Le gaz circule de l’Allemagne vers la Pologne via le gazoduc Yamal pour le 13e jour consécutif et voilà ce que ça révèle de la crise énergétique européenne <!-- --> | Atlantico.fr
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Le gazoduc Yamal-Europe près de la ville de Nesvizh, à quelque 130 km au sud-ouest de Minsk, est au coeur d'un bras de fer entre l'Allemagne, la Pologne et la Russie.
Le gazoduc Yamal-Europe près de la ville de Nesvizh, à quelque 130 km au sud-ouest de Minsk, est au coeur d'un bras de fer entre l'Allemagne, la Pologne et la Russie.
©VICTOR DRACHEV / AFP

Arme géostratégique ?

A l’ordinaire, les flux de gaz circulent de l’Est (la Russie) vers l’Ouest (l’Europe).

Jean-Pierre Favennec

Jean-Pierre Favennec

Jean-Pierre Favennec est un spécialiste de l’énergie et en particulier du pétrole et professeur à l’Ecole du Pétrole et des Moteurs, où il a dirigé le Centre Economie et Gestion. 

Il a publié plusieurs ouvrages et de nombreux articles sur des sujets touchant à l’économie et à la géopolitique de l’énergie et en particulier Exploitation et Gestion du Raffinage (français et anglais), Recherche et Production du Pétrole et du Gaz (français et anglais en 2011), l’Energie à Quel Prix ? (2006) et Géopolitique de l’Energie (français 2009, anglais 2011).

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Atlantico : Le gazoduc Yamal-Europe, qui achemine habituellement le gaz russe vers l'ouest vers l'Europe, circulait dimanche vers l'est de l'Allemagne vers la Pologne pour la treizième journée consécutive. Le président russe Vladimir Poutine a notamment déclaré la semaine dernière que l'Allemagne revendait du gaz russe à la Pologne et à l'Ukraine plutôt que de soulager un marché de l’énergie en difficulté, imputant l'inversion des flux le long du gazoduc Yamal et la flambée des prix aux importateurs de gaz allemands… Quelle est la réalité de la situation ? Comment l’expliquer ?

Jean-Pierre Favennec : Les exportations de gaz de la Russie vers l'UE représentent 40 % de la consommation de gaz en Europe. Ce gaz transite par plusieurs gazoducs. Les premiers  gazoducs passaient par l'Ukraine. Puis le gazoduc Yamal Europe construit vers 2000 et tranversant la Biélorussie mais également la Pologne et l'Allemagne a été mis en service. Plus récemment (2010) le gazoduc Nord Stream 1 qui passe par la Baltique et approvisionne directement l'Allemagne à partir de la Russie a été mis en service grâce en pariculier à l'ancien chancelier Allemand Gehrard Schroeder qui a pris le tête du consortium qui a développé le gazoduc Nord Stream.

L'augmentation - hallucinante - du prix du gaz en Europe en 2021 (dans les derniers jours de 2021 ce prix a heureusement sensiblement baissé) est dû à un marché mondial qui a besoin de beaucoup de gaz du fait de la reprise économique mondiale et de stockages (européens mais aussi russes) peu remplis du fait d'une consommation importante au cours des premiers mois de 2021.

La société russe Gazprom qui gère les exportations de gaz russe vers l'Europe joue donc un rôle clé. Les aspects marchés et les aspects géopolitiques sont indissociables dans la montée du prix du gaz. La Russie, à travers les déclarations de Vladimir Poutine s'est engagée à fournir tout le gaz nécessaire à l'Europe. Cependant le gazoduc Yamal Europe est resté vide il y a quelques semaines. Est-ce du fait d'une volonté de réduire les exportations vers l'Europe ou tout simplement du fait d'une température basse à Moscou qui a conduit la Russie à consommer beaucoup de gaz et à laisser moins de disponibilités à l'exportation ?  Nul ne le sait. En tout état de cause est-ce cette situation qui a conduit l'Allemagne à inverser les flux et à utiliser ce gazoduc pour alimenter la Pologne et l'Ukraine en gaz à partir de ses propres réservoirs déjà peu remplis ? Cette décision provoque évidemment le mécontentement de Moscou.

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S'il ne faut pas négliger la probable volonté de Moscou d'utiliser l'arme du gaz pour peser sur les négociations avec les Etats-Unis à propos de l'Ukraine (négociations où l'Europe est étonnamment absente), on peut s'interroger sur l'impéritie de la politique européenne qui voit le gaz comme une énergie fossile qu'il faudrait à terme supprimer d'autant plus qu'il vient en grande partie de la Russie considérée comme un ennemi. On peut également s'interroger sur la position allemande qui ne veut pas du gaz (du fait de la présence des Verts dans la nouvelle coalition au pouvoir) et qui ferme des centrales nucléaires au moment ou plus de 40 % de l'électricité allemande est faite à partir de charbon source de loin la plus émettrice de CO2 donc provoquant le changement climatique. Certes l'Allemagne s'engage à sortir du charbon mais quand ?

Enfin quid de la position américaine ? Les Etats-Unis exportent de plus en plus de GNL (gaz naturel liquéfié) mais ce GNL est principalement destiné à l'Asie où les prix sont en général plus favorables qu'en Europe. C'est dans les derniers jours le reroutage de méthaniers (transporteurs de GNL), initialement destinés à l'Asie, vers l'Europe où les prix avaient atteint des sommets, qui a permis de faire baisser le prix du gaz sur le vieux continent. Mais l'Asie et en particulier la Chine est de plus en plus demandeuse de gaz (en Chine l'essentiel de l'électricité est fait à partir de charbon et la Chine consomme ... la moitié du charbon de la planète. Mais la pollution est très forte et le remplacement du charbon par le gaz est une bonne façon de réduire la pollution

Terminons en insistant sur la volonté Russe de vendre son gaz dans le cadre de contrats à long terme (qui étaient les contrats qui ont permis la mise en place des réseaux de gazoducs russes mais aussi algériens et norvégiens) où quantités et prix sont fixés à l'avance. L'hostilité de la Commission Européenne à ces contrats, au nom de la sacro-sainte concurrence et de la liberté des prix peut conduire, comme on le voit , à des situations délicates pour les énergies de réseaux (f=gaz, électricité). On remarquera que pendant ce temps le prix du pétrole certes varie mais dans des proportions beaucoup moins importantes

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Qu’est-ce que cette incongruité nous dit de la crise de l’approvisionnement énergétique en Europe ? Dans quelle mesure le gaz est-il devenu une arme géostratégique ? 

La situation est très complexe. Elle mêle aspects purement économiques (forte demande d'énergie et de gaz) et aspects géopolitiques (fortes tensions avec la Russie). Mais l'Europe ne peut pas à la fois vouloir réduire la consommation d'énergie fossile (ce qui est nécessaire mais dans un délai raisonnable) et se plaindre de ne plus avoir assez de gaz.

Alors que le mix énergétique et la hausse des tarifs de l’électricité étaient au cœur des préoccupations récentes, cette situation liée au gazoduc Yamal est-elle susceptible d’aggraver la crise énergétique ? Les consommateurs vont-ils subir les conséquences de cette situation, via une nouvelle hausse des prix ou d’éventuelles pénuries ? A-t-on les moyens d’éviter cela ?

Les consommateurs français sont pour l'instant protégés par la décision du Premier Ministre de bloquer les prix du gaz aux consommateurs. Ce sont les opérateurs qui paient la différence entre les prix du marché mondial et les prix français. Selon le Premier ministre, les opérateurs pourront au printemps, lorsque les prix mondiaux du gaz auront baissé du fait (on l'espère) d'une moindre demande récupérer leurs déficits de l'hiver

Mais il faudrait éviter de décourager tout investissement dans les énergies fossiles car elles resteront nécessaires dans les prochaines années. A terme, la lutte contre le réchauffement climatique est certes une priorité. Mais les européens doivent cesser de jouer les apprentis sorciers en déclarant que très rapidement toutes les énergies seront des énergies renouvelables. A court terme c'est impossible et cela crée des envolées de prix insupportables.

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