Le gouvernement vise le plein emploi. Voilà l’objectif encore plus important que nous devrions poursuivre<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron crée France Travail pour atteindre l’objectif de plein emploi en 2027.
Emmanuel Macron crée France Travail pour atteindre l’objectif de plein emploi en 2027.
©Ludovic MARIN / AFP

Appauvrissement

Le gouvernement s’est donné comme objectif le retour au plein emploi.

Christian Saint-Etienne

Christian Saint-Etienne

Christian Saint-Etienne est professeur titulaire de la Chaire d'économie industrielle au Conservatoire National des Arts et Métiers.

Il a également été membre du Conseil d'Analyse économique de 2004 à juin 2012.

Il est également l'auteur de La fin de l'euro (François Bourin Editeur, mars 2011).

 

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Atlantico : Le gouvernement s’est donné comme objectif le retour au plein emploi. S’il s’agit d’un objectif indéniablement important, peut-on vraiment dire qu’il est suffisant ? Peut-on viser le plein emploi sans s'interroger sur la seule qualité des emplois créés ?

Christian Saint-Etienne : Le problème central de l’économie française – et de la France, d’ailleurs – c’est son appauvrissement relatif que l’on observe sur les plans économique et social. Le niveau de vie par habitant a dégringolé de 15% en France par rapport à l’Allemagne ou aux Pays-Bas en seulement douze ans. Cet appauvrissement traduit non seulement l’arrivée massive d’immigrants très peu qualifiés mais également la création d'emplois eux aussi peu qualifiés. La France n’arrive pas à relancer une croissance à forte valeur ajoutée. 

C’est pour cela qu’il faut désormais se fixer des objectifs en termes d’emploi qualifié. Hélas, le gouvernement n’arrive pas à connecter celle-ci à la création de richesses. C’est pourquoi on reproduit le modèle des emplois pour apprentis : il s’agit de postes peu qualifiés, pensés pour des gens en voie de qualification et qui affichent donc une productivité faible.  

Revenir au plein-emploi dans ces conditions, cela veut dire la multiplication de petits jobs, payés à la moitié du SMIC. C’est, de facto, contribuer à un nouvel appauvrissement du pays et alimenter le dégoût de la jeunesse pour une société dans laquelle elle ne parvient pas à s’insérer. Bien sûr, ce dernier phénomène résulte aussi d’une déficience du système éducatif. Mais la jeunesse manque aussi de perspectives : elle n’en a d’autres que des emplois mal payés, ce qui explique une partie conséquente des problèmes sociaux auxquels nous sommes confrontés.

Sur quels critères peut-on juger la qualité d’un emploi ? Faudrait-il en revenir à des emplois industriels, qui répondent mieux à des enjeux de productivité, d’intégration sociale et économique ou de souveraineté ?

Il y a deux façons, me semble-t-il, de répondre à cette question. La première consiste à rappeler qu’il est vrai que le salaire moyen dans l’industrie est aujourd’hui supérieur au salaire moyen dans les services. Dès lors, si l’on souhaite enrichir le pays (et par la même occasion supprimer notre déficit extérieur, qui constitue un trou dans la coque du bateau France), il faut effectivement revenir à des emplois industriels. Du fait de notre déficit extérieur, nous embarquons de la dette en permanence. Ce phénomène est une traduction directe de la désindustrialisation et de l’appauvrissement de l’Hexagone. Renouer avec les emplois industriels dans des secteurs dynamiques, c’est la meilleure façon de recréer de la richesse durable.

Pour le deuxième aspect de la réponse, il importe de revenir sur les six domaines majeurs de la souveraineté, ainsi qu’identifiés par les chercheurs américains. Il y a évidemment la défense, mais également la finance – que nos voisins anglo-saxons regardent avec un œil beaucoup plus pragmatique que nous – qui est indispensable au bon financement du premier point. Il ne faut pas non plus oublier l’industrie pharmaceutique, qui doit être assez solide pour permettre de soigner l’ensemble de la population, et le secteur de l’agro-alimentaire qui est indispensable pour que tout un chacun puisse manger à sa faim. Enfin, il faut aussi prendre en compte le numérique et le secteur de l’énergie. Force est de constater que, sur l’intégralité de ces sujets, la France abandonne sa souveraineté. 

Bien sûr, demeurent quelques ilôts de souveraineté, notamment en matière de défense. Nous savons encore faire des sous-marins ou des avions, par exemple… En utilisant des micro-processeurs importés des Etats-Unis. Quel que soit le secteur dont l’on parle, la France présente des failles. La finance est un secteur indispensable, mais qui est très largement dédaigné par les Français. L’industrie pharmaceutique s’est effritée après avoir servi de variable d’ajustement de la politique de santé depuis 20 ans. L’agro-alimentaire, pour partie, repose sur l’importation de produits étrangers (fruits, nourriture pour bétail, etc), de même que l’énergie. Nous avons fermé trop de centrales nucléaires sans les remplacer pour prétendre à l’indépendance en la matière. Nous n’investissons pas dans les bons domaines pour assurer notre souveraineté. Notre politique stratégique est totalement déficiente depuis deux décennies. 

Pourquoi semble-t-il plus dur de créer des emplois de qualité aujourd’hui que pendant les Trente Glorieuses ?

Il ne faut pas perdre de vue que, pendant les 30 Glorieuses, la France pouvait procéder à des ajustements du taux de change pour rétablir la compétitivité de son économie quand cela s’avérait nécessaire. Avec l’euro, il n’est tout simplement plus possible de dévaluer. Dès lors, il nous faut réindustrialiser à la dure, c’est-à-dire en ne s’appuyant que sur l’innovation, la robotisation, la numérisation du système productif. Il faut faire preuve de plus de nouveauté, s’approcher autant que faire se peut de l’innovation de rupture. Malheureusement, l’affaiblissement du pays rend très difficile toute tentative de réindustrialisation. C’est bien pour cela que le président de la République invite régulièrement des puissances étrangères à établir des usines en France. Soyons clairs : ce n’est pas une mauvaise idée, mais cela ne saurait se substituer à une véritable politique stratégique industrielle.

Sommes-nous prêts à accepter les sacrifices pour ces emplois de qualité et la réindustrialisation que cela suppose ?

Il est clair que la France a fait du zèle dans la mise en application des directives européennes ces dernières années. C’est un handicap structurel majeur que l’on observe d’ailleurs à chaque élection. Ceci étant dit, la réindustrialisation peut – doit, même – être verte. Si l’on souhaite qu’elle soit efficace, elle devra passer par la numérisation, la robotisation et l’électrification de notre système productif. Nous aurons besoin d’électricité et la création des nouvelles centrales nucléaires déjà annoncées ne permettra pas d’en produire davantage avant moins 2035. Déjà avant cela, il en faudra plus que ce que nous pouvons aujourd’hui produire. La réindustrialisation pourrait donc passer par la production et l’installation de panneaux photovoltaïques sur tout le territoire. Seulement, il n’y actuellement aucune stratégie de filière dans ce domaine ; comme dans les autres d’ailleurs. La réindustrialisation du pays ne peut se mener que par une stratégie de filière extrêmement déterminée et bien financée.

Il est vrai, néanmoins, qu’il faudra certainement revenir sur certaines des lois les plus absurdes qui ont pu être votées au nom de l’écologie, par exemple. Un des éléments clé de la réindustrialisation de la France, c’est la construction d’usines vertes sur les zones actuellement en friches. Or, il arrive parfois que pendant la période où celles-ci n’ont pas été utilisées, des espèces animales (des escargots ou des mulots, entre autres) s’y installent. Du fait de leur présence, et de la nécessité de préserver la biodiversité, il devient impossible de raser la friche pour assurer la construction de l’usine. C’est une ineptie dont il faudra évidemment s’abstraire.

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