Le grand divorce : la crise politique française vient-elle du fait que ceux qui savent gagner les élections ne sont plus ceux qui savent gouverner ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Les Français n'ont plus confiance dans les potilitiques.
Les Français n'ont plus confiance dans les potilitiques.
©Reuters

Clash

Le rejet des élites va croissant. En cause, la perte de confiance et la sensation d'un manque de sincérité des représentants politiques arrivant aux plus hautes fonctions. Problème : c'est justement le profil politique le plus rejeté par l'opinion qui est le mieux armé pour accéder au pouvoir... pour ne rien changer ensuite.

De plus en plus de mouvements composés d'acteurs de la société civile naissent, à droite comme à gauche. Est-ce le signe que les Français ne croient plus à la structure partisane ? Faut-il y voir le symptôme d'un divorce entre les politiques et la société civile ?

Denis Payre : Les Français sont très désabusés par rapport à la vie politique et les enquêtes le montrent : il y a un divorce très clair entre la société civile et ceux qui nous gouvernent. De ce point de vue, ce qui se passe en Bretagne en est l'illustration : il n'y plus de clivage entre droite et gauche mais une contestation générale vis-à-vis d'un Etat omniprésent. Toutes les classes sociales se réunissent pour dénoncer la même chose. 

François de Closets : L'offre politique en France est structurée idéologiquement. Il y a deux camps, deux églises qui proposent chacune leurs valeurs, leur système, et qui ont leur clientèle. C'est toujours cette opposition droite/gauche qui est proposée aux Français. Mais, auparavant, la droite signifiait la bourgeoisie et la gauche le peuple. Aujourd'hui, la droite représente le privé et la gauche le public. Et le peuple, lui, est parti aux extrêmes parce que l'offre idéologique ne tient pas compte de la réalité. Il y a un divorce clair.

Michel Guénaire : La société française a le sentiment qu'elle n'est plus représentée par ses responsables. Ceux-ci ne répondent plus à ses aspirations. Voici pourquoi les Français ne croient plus à leur classe politique. Il y a eu, dans l'histoire de notre pays, des crises équivalentes. A l'issue de chacune d'entre elles, dont la dernière est sans doute celle de la fin de la IVe République, des régimes nouveaux sont survenus qui ont désigné de nouveaux responsables. Nous y sommes. La France connaît aujourd'hui de multiples initiatives qui veulent mettre en avant de nouveaux projets pour dépasser le divorce entre représentés et représentants.

Eric Verhaeghe : En fait, il me semble que ce qui est surtout en cause, c'est l'inadaptation des partis politiques à la décision publique. Depuis 1945, la France vit sur la doctrine de plus en plus obsolète, selon laquelle la démocratie se reconnaît à l'existence de plusieurs partis. On s'aperçoit aujourd'hui que cette idée a vécu. Je ne veux pas bien évidemment pas dire qu'un système à un seul parti est plus démocratique que le multipartisme. Je veux en revanche dire que le multipartisme ne paraît pas une définition suffisante de la démocratie. On le voit clairement chez les Français : la confrontation entre une doctrine UMP et une doctrine PS leur paraît à juste titre un appauvrissement démodé du débat politique et ils ne se retrouvent guère dans cette vision binaire.

Provisoirement, le Front National profite de cette insatisfaction, mais le Front ne tardera pas lui aussi à subir le même désintérêt des Français, car, ce qui est en cause, ce n'est pas le programme des partis, mais la notion même de parti.

D'où vient ce divorce ? Quelles en sont les causes ?

Denis Payre C'est la conséquence du fonctionnement de la vie politique aujourd'hui. Les dirigeants sont des personnes qui raisonnent en termes de réélection, de carrière, et non d'intérêt général. Notre conception à Nous citoyens est que l'on doit aller en politique avec des compétences de la société civile, travailler pour le bien de tous, et puis retourner dans la société civile.

Le problème de la France est qu'il y a beaucoup trop de fonctionnaires. Nombreux sont de qualité mais il y en a beaucoup trop en politique. Ils représentent la moitié du parlement. Forcément, lorsqu'il s'agit de réformer, de se confronter à la problématique de l'emploi, ils sont comme une poule devant un couteau. 

François de Closets : Ceux qui nous gouvernent n'arrivent pas à tenir un langage de vérité. Ils continuent à dire qu'ils vont nous protéger, qu'ils vont protéger également les acquis sociaux, qu'ils ont une solution pour tout et qu'en plus, cette solution n'est pas douloureuse. C'est l'exemple typique de Nicolas Sarkozy qui dit pendant 4 ans qu'il n'a pas été élu pour augmenter les impôts mais qui l'a fait, et de François Hollande, président de gauche, qui est obligé de reconnaître qu'il faut baisser les dépenses publiques de 100 milliards d'euros. Ils sont obligés de faire des choses contraires à leur idéologie. C'est la réalité qui, désormais, commande.

Le gouvernement  demande des efforts et les gens s'irritent parce qu'on n'a pas clairement expliqué le pourquoi de ces efforts. C'est pour cela qu'il y a un divorce complet entre le peuple et les élites. Tous les Français sont parfaitement conscients que la situation est grave et dans ces conditions, l'optimisme de la classe dirigeante donne le sentiment qu'ils sont irresponsables et incapables. Cet optimisme devient anxiogène. Ou bien on mobilise tout le monde, ou bien le tissu social casse et naissent alors des mouvements, des partis catégoriels.

Michel Guénaire : Ce divorce vient de la professionnalisation de la classe politique. Le standard au sein de celle-ci est devenu un cursus honorum au nom duquel un élu local devient un jour un élu national, puis un élu un ministre, un ministre nécessairement et presque candidement autre chose… Faire de la politique est devenu un métier, non plus un service. Cette professionnalisation est la cause de l'enfermement de la classe politique sur elle-même.

Eric Verhaeghe : De mon point de vue, le diagnostic est assez simple : la démocratie représentative est morte, et les Français aspirent aujourd'hui à une forme supérieure de démocratie, qui ne reposerait pas sur un verrouillage du débat et des décisions par des partis subventionnés qui fonctionnent comme des écuries électorales.

Lorsque la Constitution de la Ve République a reconnu que la démocratie reposait sur les partis, elle a oublié de soumettre les partis à des règles démocratiques. De telle sorte qu'aujourd'hui ce sont autant de baronnies et de féodalités qui captent la démocratie à leur profit.

Prenez les attributions de tête de liste à Paris : pas une n'a échappé au fait du prince. Pour être investi, il faut être "parrainé" par un cacique qui a tous les droits sur les militants. Cette situation est ancienne, mais elle s'est aggravée avec les lois sur la parité. Brutalement, il a fallu trouver des femmes pour respecter la loi, mais on les a choisies dociles et peu encombrantes pour préserver les avantages acquis - ce qui était le contraire même de l'intention initiale. C'est comme cela qu'on se retrouve, à Paris, avec une élection municipale qui ressemble plus à l'élection de Miss France qu'à un débat sur l'avenir de l'une des principales métropoles mondiales. Comment voulez-vous que les citoyens s'intéressent à ces parodies ?

Quelles sont les conséquences de ce divorce ? Explique-t-il notamment le manque d'idées qui émanent des partis ? Ceux qui gouvernent sont-ils aujourd'hui incapables de comprendre ce qui se passe dans le pays réel ?

Denis Payre : Comme les politiques sont dans une logique de réélection, ils ne prennent pas de risques. On se retrouve avec un pays qui n'arrive pas à évoluer. On ne parle pas des réformes et personne n'ose réformer. C'est ce qui explique certains comportements étonnants de la part de gens par ailleurs intelligents, comme François Fillon qui nous explique aujourd'hui qu'il n'a pas été d'accord avec Sarkozy pendant 5 ans.

Ils manquent d'idées parce qu'ils vivent dans un bulle totalement déconnectée de la réalité. Ils ne connaissent pas les problèmes réels et quand finalement ils parviennent à les comprendre, ils n'en parlent pas parce que cela risque de leur faire perdre la prochaine élection. Une fois élu, pour peu qu'on ait un programme réformiste, un peu comme Sarkozy en 2007, on ne prend pas de risque.

François de Closets : Je pense qu'ils sont conscients de ce qui se passe mais ils n'osent pas le dire. Face à un danger, il y a deux discours politiques possibles : soit on rassure, on minimise le danger, et on espère qu'on s'en sortira, soit on s'appuie sur la réalité. C'est ce qu'a fait Churchill en présentant les efforts à faire pour redresser son pays. 

Tous les rapports, toutes les études qui se sont accumulées depuis 15 ans, on sait ce qu'il faut faire, à droite comme çà gauche mais on n'a pas le courage de le faire. Diminuer par moitié le nombre de députés, supprimer les départements, etc. Voilà des propositions concrètes que tous les politiques savent nécessaires.

Michel Guénaire : La première conséquence est que le pays ne se retrouve pas dans les choix de ses gouvernants. Il n'adhère plus à l'action de ceux qui sont censés le gouverner. Les gouvernants sont coupés eux-mêmes de la sève de la société civile. Ils gèrent le pays comme des responsables aveugles. Car, enfin, une classe politique professionnelle est une classe politique technicienne. Elle ne croit qu'à la valeur de réformes techniciennes sans donner du sens aux dites réformes. C'est une fuite en avant, autant qu'un terrible gâchis.

Eric Verhaeghe :Il me semble qu'il y a plusieurs questions dans votre question.

Premier sujet : les partis et les idées. Je ne suis pas sûr que l'on ait inventé les partis politiques pour penser. L'époque où l'on imaginait changer le monde globalement à partir d'une politique conçue par un parti s'est achevée avec la chute du mur de Berlin. On oublie trop souvent que le rôle "messianique" du parti est une invention marxiste. La fin de l'utopie marxiste a eu raison de cette idée. Reste des machines à gagner (ou à perdre) les élections pour lesquelles les idées et les programmes sont secondaires.

Deuxième sujet : les gouvernants et le pays réel.Le fossé qui sépare les deux univers est probablement beaucoup plus grand que les Français ne peuvent l'imaginer. Et c'est d'ailleurs un bien que les Français ne le mesurent pas, car une prise de conscience sur ce point risquerait d'agir comme une véritable onde de choc. Par exemple, lorsque NKM propose que les bus roulent à Paris après 21 heures, elle avoue d'un coup sa profonde ignorance de ce qui fait la vie d'énormément de Parisien. Par exemple, lorsque Pierre Moscovici soutient que la France a renoué avec la croissance, il avoue brutalement qu'il ne sait absolument pas ce qui se passe en micro-économie.

Troisième sujet : quelles conséquences? Manifestement, négatives. Je crois ne pas me tromper que nous assistons à une formidable crise de la légitimité des élus. Mon sentiment est que cette crise emporte avec elle le principe de la délégation générale de mandat qui fonde la démocratie représentative

Ce divorce-là permet-il d'expliquer la crise politique que connaît la France ? Cette crise peut-elle finalement être résumée ainsi : ceux capables de gagner les élections ne sont plus ceux capables de gouverner ?

Denis Payre : Tout à fait, et cela explique le discrédit des politiques et la montées des extrêmes puisque certains se disent que eux, finalement, on ne les a pas essayé. Mais les extrêmes ne parlent pas non plus des vrais sujets comme le poids de l'État et ses conséquences, notamment fiscales.

Il y a en France une conviction qui consiste à penser que l'on ne peut pas gagner une élection présidentielle en tenant un langage de vérité, en expliquer ce que sont réellement les problèmes et quelles sont les solutions à apporter. C'est exactement ce qui s'est passé avec François Hollande. Mais on ne peut pas tout remettre à plat au lendemain d'une élection sans en avoir au préalable informé les électeurs. Les processus de gestion du changement sont très connus en entreprises et l'étape 1, c'est la transparence. La politique française a un problème de méthodologie.

François de Closets : Ce qui est grave aujourd'hui, ce n'est pas que les socialistes et Hollande soit en perte de confiance. Ce qui est grave c'est que cette perte de confiance ne se reporte pas sur la droite. C'est une crise de régime. 

Michel Guénaire : Exactement. La compétition électorale est devenu un jeu totalement décorrelé de l'enjeu du gouvernement des hommes, mais elle appartient encore à la seule classe politique qui ne sait pourtant plus gouverner.

Eric Verhaeghe : Je vais radoter, mais c'est un problème classique dans ce pays. En réalité, chaque régime met en place des sortes d'amortisseurs politiques qui permettent de préserver les gens en place et d'éviter l'arrivée de nouveaux visages. Je propose un petit jeu récréatif : comptez, dans le gouvernement actuel, le nombre de ministres qui ont commencé leur carrière politique à l'époque où pas un Français ne possédait un ordinateur individuel, et à l'époque où Internet apparaissait comme une idée de science-fiction. Et ce sont ces dinosaures qui prétendent montrer la voie du redressement ? Quelle bouffonnerie....

D'un point de vue politique, est-ce que ce divorce et la multiplication des mouvements représente un danger pour les partis traditionnels et pour le fonctionnement de la démocratie ?

Denis Payre : L'émergence de nouveaux partis est une très bonne chose pour la démocratie française. Cela permet de la revitaliser et de faire en sorte que l'on parle des vrais sujets, contrairement à la campagne 2012 où les partis traditionnels nous ont parlé de viande halal et de coût du permis de conduire. Et, dans l'entre-deux tours, ils ont repris les boucs émissaires des extrêmes : les riches pour François Hollande, les immigrés pour Nicolas Sarkozy.

Michel Guénaire : Le danger est double, selon moi. D'une part, une classe politique qui tente sa survie par des initiatives débridées, racoleuses et irrationnelles. D'autre part, une société civile qui ne fonctionne plus qu'en mouvements catégoriels.

Eric Verhaeghe : Vous me permettez une boutade ? Ce qui menace la démocratie, ce ne sont pas les mouvements qui apportent de l'oxygène, ce sont les partis actuels. Quand des idéologues, sous couvert de mesures généreuses, multiplient les décisions liberticides, on peut s'inquiéter pour la démocratie et pour nos bonnes vieilles libertés chèrement arrachées à la tyrannie. Songez quand même qu'une loi prétendument démocratique se proposait d'instaurer des gardes à vue de 4 jours entiers pour un soupçon de fraude fiscale. Là encore, je rabâche, et je ne prétends pas défendre le personnage, mais enfin, c'est un citoyen, il a des droits : quand vous voyez que Bernard Tapie, dans une affaire financière, a subi une garde à vue de trois jours, en principe réservée aux terroristes, vous vous dites quand même que ce recours désinvolte à la privation de liberté devient un vrai problème.

Comment faire converger la société civile et les politiques pour les faire travailler ensemble ?

Denis Payre : Il faut un véritable exercice de diagnostic honnête de la situation du pays. Il faut également une proposition transparente et courageuse des solutions qui doivent être apportées aux problèmes du pays. Mais il faut surtout un renouvellement des élites. Nous ne sommes pas dans le "Tous pourris" mais ce ne sont pas ceux qui nous ont mis dans la situation actuelle qui vont nous en sortir. Il faut que les nouveaux décideurs ne soient plus des politiques de carrière.

C'est l'exemple de Christine Lagarde qui, nommée à Bercy, affirme que le problème du chômage en France est lié au code du travail. Mais ses supérieurs, François Fillon et Nicolas Sarkozy, des politiques de carrière, lui ont fait comprendre que ce sujet était trop sensible et donc elle l'a abandonné. Tant mieux pour elle : elle fait une belle carrière. Mais le problème du chômage en France n'est pas résolu.

Si on ne change pas ça, il n'y aura jamais de changement. Il faut des profils différents, des gens qui n'ont pas besoin de la politique mais font de la politique sur une courte durée, dans l'intérêt général. 

François de Closets : Il faut un système où la représentation populaire a la légitimité et où l'exécutif est fondé indépendamment des partis sous le contrôle du parlement. Ce qu'il nous faut, c'est un gouvernement apolitique composé de gens qui n'essayent pas de se faire réélire mais pense à l'intérêt public. C'est ce qu'a essayé de faire l'Italie avec Mario Monti mais qui a échoué à cause de Silvio Berlusconi. 

Michel Guénaire : Les efforts doivent être partagés. La classe politique doit se renouveler, et le renouvellement viendra de la limitation du nombre de mandats dans le temps. Un élu qui conserve durablement son siège en oublie les responsabilités, écrivait déjà au XIXème siècle John Stuart Mill. De son côté, la société civile ne peut pas s'exprimer qu'au travers de seuls mouvements de fronde. Elle doit avoir une conscience politique. J'ai créé avec plusieurs amis SOCIETECIVILE2017 dans ce sens : donner à la société une capacité d'expression politique qui débouche sur la définition d'un projet politique positif pour la France.

Eric Verhaeghe :C'est tout l'enjeu de cette nouvelle forme de démocratie qu'on appelle la démocratie liquide. En quoi consiste-t-elle? Deux points majeurs. D'abord, la question des mandats attribués sans contrôle pour des durées exorbitantes doit être mise sur la table. En démocratie liquide, l'attribution des mandats se fait de façon plus souple et plus raisonnable, en tenant compte des compétences effectives et réelles des élus. Ensuite, la forme de la décision (le recours systématique au vote majoritaire) pose un problème essentiel. Le vote majoritaire (on compte les "oui", on compte les "non", et le plus fort décide) est une forme archaïque et sous-optimale de démocratie. D'autres modes de scrutin, comme le vote alternatif ou le vote préférentiel donnent de meilleurs résultats. Enfin, il est temps de passer à la transparence sur les informations publiques. Et sur ce point, la France accumule un retard inadmissible.

Propos recueillis par Sylvain Chazot

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