte.
  • (4) Sur le sujet voir le film de Mohamed Diab, "Les Femmes du bus 678"(2012)
  • (5) "La nuit des chasseurs", Le Monde, mercredi 20 janvier 2016
  • (6) Nommée, en 2012, conseillère chargée des relations avec les associations et de la lutte contre les violences faites aux femmes au sein du cabinet de Najat Vallaud-Belkacem
  • (7)  A l’émission "Questions d’info", La Chaîne parlementaire (LCP)

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