Le prix d'une vie : quand les indemnisations des crashs aériens révèlent d'énormes différences en fonction des nationalités<!-- --> | Atlantico.fr
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Un accord international garantit une indemnisation minimale de 176 000 dollars pour la famille d'une victime d'un crash aérien.
Un accord international garantit une indemnisation minimale de 176 000 dollars pour la famille d'une victime d'un crash aérien.
©Reuters

Pour votre peine

Le crash du MH370 étant maintenant avéré, le long débat sur l'indemnisation des familles de victimes va s'ouvrir. Un processus qui obéit à des logiques particulières selon les nationalités.

François  Nénin

François Nénin

François Nénin est journaliste enquêteur spécialiste de l'aérien et professeur d'investigation au CFPJ. Il a publié trois livre-enquêtes sur l'aérien dont Transport aérien le dossier noir et Ces avions qui nous font peur aux éditions Flammarion. Collaborateur des magazines Marianne et VSD, il a réalisé le film "Air France la chute libre" pour l'émission Special Investigation de Canal Plus et "Où est passé le MH 370" pour Complément d'enquête (France 2). Ayant suivi une formation de pilote privé, il avait créé le site bénévole securvol.fr pour combler le manque d'informations sur les compagnies. Il vient de sortir deux livres de récits : "Oups, on a oublié de sortir le train d'atterrissage" et "Vols de merde, les pires histoires de l'aviation".

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Atlantico : Un accord international, la Convention de Montréal, garantit une indemnisation minimale de 176 000 dollars pour la famille d'une victime d'un crash aérien. Dans les faits, les chiffres sont variables et souvent bien supérieurs. Comment se définit le montant d'une indemnisation d'un crash ? Quels sont les facteurs qui jouent ?

François Nénin : En Europe, il y a des standards pragmatiques reposant sur des précédents qui ont situé une sorte de barème. Il y a donc un premier niveau qui correspond à la Convention de Montréal, qui est la responsabilité automatique de la compagnie, ce qui ne peut pas être discuté. Ensuite, au civil, en France par exemple, le préjudice moral  de la perte d'un mari ou d'une épouse se situe autour de 20 000 ou 30 000 euros. Ensuite, il y a le préjudice économique – par exemple un père qui ne pourra pas financer les études de son enfant – et cela est très codifié par les assureurs.

Généralement, dans les faits, la compagnie prend les devants avant le commencement de la guerre juridique entre le constructeur et le transporteur pour savoir qui est responsable. Elles indemnisent les familles au cas par cas. Dans le cas du Concorde par exemple, c'est la somme de 118 millions d'euros qui ont été versé à la totalité des cent familles concernées. Mais, en contrepartie,  la condition prévue dans l'accord de l'indemnisation était l'absence des familles le jour du procès. Je trouve ces transactions douteuses car on demande à la personne de renoncer à sa quête de vérité. Cela a totalement déséquilibré le procès, car personne ne revendique plus cette vérité au cours des débats. On s'est finalement aperçu que la compagnie américaine Continental, qui aurait soit disant perdu une pièce qui aurait ensuite provoqué l'accident, a porté le chapeau. Elle ne s'est pas laissée faire et a fait appel, mais je pense sincèrement qui si les familles avaient été là, les choses auraient été différente. En 2006, il y a eu le procès du Mont Saint-Odile, quatorze ans après les faits. Les familles étaient là et ont eu largement la parole. En première instance, c'est finalement une décision très favorable qui a été rendue en faveur de l'association des victimes. 

Selon certains experts, pour le vol Malaysia Airlines, les familles de victimes américaines (au nombre de 3) toucheront environ 10 millions de dollars par passagers. Pour les Australiens (6 victimes) ce chiffre serait bien supérieur, alors que les Chinois (152 victimes) ne peuvent guère espérer plus d'un million de dollars. Pourquoi de telles disparités ? 

D'un point de vue humain, cela apparaît choquant. Mais, dans le cadre des indemnisations, les montants compensatoires sont basés sur ce qu'aurait apporté le proche à sa famille en termes de revenus. Une famille qui perd un père cadre ne sera donc pas indemnisé de la même façon que si la victime était ouvrier. On considère que le montant de capital qu'il aurait pu apporter sur la trentaine d'année de carrière qu'il aurait pu avoir ne sera pas le même. Ce sont des arguments cyniques, mais qui reposent sur des réalités chiffrables, et qui sont chiffrés depuis longtemps par les compagnies d'assurances. 

Comment le calcul des indemnisations a-t-il évolué ? Combien ont par exemple touché les victimes des crashs français comme le Rio-Paris en 2009 ou le Concorde en 2000 ?

Pour le Concorde, le montant a été de 118 millions d'euros pour l'ensemble des familles. Pour le Rio-Paris, la question est encore en cours. Un des avocats des victimes a évoqué un montant total de 360 millions d'euros. Deux tiers des familles des victimes brésiliennes et 20% de celles des victimes françaises ont été indemnisées par Axa, l'assureur d'Air France. Les autres ont saisi la justice, et des discussions sont encore en cours. On peut hélas se demander si le fait de saisir la justice, tout en étant en phase de négociation, n'est pas une manière de mettre la pression sur l'assureur et la compagnie. Lors du crash de l'avion de la Flash Airlines, le 3 janvier 2004, après son décollage de Charm el-Cheikh (148 victimes, quasiment toutes françaises), les débats ont été houleux parmi les membres de l'association des victimes. Pourquoi ? Car il a été établi que l'accident a eu lieu pour une faute évidente de pilotage. Mais certaines familles de victimes ont voulu attaquer Boeing en prétextant un défaut de l'appareil, sans doute pour augmenter l'indemnité, car la minuscule compagnie était déjà en dépôt de bilan. Cette manière d'exercer une pression semble assez nouvelle et contraire à la culture française de recherche de la vérité, qui s'oppose à une vision plus "américaine" de discussion de l'indemnisation autour du préjudice.   

Selon les observateurs, Malaysia Airlines va sûrement devoir débourser entre 500 et 700 millions de dollars pour indemniser toutes les familles. Un crash aérien peut-il plonger une entreprise aéronautique dans le rouge ? Quel a par exemple été l'impact sur Air France du crash de 2009 ?

Je trouve le chiffre assez élevé quand même, car l'intégralité du coût pour le Rio-Paris a été estimée à 500 millions de dollars en comprenant le prix de l'avion. Les compagnies sont assurées, ce ne sont donc pas elles qui vont supporter directement les coûts mais les assureurs. Après bien sûr, cela va se retrouver dans ce que la compagnie va devoir payer à son assureur pour couvrir ses risques. Ce n'est donc pas ce qu'il y a à verser aux familles qui peuvent plomber la santé financière. Ce peut être déjà ce que la compagnie va devoir verser pour participer aux recherches, qui ont coûté une fortune pour le Rio-Paris. Mais ce sont les dommages collatéraux qui vont être catastrophiques pour la compagnie : le prix de l'action va peut-être dégringoler, mais c'est surtout en termes d'image que le préjudice financier sera le plus fort. On peut même voir dans certains cas, pour essayer de contourner cet effet, les compagnies pratiquer le "stick change", à savoir le changement pur et simple de nom. Par exemple, la compagnie chypriote Helios Airways a connu un crash en août 2005 du à un problème de maintenance (121 morts, ndlr). Pour pouvoir revenir sur le marché du transport aérien, une recapitalisation a été votée avec un changement de nom de la compagnie qui s'appelle aujourd'hui "Ajet"…

Propos recueillis par Damien Durand 

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