Les ados n’ont jamais eu aussi peu d’interactions sociales qu’aujourd’hui <!-- --> | Atlantico.fr
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Des jeunes profitent d'un moment de partage et déjeunent ensemble.
Des jeunes profitent d'un moment de partage et déjeunent ensemble.
©MICHAL CIZEK / AFP

Malaise au sein de la jeunesse

Les interactions sociales des adolescents sont en net recul, selon les travaux de la psychologue américaine Jean Twenge. Le pourcentage de jeunes ayant obtenu leur permis de conduire, en relation amoureuse ou en emploi est en baisse.

Pascal Neveu

Pascal Neveu

Pascal Neveu est directeur de l'Institut Français de la Psychanalyse Active (IFPA) et secrétaire général du Conseil Supérieur de la Psychanalyse Active (CSDPA). Il est responsable national de la cellule de soutien psychologique au sein de l’Œuvre des Pupilles Orphelins des Sapeurs-Pompiers de France (ODP).

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Atlantico : Aux Etats-Unis, les interactions sociales des jeunes et des adolescents sont en nette chute à en croire les travaux de Jean Twenge, qui a écrit plusieurs ouvrages sur la question. D’après elle, le pourcentage de jeunes ayant obtenu leur permis de conduire, en relation amoureuse ou en emploi est en baisse. Dans quelle mesure peut-on parler de phénomènes comparables en France ?

Pascal Neveu : Force est de constater qu’en regardant les études américaines qui évoquent ces sujets, on observe un déclin des liens sociaux dès 2001. Les études suivantes sont plus compliquées dès 2015, mais dès la crise COVID début 2020, on retrouve les mêmes replis sur soi. Les études psy ont bien montré l’impact tant intrafamiliales que chez les jeunes désabusés, contraints à un « enfermement » et nous avons tous constaté en consultation des conséquences psychologiques importantes, que ce soit des crises d’angoisse, une diminution de la communication, et un repli énorme sur les réseaux sociaux…

Le travail a été impacté avec le télétravail dans certains conditions, et bien évidemment les relations amoureuses et amicales, sociales.

2 questions :

- le phénomène est-il lié à des chocs mondiaux et une angoisse, déclenchant une paranoïa face à l’autre ?

En 2001 ce sont les attentats à New-York City lors de l’attaque terroriste et l’effondrement des Twin Towers… 3000 morts avec des images effroyables dont nous nous rappelons tous. Pour la COVID  il s’agit de 6,9 millions de morts dans le monde, dont 160 000 en France, sur un chiffre annuel (hors COVID) d’environ 550 000 morts par an. Ces chiffres sont édifiants et nous questionnent sur notre relation à la vie et à la mort : terrorisme, accidents de voiture, homicides, féminicides (1 femme meurt tous les 3 jours en France), infanticides (1 enfant meurt tous les 4 jours sous les coups de ses parents)… La médiatisation est susceptible d’activer des mécanismes de craintes, de replis.

- d’où mon questionnement quant au rôle des réseaux sociaux. En 2001 nous étions très peu à utiliser internet. J’ai connu internet sur un plan de recherche dès 1996, avec des échanges intellectuels puis la version 0.2 dès 1998 où les premières adresses emails étaient créées, puis plus tard l’explosion des réseaux sociaux, des sites de rencontres, la création d’« influenceurs », les sites de ventes…

En fait il me semble que la relation à l’autre a été totalement transformée, a énormément muté.

Nous naissons par notre propre reconnaissance de notre image dans le miroir (il faut relire Wallon qui le décrit très bien), et de l’image que l’autre nous renvoie, de manière réelle ou fantasmée. Mais la relation et la surexposition aux images modifierait sans doute notre lien physique et émotionnel à l’autre.

Comment expliquer l’isolation progressive de nos jeunes, en France ? Qu’est-ce qui les pousse à entretenir moins d’interactions sociales ? Faut-il blâmer le harcèlement, que les réseaux sociaux rendent plus à la fois plus simple et plus dangereux ?

Quelques chiffres, au delà du confinement. Plus de 700 000 élèves (on évoque même 1 million) sont victimes de harcèlement scolaire, dont la moitié de manière sévère, soit 5 à 6% des élèves. 

55% des élèves en situation de harcèlement sont touchés par la cyberviolence. Les filles sont davantage exposées à des formes spécifiques de cyberviolence, à caractère sexiste et sexuel (cybersexisme). Elles sont notamment trois fois plus touchées par des actes de « sexting ».

Des chiffres certainement minorisés sont édifiants, donnés par le ministère de l’éducation :

« En CM1-CM2, 2,6 % d’élèves subissent une forte multivictimation qui peut être apparentée à du harcèlement (enquête Depp 2021) ; au collège, 5,6 % d’élèves en sont victimes (enquête Depp 2017) ; au lycée, 1,3 % d’élèves en sont victimes (enquête Depp 2018). »

Des études qui ne sont pas mises à jour, car suite à la COVID et le confinement, l’agressivité ambiante a fortement augmenté et les affaires médiatisées ont dénoncé ce qui se passe sous une omerta importante.

Aussi les réseaux sociaux sont à la fois un moyen de communication positif mais peuvent s’avérer nocif. Tout n’est pas blanc ou noir.

Il ne faut pas non plus oublier l’impact des jeux en réseau chez les jeunes.

Le gaming concerne 3,2 milliards de joueurs dans le monde dont 7,1 millions de 15-24 ans en France !

Ces données sont très intéressantes sur un plan sociologique et psychologique. Les jeux ne sont pas à proscrire mais en disent long sur l’évolution de notre société.

Comment corriger une pareille situation ? Que peut-on faire, au juste, pour aider les jeunes à retrouver une certaine vie sociale ?

Je donne un seul exemple, encore lié à la COVID.

Combien de fois sommes-nous réticents à nous faire la bise et nous donner une poignée de main ?

Depuis 2020 je n’ai pas serré la main de mes patients, ce qui manque. Mais nous devions prendre tant de précautions. Lors d’un colloque cette semaine passée l’animatrice a même fait rire les participants en disant qu’elle espérait que nous ne serions pas un cluster... car les cas de contaminations reprennent.

Aussi, si à notre niveau d’adultes avec un certain âge nous restons sur nos gardes (de manière compréhensible), avec une nouvelle campagne de vaccination (j’ai personnellement 5 vaccinations), comment nous transmettons auprès de nos enfants, ou petits enfants des messages, des propos, des comportements qui rassurent sur le lien social où se serrer la main, s’enlacer peut être synonyme de mort suite à la COVID. La COVID a réellement tué notre lien social, a angoissé nos jeunes, et nous sommes incompétents afin de les amener à une « résilience » et leur parler de vie et d’amour.

J’en reviens donc à cette notion de mort.

Je discutais encore hier soir avec des Italiens qui ont vécu à Bergham. 1 enterrement toutes les 30 minutes dès février 2020.

Les jeunes sont actuellement désabusés face à un monde violent, des guerres, et ils l’expriment notamment en France depuis quelques années par une baisse du taux de reproduction car ils veulent vivre la vie, ne pas donner naissance à un enfant et le laisser se développer un enfant dans un monde insipide. Ils se replient sur eux, avec pour certains une forme d’hédonisme, et d’autres, rester concentrés sur un petit cercle d’amis, sans échanger avec autrui.

Et quand les jeunes observent ces comportements auprès de leurs parents, de leurs frères, soeurs un peu plus âgés… ils ne sont pas rassurés, et se replient… et se cachent derrière des écrans.

L’écran reste une protection énorme.

Anonymat, fausses images, mythomanie… On peut tout faire.

Ce qui est très intéressant est de regarder les comportements sur les réseaux sociaux.

Le nombre d’amis, les likes, les videos… Combien connaissons nous vraiment les gens qui nous ont demandé comme « amis »… Selon une étude, ce serait au maximum 150 ! Quand on sait que Facebook permet de monter sur un profil personnel à 5000 !

C’est à nous d’aider cette jeunesse qui est un peu perdue. Discuter, expliquer, raconter l’histoire et même raconter nos propres angoisses. Mais surtout les rassurer en leur disant que la vie prend le dessus.

La baisse de la vie sociale dans l’espace réel cache-t-elle une hausse des interactions en ligne ? Dans quelle mesure faut-il penser qu’une telle situation pourrait s’avérer problématique ?

Vous touchez juste ! C’est bien justement l’espace de vie réel qu’il faut retrouver, pour ne pas dire reconquérir !

Nous sommes dans un monde en pleine évolution, et même si je travaille également en réalité virtuelle (avec des applications totalement éthiques), j’ai observé la différence de comportement entre jeunes et d’autres comme moi plus âgés.

Leur attitude n’a rien à voir. La « population » jeune est totalement adaptée à un monde non réel, alors que nous, plus anciens, nous sommes dans des attitudes psychocomportementales, émotives ancrées dans la réalité et la différence entre réalité et virtuel. Plein d’études que je n’ai pas le temps de détailler le démontrent.

Le monde est une dynamique permanente d’évolution.

Ce qui me semble le plus important… c’est de retrouver nos liens sociaux.

Il y a l’école, il y a le sport (même s’il s’est passé des choses consternantes lors de matchs), mais c’est aussi prendre le temps de discuter dans la rue, dans un restaurant, dans un transport en commun.

J’ai beaucoup voyagé, et si je peux critiquer les Français, même si défendrai toujours mon pays, c’est que je ne me suis jamais fait autant d’amis à l’étranger, car on échange dans la rue ou dans des restaurants, car il n’y a aucune question intime, mais simplement le désir de rencontrer et connaître l’autre… même un bon ami une fois dans un aeroport. Les jeunes doivent le vivre.

Et nous avec notre « savoir », nos vécus, il me semble primordial de le transmettre à nos enfants. Ils peuvent vivre avec les réseaux sociaux… mais LE LIEN SOCIAL est le plus important. Voir l’autre, échanger, l’embrasser, créer des amitiés indéfectibles, inimaginables.

C’est juste la vie, et pas la mort.

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