Le pouvoir d’achat des Français connaît la baisse continue la plus longue depuis 1959 (et cette fois-ci, l’inflation n’y est pour rien)<!-- --> | Atlantico.fr
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En 2013, le pouvoir d'achat des Français a baissé pour la seconde année consécutive.
En 2013, le pouvoir d'achat des Français a baissé pour la seconde année consécutive.
©Pixabay

La courbe qui baisse sans cesse

En 2013, le pouvoir d'achat des Français a baissé pour la seconde année consécutive. Une première depuis 50 ans en France. S'il est tentant, et fréquent d'attribuer ce phénomène à une inflation qui viendrait éroder progressivement le niveau de vie de la population, il en va tout autrement dans la réalité.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Le 24 septembre, une étude menée par 60 millions de consommateurs indiquait :

"Le pouvoir d’achat recule. Ce n’est pas une surprise. Mais on peut désormais poser un chiffre sur ce recul, grâce à l’étude que 60 Millions de consommateurs vient de publier : – 4 % entre 2009 et 2014. Concrètement, ce chiffre signifie que les ménages ont perdu en moyenne près de 1 500 € annuels de pouvoir d’achat sur la période étudiée."

Un résultat obtenu en traquant l’évolution des prix et son impact sur le pouvoir d’achat, pour un résultat sans appel ; l’inflation vient éroder le pouvoir d’achat des français. Pourtant, un tel constat mérite quelques précisions.

Le ralentissement de la progression du pouvoir d’achat : un fait incontestable

Selon les données publiées par l’INSEE, l’évolution du pouvoir d’achat des français, ici pour une personne seule, suit une trajectoire baissière constante. Si le pouvoir d’achat a continué de se renforcer, son rythme de progression s’affaiblit année après année depuis les années 60. Une situation visible dans le graphique ci-dessous retraçant une moyenne sur 5 ans depuis 1970 :

Et la nouveauté apparaît clairement. Pour la première fois, le pouvoir d’achat passe sous la barre fatidique du 0% pour les années 2012 et 2013. La notion de "déclin" prend alors un sens réel.


Afin d’expliquer ce phénomène, il devient tout naturel de rechercher les causes de cette érosion du côté de l’inflation. En effet, la période des années 70 aurait apporté une leçon fondamentale : l’inflation est la cause de la baisse du pouvoir d’achat. Une explication qui se justifie très simplement en constatant l’évolution inverse des deux variables au cours des années 70.

La corrélation est parfaite. Dès que l’accélération inflationniste prend place au début des années 70, le pouvoir d’achat commence à décliner fortement. La conclusion est alors claire et nette : l’inflation érode le pouvoir d’achat et l’inflation doit être combattue à tout prix.
C’est exactement le sens du "tournant de la rigueur" de 1983. L’inflation est l’ennemi public n°1 des politiques économiques, et les premiers résultats vont arriver rapidement. De 13.6% en 1980, la hausse des prix n’est plus que de 2.7% en 1986. Le combat est d’ores et déjà gagné et le pouvoir d’achat des français progresse à nouveau, comme cela est visible dans le premier graphique.

La chasse à l’inflation

Dès lors, la corrélation négative entre inflation et pouvoir d’achat devient un acquis politique. Il n’est plus raisonnable de parler d’inflation dans un sens positif, il s’agit du mal absolu. L’évidence de l’expérience des années 70 et 80 ne supporte aucune contestation.
Puis, au début des années 2000 l’euro fait son apparition et la vigilance anti inflation peut alors commencer. La hausse des matières premières entre les années 2005 et 2008 aura alors un impact fort sur les esprits, mais également sur les portefeuilles. La naissance du phénomène de "Shrinkflation", dont le principe est de vendre au même prix un bien dont le contenu se réduit au fil des années participe également à la psychose. Un ensemble d’indices qui vont avoir un effet puissant sur la perception de hausse des prix par la population. Et en effet, entre 2000 et 2013, les prix ont augmenté en France. Le constat n’est pas contestable, mais il doit cependant être relativisé par rapport à ce qu’a pu connaitre le pays lors des années précédentes :

Si l’inflation est bien positive en France, aucune comparaison n’est possible avec les années antérieures. Le rythme de progression est historiquement bas, pour en arriver à 0.5% en ce mois de septembre 2014 (sur la dernière année). Une première depuis les années 30. Certes, Les prix "montent", mais beaucoup moins qu’avant.

Un bouleversement économique ?

Même si la hausse des prix est encore une source d’angoisse pour le pouvoir d’achat, c’est un tout autre phénomène économique qui est actuellement à l’œuvre en France. Après la corrélation négative entre inflation et pouvoir d’achat au cours des années 70 et au début des années 80, c’est une situation inversée qui se manifeste aujourd’hui en France, mais également en Europe. Désormais pouvoir d’achat et inflation progressent dans la même direction : à la baisse.

En raison de l’expérience des années 70, cette "nouvelle" situation paraît être totalement contrintuitive. Il n’est absolument pas logique de considérer que la faible inflation puisse être liée à la baisse du pouvoir d’achat. Et pourtant, cette confusion entre inflation et pouvoir d’achat est dénoncée par de nombreux économistes de tous bords "idéologiques" :
Le libéral Nick Rowe : "la fallacie de l’inflation"
Rowe "Parfois, je désespère. Parfois je me demande si l’erreur de l'inflation est à la racine de tous les maux des États-Unis et de la zone euro."

Le monétariste Scott Sumner : "De quoi parlons-nous lorsque nous parlons d’inflation"
Sumner : "Parfois j’ai envie de me tirer une balle. Par exemple lorsque je lis pour la millionième fois qu’une politique expansionniste va impacter les consommateurs par une hausse des prix"
Le Keynésien Paul Krugman (en réponse à une phrase de Mario Draghi qui indiquait en juin 2013 que "avec une faible inflation, on peut acheter plus de trucs") : "Déprimant Draghi"
Krugman "Avec une faible inflation, on peut acheter plus de trucs ???? N’apprenons nous pas à nos étudiants de première année qu’il s’agit d’une erreur naïve, que la faible inflation signifie aussi une faible croissance des revenus, et que le coût de l’inflation n’a rien à voir avec une réduction du pouvoir d’achat ?"

La baisse de l’inflation : la nouvelle menace sur le pouvoir d’achat ?

Cette idée de l’inflation ennemie du pouvoir d’achat est tenace, mais elle ne correspond pas à la réalité. Parce que l’inflation n’est qu’un symptôme. Lorsque 60 millions de consommateurs traque la hausse des prix pour expliquer la baisse du pouvoir d’achat, l’institut rate sa cible.

Parce que la baisse du pouvoir d’achat est avant tout la traduction de la baisse de la croissance :

Si l’on accepte l’idée que l’inflation fait baisser le pouvoir d’achat, cela signifierait donc que l’inflation fait baisser la croissance ? Et cette idée est simplement fausse. Il s’agit de la "fallacie" de l’inflation. Ce n’est pas l’inflation qui provoque la chute de la croissance. Sinon, comment expliquer que l’inflation soit aujourd’hui à 0.5% alors que la croissance affiche une parfaite stagnation à 0% ?

Parce que la faible inflation d’aujourd’hui n’est rien d’autre que la conséquence d’une faible demande. Parce que la "demande" est en chute libre en Europe depuis 2008, et que celle-ci entraine les prix, les revenus, et le pouvoir d’achat des français avec elle. L’inflation ne nous apprend rien de sa cause puisqu’elle n’est qu’un symptôme. La grande inflation des années 70 était le symptôme d’une politique trop expansionniste et la faible inflation d’aujourd’hui n’est que le résultat d’une politique de restriction de la demande. Ce dont le pouvoir d’achat a besoin aujourd’hui, est de plus demande. Et si la progression de la demande se manifeste aussi par une hausse de l’inflation, elle se traduira d’abord par une progression de la croissance, des revenus et du pouvoir d’achat.

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