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Le jour où ma peur panique des aiguilles m'a (méchamment) rattrapé
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DAILY BEAST

Pour un enfant qui a grandi avec la peur panique des aiguilles chevillée au corps, qu’y a-t-il de pire que d’être diagnostiqué diabétique et insulino-dépendant ?

Jeff Nale

Jeff Nale

Jeff Nale est professeur à la retraite. Il écrit notamment pour le Daily Beast.

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Pete Dexter

Pete Dexter

Pete Dexter est journaliste chroniqueur. Il écrit notamment pour le Daily Beast.

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Copyright The Daily Beast - Jeff Nale et Pete Dexter

Mon père était installateur et réparateur de téléphones. Un homme bon, solide, pieux – également charpentier et musicien à ses heures. Le genre de personne, comme on en rencontre de temps de temps, qui fait toujours les choses bien. Ma mère et lui ont divorcé aux alentours de mon premier anniversaire, et j’ai grandi entre deux foyers : à la maison, avec ma mère ; et dans la maison de P’pa, où je passais tous mes week-ends.

Il m’a fallu quelques années pour m’habituer à cette organisation. Il y avait une sorte de formalisme, de gêne entre mon père et moi, et nous avons mis quelques temps à briser la glace. Cela ne signifie pas que j’étais malheureux chez lui, mais je craignais parfois de ne pas mériter son attention ; en même temps, j’étais prêt à tout pour obtenir son approbation.

Comme n'importe quel enfant à l’imagination fertile, j’avais peur des aiguilles. Le fait que mon père s’enfonce plusieurs fois par jour des aiguilles dans le corps (généralement dans l’estomac) ne me paraissait pas anodin. La maladie était alors appelée "diabète juvénile", mais, face aux nombreux cas se développant à l’âge adulte, elle fut rebaptisée plus tard "diabète de type 1 : insulino-dépendant".

J’essayais de faire face aux injections avec la même nonchalance que lui, mais je ne pouvais réprimer un mouvement de recul à la vue d’une aiguille et à l’odeur de l’alcool. Bien sûr, j’ai demandé si les piqures étaient douloureuses. Je savais qu’elles l’étaient, j’avais déjà été chez le médecin. Mais il éludait la question. J’ai l’habitude, disait-il : toujours la même réponse. P’pa se piquait déjà avant que ses mains ne soient assez grandes pour pousser le piston.

J’avais cinq ans quand mon grand-père est mort. Le p’pa de P’pa. Les funérailles se sont déroulées à l’église. Un millier de choses que je ne comprenais pas se déroulaient autour de moi, tandis que je regardais mon père, calme et stoïque, exactement comme quand il s’injectait de l’insuline dans l’estomac.

***

Faisons une ellipse de huit ans. Je passe un mauvais été. Le 4 juillet, j’ai attrapé une pneumonie et j’ai passé le reste du mois cloué au lit. Début août, le médecin de famille m’a déclaré guéri, mais je savais que je ne l’étais pas. Au début, c’était surtout de la fatigue. J’étais tout le temps épuisé, et j’avais tout le temps soif. De l’eau, du jus de fruit, du coca cola : je me relevais dix fois par nuit, soit pour boire au robinet jusqu’à ce que mon estomac soit plein à craquer, soit pour me vider la vessie aux toilettes, soit pour les deux. J'étais en sueur après les repas, et j’avais des migraines permanentes. J’avais la sensation que mes yeux poussaient pour sortir de leurs orbites. Le fils soucieux de plaire de j’étais auparavant avait laissé place à un enfant différent, sans cesse irritable.

En septembre, j’avais perdu près de dix kilos.

J’ai gardé tout cela pour moi autant que possible, jusqu'au jour où ma grand-mère est venue me chercher à l’école pour passer l’après-midi avec moi. En deux ou trois heures, j’ai englouti tout ce qu’il y avait à boire chez elle, et n’ai cessé de faire des allers-retours aux toilettes. Après mon départ, elle a remarqué les tâches d’urine sur la cuvette des toilettes et a compris tout de suite. Ayant élevé mon père, elle connaissait bien les symptômes. Elle a appelé ma mère, mais pas mon père.

***

Le matin suivant, nous nous sommes rendus chez le pédiatre. Les symptômes ne pouvaient pas être plus clairs, et chacun dans la pièce comprenait leur signification. Mais ma mère préférait ne pas prévenir mon père tout de suite. Non seulement pour avoir la confirmation définitive de la part du médecin, mais surtout pour attendre que mon père finisse sa journée. Elle ne voulait pas le prévenir pendant ses heures de travail.

J’ai bien sûr subi des examens, suivis d’un nouveau rendez-vous au cabinet du médecin, où il nous a annoncé ce que nous savions déjà. Diabète de type 1. Le docteur était doux et patient, j’étais décomposé face à tant de gentillesse. Avant qu’il n'ait pu terminer, je me suis excusé, et me suis précipité aux toilettes pour pleurer.

Ma mère n’a pas appelé mon père avant d’être certaine que son équipe d'installation-réparation avait bien terminé sa journée. J’avais entre-temps été installé dans une chambre d’hôpital, et je l’écoutais expliquer toute la situation : où nous étions, pourquoi. C’était comme l’entendre à nouveau pour la première fois. Puis elle s’est tu, et un long silence s’est installé alors qu’elle écoutait. Puis, elle finit par articuler : "Veux-tu bien lui parler ?"

Après une nouvelle pause plus courte, elle m’a passé le combiné.

J’ai approché le combiné de mon oreille et j’ai commencé à m’excuser. D’être à l’hôpital, d’avoir du diabète – je ne sais pas vraiment pourquoi je m’excusais, c’était simplement un réflexe de toujours.

A peine les mots avaient-ils commencé à s’échapper de ma bouche que je me suis tu. Je levais les yeux vers ma mère, et écoutais mon père, généralement si calme et courageux, qui à l’autre bout du fil s’excusait et ravalait ses larmes.

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