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Le style Vladimir : quand Poutine répond par les actes aux paroles d'Emmanuel Macron
©Odd ANDERSEN / AFP

Du berger à la bergère

Les médias français se sont bien gardés de relayer l'information. Et pour cause. Il n'y avait aucun représentant de l'Agence France Presse à l'entretien accordé par Vladimir Poutine aux directeurs des grandes agences de presse lors du Sommet économique international de Saint Pétersbourg.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Le prétexte officiel invoqué par le Kremlin? La représentation française à cette réunion, réservée aux N°1 ou N°2 des agences n'était pas appropriée. En fait, Vladimir Poutine a envoyé un message discret mais très clair au nouveau président français qui avait traité, quelques jours plus tôt, en sa présence, des journalistes de  Russia Today et de Sputnik de propagandistes.

Emmanuel Macron retiendra-t-il la leçon? Rien n'est moins sûr tant il est vrai que le nouveau président français confond communication et diplomatie. Tandis qu'il fait des coups - en bombant le torse devant Poutine ou Trump quelques jours plus tard - le président russe lui, fait de la diplomatie. Il a dû essuyer, lors de sa visite à Versailles, de longues minutes de "remontrances" du nouveau président français lors de la conférence de presse: il est resté très calme; aussi maître de lui que lorsqu'Angela Merkel, que les années passées au pouvoir n'ont visiblement pas rendue plus sage que le tout neuf président français, lui a infligé un discours du même accabit, devant les journalistes après la visite qu'elle a effectuée début mai 2017 à Sotchi.

Emmanuel Macron ou Angela Merkel se comportent comme les enfants gâtés d'une Europe doublement libérée par la Russie, dans les dernières décennies: d'abord lorsque 13 millions de soldats soviétiques ont donné leur vie pour abattre l'abomination nazie; puis lorsque Gorbatchev eut le courage moral de prendre l'initiative d'une désescalade de la Guerre froide, en 1986-87. Avec une insoutenable légèreté, le président français et la chancelière allemande pensent qu'ils peuvent construire une Europe sûre et prospère sans la Russie. Et quasiment personne, dans leur parti ou sur les bancs de l'opposition n'élève la voix pour dire qu'à force de privilégier la communication et d'ignorer les forces géopolitiques profondes, la chancelière allemande et le président français feront sortir leur pays de l'histoire.

En 1870, des mots insultants de Bismarck envers la France (la dépêche d'Ems) avaient conduit à une guerre entre la France et la Prusse, prélude à deux guerres mondiales. Angela Merkel, qui a grandi en RDA, Emmanuel Macron qui a chaussé les lunettes de la "mondialisation heureuse" pour regarder la France, ne sont ni l'un ni l'autre dotés de ce sens historique sans lequel on ne construit pas de grande politique. La communication ne dure qu'un instant; la diplomatie se construit dans la durée. Elle demande non seulement de la patience mais une connaissance des véritables forces à l'oeuvre sous l'écume des dépêches de presse.

Il est très significatif que ni notre classe politique ni les médias n'aient commenté le bouleversement poltique majeur que vient de connaître l'Eurasie. Le 6 juin dernier, l'Inde et le Pakistan ont participé pour la première fois à une recontre de l'Organisation de Coopération de Shanghai, dont ils sont devenus membres officiellement il y a un an. La réunion se tenait à Astana, au Kazakhstan. Le président russe et le président chinois s'étaient déplacés pour l'occasion.  L'Organisation de Coopération de Shanghai rassemble 45% de la population de la planète: ses membres se sont engagés sur l'intangibilité des frontières héritées de l'histoire. Ils considèrent qu'ils ont la responsabilité de construire un nouveau centre économique de rayonnement mondial. Le vieux projet américain d'empêcher la constitution d'un centre de pouvoir en Eurasie, qui pourrait relativiser leur maîtrise des mers, est enterré; les membres de l'OCS (Chine, Russie, Kazakhstan, Kirgizistan, Tadjikistan, Ouzbekistan, Inde et Pakistan) se sont entendus pour refuser la candidature d'adhésion de Washington. Iran et Turquie aspirent à devenir membres à part entière. Il est quasi-inévitable que ces candidatures aboutissent. Et il n'est pas sûr, alors, que l'Europe trouve sa place dans le nouveau dispositif.

Pour qui suit l'actualité internationale, l'Organisation de Coopération de Shanghai se construit depuis une quinzaine d'années. Elle est très clairement née du souci des puissances eurasiatiques de se protéger des interventions américaines en Irak et en Afghanistan. Mais elle correspond aussi au besoin de développement économique partagé par tous les pays membres de l'OCS. La "Nouvelle Route de la Soie" chinoise n'est qu'un des axes de construction de l'Eurasie en émergence.

On se serait attendu qu'au plus tard au moment de la crise de 2008 l'Union. Européenne commence à se rapprocher de l'OCS. Face à des Etats-Unis dont la société est épuisée par l'aventure impériale, l'Union Européenne aurait pu jouer la carte d'une Europe "Atlantique à l'Oural", respectant la position centrale de la Russie et acceptant qu'elle soit notre porte d'entrée en Asie Centrale et plus à l'Est. Il n'en a rien été: lors de la récente élection présidentielle, le débat s'est focalisé sur la question de savoir s'il fallait conserver l'euro, au risque d'oublier que le centre de gravité de la puissance mondiale s'est déplacé vers l'Asie Centrale. Mais la seule petite chance de survie de l'euro réside dans la disposition éventuelle de la Russie et de la Chine à soutenir la monnaie unique européenne.

Angela Merkel et Emmanuel Macron, en préférant la communication à la diplomatie, se rendent incapables de jouer un rôle dans l'une des zones géographiques où se construit le monde de demain. On a le droit de détester Vladimir Poutine, de critiquer son régime à la Napoléon III; mais la bonne politique ne se construit pas avec des bons sentiments. Il s'agirait à présent de commencer à regarder où se construit la puissance du XXIè siècle. Et de se demander comment participer à cette grande aventure issue de la coopération, exemplaire, entre Russie et Chine pour construire un nouvel équilibre mondial.

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