Le mobile nous pousse-t-il de plus en plus à être multi-tâches ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le temps que nous passons à jongler entre les différents outils de distraction et d'information est un changement profond de communication au quotidien.
Le temps que nous passons à jongler entre les différents outils de distraction et d'information est un changement profond de communication au quotidien.
©Nizurack

Unlimited

Deux jobs à la fois, trois conversations simultanées, quatre actions en même temps : depuis les années 1980, nous cumulons de plus en plus d'activités. Pas par voracité d'informations, mais par addiction aux relations affectives.

Atlantico : D'après l'INSEE, chiffres de 2010, les Français passent 2h02 devant la télévision, 1h23 devant un ordinateur et envoie jusqu'à 242 sms par jour. Le temps que nous passons à jongler toute la journée entre les différents outils de distraction et d'information est un changement profond de communication au quotidien. Le mobile nous incite-t-il de plus en plus à faire plusieurs choses en même temps ?

Stéphane Hugon : Ce n’est pas le mobile qui nous oblige à faire plusieurs choses en même temps.

La première réponse est de nature sociologique, plutôt historique même. Pendant 200 ans, disons à partir de la fin du XVIIIè siècle et jusqu’aux années 1980, on a connu une vaste période durant laquelle, en Occident, s’établissait une espèce d’obligation implicite d’entreprendre une seule activité à la fois et chacune d’elle s’opposait aux autres. On était dans une forme d’exclusivité de nos pratiques et de notre identité : soit un homme soit une femme, soit de gauche soit de droite, soit travailleur soit chômeur.

Et puis on est rentré dans une ère de complexité du fait que l’on puisse cumuler plusieurs emplois, plusieurs polarités, etc. A partir de ce moment-là, toute notre identité culturelle, économique, politique ou encore sexuelle a commencé à se brouiller. On a remplacé une société du « ou » par une société du « et ». Cela a impacté directement notre manière de travailler, de sociabiliser également et aujourd’hui nous sommes disponibles pour développer des formes d’identité qui sont paradoxales contradictoires.

On parle beaucoup des « slashers », ces gens qui ont deux jobs. L’un diamétralement opposé à l’autre. Par exemple, vous êtes peut-être à la fois journaliste et créatrice de mode. La transformation identitaire est rendue possible par la technologie. Les spécialistes du marketing et de l’analyse d’audience ont beaucoup de problèmes avec cela. Parce que justement aujourd’hui, on écoute la radio en fond, parfois il y a une première télévision sur laquelle il n’y a pas de sons et une autre sur laquelle il y a le programme que l’on visionne, et en plus de tout cela, le programme est choisi en fonction des commentaires que peuvent en faire nos amis, instantanément, sur les réseaux sociaux. Bref, une hyperconsommation des écrans. Les temps ne sont plus à l’exclusivité mais à l’associatif. Il y a superposition d’identité et de canaux techniques.

En quoi est-ce une bonne nouvelle ?

Parler de développement des capacités intellectuelles, d’enrichissement, c’est une version optimiste ! La réalité empirique est différente. Nous faisons beaucoup d’observation sur le comportement des gens, chez eux, devant leur télévision par exemple. On observe plutôt une sorte d’impatience.

Par exemple, Madame Michu regarde un débat politique mais elle continue de se renseigner sur son smartphone, eh bien on réalise que ce n’est pas tant pour chercher une information et confirmer ce qui est dit à la télévision mais plutôt et surtout pour garder ce que j’appelle un « rythme dramatique », une intensité d’adhésion voire affective. C’est une forme de Carpe diem. Un enrichissement personnel oui mais d’ordre relationnel, par exemple répondre à quelqu’un au plus vite, se rassurer, savoir qu’il est présent et pense à nous. Ce n’est donc pas tellement pour aller chercher du contenu.

Sur un plan empirique, là encore, les situations où les personnes sont véritablement en recherche de contenu sont relativement marginales. La plupart du temps, dans l’espace digital, on ne recherche pas des informations, on recherche des personnes. Bien sûr les gens regardent des vidéos, lisent des articles mais ce qu’ils recherchent surtout c’est quelque chose qui leur est suggéré.

A travers la suggestion, ils recherchent une relation sociale implicite, une manière d’être confirmé par l’autre dans le fait que l’on regarde tel ou tel film par exemple. On recherche l’adhésion à un groupe. Le phénomène Psy avec son Gangnam Style en est un parfait exemple. On ne peut pas croire que cela a tant intéressé les gens. C’est un effet de mode certes, mais aussi une vision très européenne, de l’ordre de la dérision, une façon de rire de quelque chose ensemble afin de souder la communauté. Du coup le contenu est secondaire. Finalement ce qui importe c’est l’horizontalité, le rapport social.

Les nouveaux moyens de communication changent-ils notre rapport au savoir ?

Michel Serres a récemment écrit un livre intitulé Petite poucette. Ce qu’il veut dire par là est que l’on est face à une génération qui se cultive avec ses pouces : le savoir obtenu avec par le biais de différents écrans. Il montre en fait qu’on n'a plus besoin d'apprendre puisque toutes les informations sont disponibles en quelques clics. La structure de l'apprentissage est complètement transformée.

En effet, on n'a plus besoin de faire appel à notre mémoire, on n'a plus besoin non plus de lire les pages pour obtenir l'information recherchée. Cela est en opposition avec notre apprentissage grâce aux livres : pour connaître la fin de l'histoire, la conclusion du livre, il faudra lire les 200 pages qu'il contient tandis que sur Internet par exemple nous ne lisons plus de façon linéaire. Nous vagabondons et allons à l'essentiel sans s'attarder sur ce qui nous semble être un détail. Dès qu'un mot est important, avec le lien hypertexte, nous passons de suite sur une page qui va expliquer le point qui nous intéresse, etc.

Le Savoir n'est pas superflu, on doit juste s’adapter à une nouvelle façon d'apprendre. Pour les générations futures, il va y avoir un effet de synthèse, de pertinence, d'assemblage qui est beaucoup plus fort que les générations précédentes.

Quels peuvent être les effets pervers de cette nouvelle tendance ? 

Bien sûr, le premier est l'oubli. Puisque l'on a plus besoin d'utiliser sa propre mémoire, on pourrait supposer que la physiologie du cerveau va changer. Et puis, ces outils écrasent la hiérarchie. Ils nous obligent à penser différemment la relation à l'autorité, à l'expertise et au pouvoir. C'est le fameux effet 2.0 qui apporte un modèle de management totalement différent dans les entreprises. Avant, dans le management post industriel, il n'était possible de parler à quelqu'un qu'en suivant la hiérarchie. La situation est désormais beaucoup plus horizontale.

On ne peut pas parler d'isolement ou de dépendance. On parle plutôt d'addiction. Les adolescents passent beaucoup de temps sur leurs écrans et dorment souvent avec leur mobile. On note au contraire une incapacité à être isoler, on est incapable de se détacher des autres, C'est une forme de relation affective disproportionnée.

Quel potentiel économique cela peut-il représenter ?

Il suffit de regarder les grands opérateurs qui représentent les capitalisations boursières les plus importantes de toute l'histoire de l'économie. Le digital vient modifier les habitudes des consommateurs, l'esprit du service, les dimensions financières.

Aujourd'hui, il y a 22 millions de mobinautes en France, 42 millions d'internautes donc plus de la moitié de la population. Bref, un potentiel énorme pour le marché du digital.

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