Le nouveau job étudiant à la mode ? Quand la Chine recrute des espions à tour de bras sur les campus occidentaux <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Le Parti communiste chinois développerait actuellement tout un réseau d'espions au sein des universités australiennes.
Le Parti communiste chinois développerait actuellement tout un réseau d'espions au sein des universités australiennes.
©Reuters

Agent double

Depuis la reconnaissance de la République Populaire de Chine dans les années 1960, le pays a fait du renseignement une arme au service de son développement économique. Ainsi, les étudiants chinois expatriés deviennent des espions du Parti communiste pour recueillir des informations sur les avancées technologiques de nombreux pays occidentaux.

Alain Chouet

Alain Chouet

Alain Chouet est un ancien officier de renseignement français.

Il a été chef du service de renseignement de sécurité de la DGSE de 2000 à 2002.

Alain Chouet est l'auteur de plusieurs ouvrages sur l’islam et le terrorisme. Son dernier livre, "Au coeur des services spéciaux : La menace islamiste : Fausses pistes et vrais dangers", est paru chez La Decouverte en 2011.

Voir la bio »

Atlantico : Selon John Garnaut, reporter au Sydney Morning Herald (lire ici), le Parti communiste chinois développerait actuellement tout un réseau d'espions au sein des universités australiennes. Le Parti communiste recruterait en effet ses espions parmi les étudiants chinois expatriés. Quelle est l'ampleur de ce phénomène et des situations similaires ont-elles été observées en France ?

Alain Chouet : Ce n’est nullement une nouveauté et ce n’est pas réservé à l’Australie. Depuis la reconnaissance de la République Populaire de Chine par la plupart des pays occidentaux dans les années 60, de nombreuses conventions culturelles, universitaires, scientifiques et techniques ont été conclues permettant à des étudiants chinois de venir compléter ou approfondir leurs connaissances dans la plupart des pays développés. Les gouvernements occidentaux espéraient que ces facilités accordées à la Chine leur permettraient à terme d’ouvrir le marché chinois à leurs productions.
Les Chinois voyaient les choses différemment et dès la fin des années 60 il a bien fallu constater - notamment en France - que nombre de boursiers chinois profitaient de leur séjour dans des instituts de haute technologie, des laboratoires publics ou privés ou des facultés de science pour tenter de recueillir des informations de pointe classifiées en dehors de leur programme de recherche, soit directement soit par l’intermédiaire de contacts locaux avec qui ils avaient sympathisé. Ces tentatives ont donné lieu a de nombreuses réactions et opérations de contre-espionnage de la DST mais ont en général été traitées avec discrétion afin de ne pas mettre le gouvernement chinois dans l’embarras et de ne pas nuire aux relations politiques avec Pékin.

Quel est l'intérêt de recruter des espions parmi les étudiants installés à l'étranger ? Quels types d'informations le PC cherche-t-il à obtenir ? Quelles informations sont-ils chargés de récolter ? 

La Chine dispose d’un énorme potentiel à la fois humain et en matières premières. Mais, au lendemain de la Révolution culturelle qui avait fini de ruiner le pays après presque un demi-siècle de guerres internes et étrangères, il lui manquait cependant le socle de connaissances technologiques et les moyens financiers de recherche et de développement lui permettant de valoriser ce potentiel. L’espionnage - qui s’analyse en un vol de savoir-faire - est une réponse classique à ce manque. C’est un moyen économique d’engranger des connaissances avancées, donc des richesses, sans avoir à les payer. Les souverains de France et d’Angleterre ne procédaient pas autrement, quoique de façon plus brutale, au 17e siècle en armant des navires-corsaires pour aller piller l’or des galions espagnols dans les Caraïbes. Et l’URSS, qui a longtemps servi de modèle à la Chine communiste, a pratiqué intensément ce sport des années 30 aux années 70.
Cela dit, le champ de l’espionnage chinois est vaste et s’applique à peu près à tous les domaines de la science, de l’industrie et, aujourd’hui, des biens de consommation courante. Chaque unité élémentaire de recherche ou de production en Chine définit ses besoins en connaissances scientifiques et technologiques. Ces besoins sont recensés par les ministères compétents et donnent lieu à l’établissement de plans de recherche destinés à se traduire en actions concrètes de recherche à l’étranger. Ces actions peuvent être menées à partir de sources ouvertes ou, pour les plus pointues, par des actions d’espionnage confiées aux services spéciaux mais également à tout citoyen chinois se rendant hors des frontières pour des activités commerciales, scientifiques ou d’étude dans le domaine considéré.

Comment expliquer que des étudiants appartenant à de grandes universités acceptent de collaborer avec le parti alors que leur présence à l'étranger pourrait justement représenter une occasion de s'émanciper ?

C’est là une vision très "occidentale", voire très française, des choses et qui suppose que les Chinois vivraient sous un régime d’oppression dont ils souhaiteraient s’évader à tout prix. Ce n’est plus le cas depuis longtemps pour la plupart d’entre eux. Concernant l’espionnage, la culture chinoise est plus proche des Britanniques que des Français. La cohésion familiale, sociale et nationale demeure très forte en Chine. Chaque Chinois qui se rend à l’étranger se sent comptable des services qu’il peut rendre à la collectivité nationale et ne manquera pas de répondre aux sollicitations qui lui sont faites par les autorités s’il estime que cela peut être utile à la Nation. Refuser de répondre aux demandes des autorités serait de plus considéré comme un acte asocial susceptible, s’il était connu, de faire perdre la face, voire pire, au récalcitrant ainsi qu’à toute sa famille qui demeure au pays.

Ce recrutement fonctionne-t-il moins bien lorsque les étudiants se sentent bien intégrés dans le pays d'accueil ?

Il n’existe pas d’étude sérieuse là-dessus mais ce n’est probablement pas le cas. Tant qu’il n’a pas fait le choix de quitter définitivement son pays avec toute sa famille pour émigrer ailleurs et s’y installer, un Chinois garde en général un fort attachement et une grande fidélité pour les intérêts de sa patrie. Cela paraît sans doute "ringard" pour des Occidentaux mais au travers des conflits, des guerres incessantes et de l’immense mépris dont ils ont été victimes depuis plus d’un siècle, les Chinois n’ont dû leur survie qu’à cette forte cohésion nationale qui les unit au-delà des profondes différences et de la diversité des peuples de ce pays.

Comment les pays concernés peuvent-ils contrer cette offensive ? 

Ce n’est pas une "offensive", c’est un état permanent qui trouve ses origines dans les grandes inégalités de développement entre puissances. Il serait injustifié et injuste de dénier à la Chine un droit au développement auquel elle peut prétendre en raison de ses potentialités. Il serait tout aussi injuste que ce droit s’exerce à nos dépens exclusifs.
Le problème de l’espionnage chinois est le même que celui que nous avons connu avec l’URSS au milieu du 20e siècle. S’en prémunir suppose que nous fassions nous-même preuve d’esprit de défense, de cohésion nationale, d’humilité, de souci de protection de notre patrimoine collectif et d’un minimum d’intelligence pour aider nos services de contre-espionnage dans leurs missions. Il serait stupide de croire naïvement que nous sommes à l’abri du pillage parce que nous serions plus malins que les autres. Nous serons toujours des objectifs pour ceux qui recherchent des chemins de traverse en vue de combler au moindre coût leurs retards de développement.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !