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Le Conseil constitutionnel a censuré une partie considérable de la loi immigration, que le président de la République a ensuite promulguée.
Le Conseil constitutionnel a censuré une partie considérable de la loi immigration, que le président de la République a ensuite promulguée.
©Wikimedia Commons

Appel au peuple

Gilles Mentré nous accorde un entretien, auteur récemment de "Les deux pouvoirs : la démocratie directe au secours de la démocratie représentative" (éditions Gallimard).

Gilles Mentré

Gilles Mentré est président d’Electis, et conseiller métropolitain (Paris XVIème) du Grand Paris. Il est l’auteur de Les deux pouvoirs : la démocratie directe au secours de la démocratie représentative (Gallimard, 2024) et de Démocratie – Rendons le vote aux citoyens (Ed. Odile Jacob, 2021).

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Atlantico : Le Conseil constitutionnel a censuré une partie considérable de la loi immigration, que le président de la République a ensuite promulguée. Ce genre de situation, qui aboutit sur un texte potentiellement vidé de son sens initial, n’aurait probablement pas eu lieu en cas de référendum. Pourquoi ?

Gilles Mentré : Le Conseil constitutionnel a été dans son rôle, car la Constitution de la Ve République donne tout le pouvoir d’initiative à l’exécutif et limite de fait le pouvoir d’amendement du Parlement. On peut le regretter, mais est-ce que le spectacle d’une commission mixte paritaire (CMP) de 28 parlementaires décidant à huis clos du texte a été beaucoup plus satisfaisant ? Sur un sujet aussi important, un référendum s’impose. Lorsque ce sont les citoyens qui votent, il n’y a ni CMP, ni « cavaliers législatifs », ni même contrôle du conseil constitutionnel. Il n’est pas trop tard ! Il suffirait de 185 parlementaires pour lancer un référendum d’initiative partagée (RIP), qui aboutirait à un référendum si environ 4,5 millions de Français le soutiennent. Ces seuils sont importants, mais pas rédhibitoires sur un sujet aussi important que l’immigration. Le Parlement pourrait toujours s’y opposer à la fin et voter à nouveau sa propre loi. Ce serait politiquement moins légitime qu’un vote populaire, mais au moins la loi ne serait pas tronquée pour des questions de procédure. 

La France ne pratique pas, ou peu, le référendum. Quelles sont les raisons profondes de ce phénomène politique ? Comment, peut-être, y remédier ? 

Le référendum souffre en France d’un double traumatisme : le référendum de 1969, perdu par de Gaulle et à la suite duquel il a démissionné ; et le référendum de 2005, où le rejet populaire du projet de constitution européenne n’a pas été respecté avec la signature trois ans plus tard du traité de Lisbonne. On considère en France que les citoyens sont trop ignorants pour trancher les sujets sérieux, et qu’un référendum ne peut servir qu’à plébisciter le président de la République. La seule façon d’y remédier, c’est que tous les candidats à l’élection présidentielle s’engagent par avance à consulter régulièrement les Français, avec des référendums tous les deux ans comme à Taïwan ou dans les Etats de l’Ouest des Etats-Unis comme la Californie. Au fil des votes, on se rendrait compte que les citoyens ne sont pas si déraisonnables. Ils sont même devenus moins extrémistes que des partis politiques polarisés par la raréfaction des militants et la désaffiliation politique.

Quelles sont les limites, en l’état actuel de la Constitution, d’un référendum en France ? Que faudrait-il modifier pour pouvoir parler, par exemple, d’immigration ? 

La principale limite, c’est que le référendum tel que le prévoit la constitution ne peut être qu’un vote par « oui » ou « non » sur une question ou un texte présenté par le gouvernement. D’une part, cela ne donne pas assez de pouvoir aux citoyens dans l’élaboration de la solution soumise au vote – on peut y remédier en faisant préparer le référendum par une convention citoyenne tirée au sort comme en Irlande ou dans l’Ohio. C’est un instrument utile quand il prépare la décision mais ne décide pas lui-même. D’autre part, le référendum binaire par « oui » ou « non » appauvrit le débat. On n’est pas pour ou contre l’immigration. Même un vote pour ou contre le projet de loi du gouvernement ou le texte du Parlement transmis au conseil constitutionnel est moins riche que ne le serait un vote à choix multiple, dans lequel on pourrait se prononcer séparément sur chacune des grandes mesures proposées : régularisations, AME, quotas migratoires, limitations des prestations, etc. Le vote électronique rendrait évidemment plus facile de tels votes multiples voire préférentiels.

Faut-il se méfier du référendum ? 

On pense encore que les citoyens ne sont pas assez éduqués ou trop influençables pour voter sur des sujets complexes. Cela me fait penser à ceux qui s’opposaient au vote des femmes parce qu’elles auraient été sous l’influence de leurs maris… Les études montrent au contraire que le biais de confirmation (la tendance à chercher dans tous les sujets une confirmation de ce qu’on croit déjà savoir) augmente avec le niveau d’études et pas l’inverse ! Les titulaires de hauts diplômes sont plus « bornés » que les citoyens ordinaires. Pour autant, on ne peut pas voter sur tout par référendum. Pas question de faire un vote populaire sur une question de liberté publique, car sinon on risque l’oppression d’une minorité par la majorité. Pas question non plus de bouleverser par référendum les finances publiques : on aura toujours besoin de parlementaires pour voter le budget du pays, car eux seuls possèdent la vue d’ensemble nécessaire pour procéder aux arbitrages. La démocratie directe n’a pas vocation à remplacer la démocratie représentative. Mais elle est devenue indispensable pour récréer des majorités sur les sujets à propos lesquels le débat politique est devenu trop hystérique.

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