Le magnifique : Jean-Paul Belmondo ou les secrets d’un Made in France que nous avons perdu <!-- --> | Atlantico.fr
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Une photo d'archive prise en mai 1974 de Jean-Paul Belmondo lors du Festival de Cannes. L'acteur français est décédé à l'âge de 88 ans.
Une photo d'archive prise en mai 1974 de Jean-Paul Belmondo lors du Festival de Cannes. L'acteur français est décédé à l'âge de 88 ans.
©AFP

Monstre sacré

Un hommage national sera rendu à Jean-Paul Belmondo, le jeudi 9 septembre aux Invalides. Le "magnifique" est mort ce lundi à l'âge de 88 ans. Jean-Paul Belmondo est une star éminemment française. Comment expliquer ce phénomène ? Son destin personnel peut-il être rapproché de l’évolution de la société française ?

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Atlantico : Certains artistes deviennent des stars en misant tout sur l’originalité de leur talent, d’autres déploient un génie artistique qui résonne profondément avec leur époque. Ou leur pays. Jean-Paul Belmondo est une star éminemment française et cela paraît une telle évidence qu’on ne se demande même plus pourquoi. Comment l’expliquer dans son cas ?

Bertrand Vergely : On ne réussit pas parce que l’on mise soit sur son talent, soit sur la résonance avec l’époque. On réussit parce que l’on aime qui on est, ce que l’on fait, ceux avec qui on le fait et ceux et celles pour qui on le fait.   C’est la raison pour laquelle Jean-Paul Belmondo a réussi. Il n’a pas misé. Il n’a pas cherché à miser. Il a avant tout été un passionné faisant vivre ce qui le passionnait, en l’occurrence le cinéma, le théâtre, le fait d’être acteur, le fait de jouer à être un acteur.

Dans les années 80-90, un tournant a eu lieu. Traditionnellement, une star n’était pas le résultat d’une opération commerciale. Une réussite commerciale était éventuellement le résultat d’une star. On ne fabriquait pas une star en lui suggérant d’exacerber son individualité ou à l’inverse d’être en phase avec son époque. On ne cherchait pas à plaire à l’égo du spectateur en créant des idoles ou à rejoindre ses préoccupations en l’immergeant dans  les questions d’actualité revisitées par le cinéma. On cherchait avant tout à faire vivre le cinéma en se disant que si le cinéma savait être du cinéma, il y aurait immanquablement des retombées commerciales appréciables. Le cinéma croyait encore au mythe du cinéma. Il croyait encore à la mise en scène fabuleuse de la réalité et des êtres humains.

Lorsque les années 80-90 sont apparues, tout a changé. Le but du cinéma n’a plus été le cinéma mais le cinéma qui marche. La nuance est importante. Quand le cinéma est le cinéma, il est mentalement libre.  Quand il devient le cinéma qui marche, il ne l’est plus. La réussite se met à lui dicter ce qu’il doit faire.

Certes, il a eu du succès et il a gagné de l’argent. Mais il a vécu dans un cinéma et pour un cinéma qui était encore naïf et romantique en croyant et en voulant faire croire à la grande aventure du cinéma avec la grande famille des acteurs. Parlez aujourd’hui de la grande aventure du cinéma et de la grande famille des acteurs. On vous rit au nez.

Les Français, qui sont un peuple romantique et naïf, ont aimé Belmondo pour cela. Ils l’ont aimé parce qu’ils ont pensé que Belmondo, aimant le cinéma, allait le leur faire aimer. En quoi, ils n’ont pas eu tort. Belmondo leur a fait aimer le cinéma. Il le leur a fait aimer parce qu’il l’aimait, mais aussi parce qu’il l’aimait à la française.

La France est un style. Belmondo a incarné le style français. Ce style est la rencontre entre le charnellement populaire et l’élégance d’une certaine grandeur. Être populaire mais grandement populaire : les Français adorent. Cela se voit chez Arletty. Elle a su être très charnelle avec beaucoup de classe. Cela se voit chez Brigitte Bardot qui a su être tellement charnelle que cela devenait grand. Avec Belmondo, on a assisté au même phénomène. Il a su donner de la classe au fait d’avoir une dégaine et un parler très populaire.  De Gaulle a insufflé l’idée que l’on pouvait être charnellement français pourvu que l’on soit grand et qu’il y ait une certaine idée de la France. Le cinéma a appliqué ce principe gaullien  inspiré par le côté d’Artagnan et Cyrano si cher à la mémoire française. Si sur le plan féminin, Arletty et Brigitte Bardot ont su faire vivre le charnel en lui donnant une grandeur française, Belmondo a fait vivre le charnel en lui donnant lui aussi une grandeur française.

Acteur de la nouvelle vague comme de succès populaires massifs dans les années 70 et 80, Jean-Paul Belmondo avait un peu perdu de sa superbe au tournant des années 90, certainement pas dans le cœur des Français mais dans l’esprit de l’intelligentsia. Les inflexions de son destin personnel peuvent-elles être rapprochées de l’évolution de la société française et de son intégration à la mondialisation ?

Bertrand Vergely : Il est certain que la culture devenant mondiale et non plus nationale, le national qui passait à un moment a cessé de pouvoir passer. Mais, le mondial étant sans saveur et sans consistance, le national n’est pas aussi fini qu’on le pense. L’erreur quand on pense la mondialisation consiste à croire que ce qui se mondialise se mondialise à partir du mondial. Quand quelque chose se mondialise, cela se fait toujours à partir d’une particularité. Jean-Paul Belmondo a terriblement plu aux Japonais. Il leur a plu parce qu’il était français et non parce qu’il était mondial. Ce que l’on appelle aujourd’hui le mondial ne réside pas dans le mondial mais soit dans l’américanisation du monde version USA, soit dans l’américanisation du monde version Chine.

On croit que le monde s’est mondialisé. Le monde ne s’est pas mondialisé. Il n’a pas cessé de s’américaniser comme il avait commencé à le faire dans les années 30, du siècle dernier et surtout après la seconde guerre mondiale.

Le monde a toujours la culture du vainqueur. Quand Rome a été le vainqueur, le monde a eu comme culture la culture romaine. Quand l’Amérique a gagné la seconde guerre mondiale, le monde a eu la culture américaine. Certes, l’Amérique a perdu la guerre du Vietnam. Le monde n’a pas pour autant cessé d’avoir la culture américaine.

Belmondo a reflété une certaine image de l’américanisation du monde à la française. Dans Pierrot le fou, la fameuse scène où Jean Seberg vend le journal sur les Champs-Élysées avec son accent américain est l’image de cette américanisation à la française. Il y en a d’autres. Si Arsène Lupin est un gentleman cambrioleur, Belmondo a su être un gentleman cascadeur. En étant ce gentleman, il a su être une sorte de James Bond à la française, remplaçant la virilité ténébreuse de Sean Connery par une virilité espiègle.

Le style « à la française » de Belmondo a passé. Il est normal qu’il passe. Un style ne peut pas s’éterniser. On est immortel parce que l’on est mortel et non parce que l’on ne meurt jamais. Imaginez que l’on continue de faire des films comme on en faisait dans les années 60. Faisant toujours le même film, ce cinéma serait mort.  C’est parce qu’un style accepte de passer que rentrant dans les  mémoires et non plus dans l’actualité, il devient inaltérable. Enfin, il y a un dernier élément qu’il convient de prendre en compte.

Jean-Paul Belmondo a connu l’essor et le succès. Puis, il s’est effacé. Il est beau de s’effacer. On ne peut pas toujours demeurer ce que l’on a été. Une chose a changé dans la société française : l’idée qu’il était possible de ne pas changer. On ne peut pas toujours être le grand acteur que l’on a été. Il faut savoir ne plus l’être afin de laisser à d’autres la possibilité de pouvoir le devenir.

Belmondo, qui doit tout au fait d’avoir aimé le cinéma, le théâtre et la vie d’artiste, représente un monde où le sacré n’existe plus. Quand le sacré existe, on est un acteur parce que l’on est un acteur sacré. Comme on est un acteur sacré, on est un acteur pour l’éternité. Quand le sacré n’existe plus, on est un acteur parce que l’on est un homme. Comme on est un homme, on connaît le destin de tous les hommes quand ils sont simplement des hommes : la vie, la mort, l’amour pour reprendre le titre d’un film de Claude Lelouch. On naît. On grandit. On vieillit et on meurt. Belmondo a dû son succès au fait d’avoir été un homme. Il a dû son déclin au fait de n’avoir été qu’un homme. Quand il est recalé au Conservatoire, un membre du jury qui le recale lui dit « Le professeur te désapprouve mais l’homme te dit bravo ». Belmondo est recalé par ses professeurs au Conservatoire parce qu’il est trop humain et pas assez acteur. Il est adulé par ses camarades du Conservatoire qui le portent en triomphe bien qu’il soit recalé parce qu’il est humain avant d’être acteur. S’il y a Belmondo, il y a Bebel. Quand il reçoit une panoplie de décorations toutes plus prestigieuses les unes que les autres, c’est Belmondo que l’on honore. Quand le public l’aime, c’est Bebel qu’il aime. Derrière Belmondo, il y a Bebel. Derrière Bebel, il y a Belmondo. Belmondo-Bebel a su faire vivre les deux. Le classicisme dans le populaire et le populaire dans le classicisme. L’homme derrière l’acteur et l’acteur derrière l’homme. La démocratie veut que l’on soit homme et non sacré. Aussi fabrique-telle des mortels et non des dieux. Si les dieux ne meurent jamais, les mortels meurent un jour. La démocratie a fait mourir Belmondo pour les mêmes raison qu’elle l’a fait vivre. Elle l’a adoré parce qu’il était un homme. Elle l’a tué parce qu’il n’a jamais été qu’un homme.

L’énorme émotion provoquée par la disparition de Jean-Paul Belmondo renvoie aussi à la nostalgie du monde dont il avait su être l’un des héros. Comment interpréter ce paradoxe d’un monde dont les codes et les valeurs sont devenus si décriés mais qui pourtant semble manquer à tant de gens... Est-ce lié au simple passage du temps qui efface les accrocs ou à quelque chose de plus profond ?

Bertrand Vergely : Qui aime Belmondo ? Une génération, pas toutes les générations. Toutes les générations ne connaissent pas Belmondo. Pour la nouvelle génération, il ne signifie rien. En revanche pour toute une génération, il signifie beaucoup. Née autour des années 50 et ayant aujourd’hui autour de 70 ans, cette génération a aimé Mai 68 et sa désacralisation des valeurs traditionnelles. Désacralisant les valeurs, elle n’a pas pour autant détruit toute valeur. Au contraire. Quand elle a désacralisé, elle l’a fait au nom de la valeur, la valeur étant que l’on soit authentique. Chez Sartre, cela donne l’attitude de l’homme existentiel. Quand il refuse les codes, ce n’est pas par nihilisme, c’est par souci d’inventer les valeurs. La génération qui a aujourd’hui 70 ans et qui a aimé et aime Belmondo se reconnait dans l’homme authentique sartrien. Godard et la nouvelle vague ont vécu pour cet homme. Belmondo l’a incarné. On peut ne pas avoir un physique de jeune premier comme Delon et être pourtant un séducteur qui séduit à la fois les femmes et le public. Il suffit d’avoir de la présence. Belmondo avait de la présence, une présence folle. Quand on a une présence, nul besoin d’avoir un physique de jeune premier pour séduire. Il suffit d’avoir une gueule. Belmondo avait une gueule. Il avait de ce fait de la gueule. Avoir de la gueule, cela veut dire avoir de la présence et de la gouaille. Les femmes adorent. Le public aussi. Elles se disent qu’elles ne vont pas s’ennuyer. Il se le dit aussi. La mode a changé. La tendance est d’être trash. Le cogneur a remplacé le charmeur. On ne cherche plus à être authentique. On cherche à être dur. Le commercial. La dureté. Le commercial comme dureté. La dureté comme commercial. La génération des 70 ans n’ose pas trop dire ouvertement qu’elle est contre. Elle a peur d’être taxée de conservatisme. Alors, pour parler d’une époque que l’on n’aime pas, il y a ce dérivatif qui consiste à parler d’une époque que l’on a aimé. La mort de Jean-Paul Belmondo en offre l’occasion. L’émotion qu’elle suscite est à cet égard un message. Il existe un rêve secret d’homme vrai dont Belmondo-Bebel a été l’incarnation. Que la postmodernité cesse de décevoir ce rêve.

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