Le choc pétrolier qu’on n’attendait pas : petit mémo à l’attention de ceux qui auraient oublié le chaos mondial déclenché par la dernière baisse durable des cours du brut<!-- --> | Atlantico.fr
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Exploitation de pétrole.
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Pas si vite

Le monde scrute jour après jour la descente du cours du pétrole orchestrée par le bras de fer États-Unis / Arabie Saoudite, qui force la main aux pays producteurs membres de l'OPEP. Un prix bas fait rêver à court terme, notamment Christine Lagarde qui s'est montrée très optimiste, mais devrait nous inquiéter pour la suite...

Philippe Sébille-Lopez

Philippe Sébille-Lopez

Philippe Sébille-Lopez est docteur en géopolitique et directeur fondateur du cabinet Géopolia créé en 1995. Il est spécialiste des enjeux énergétiques et notamment des pays producteurs d'hydrocarbures. Il réalise des analyses géopolitiques et missions de consulting en intelligence économique sur ces questions pour des entreprises, institutions et personnes privées. Il est l'auteur de Géopolitiques du pétrole paru aux Éditions Armand Colin.

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  • A court terme, les pays où l'énergie coûte le plus cher trouveront dans les baisses des prix du pétrole un regain de compétitivité.
  • Aux Etats-Unis l'impact est quasi neutre. Il sert au contraire son économie.
  • A plus long terme, cette baisse pourrait faire entrer la zone euro en déflation, impacter les pays producteurs et entraîner des changements géopolitiques majeurs.
  • Un certain nombre de gisements européens vont devenir non rentables pendant un certain temps.

Atlantico : Les prix du brut ont baissé de manière spectaculaire et perdu environ 30 % depuis juin, pour s'établir actuellement aux alentours de 70 dollars le baril. Pour Christine Lagarde, la directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), "il y aura des gagnants et des perdants mais, sur une base nette, c'est une bonne nouvelle pour l'économie mondiale". Est-elle dans le vrai ? 

Philippe Sébille-Lopez : Il faut nuancer, à court terme dans une économie globalisée relativement à court de croissance, le fait que le cours du pétrole baisse pourrait permettre de la croissance via la compétitivité. Les cours du pétrole et du gaz sont alignés avec un décalage de quelques mois, une baisse des prix du gaz est donc attendue prochainement puisque la remontée du brut n'est pas attendue à court terme.

Pour un certain nombre d'industries, qui sont hautement consommatrices d'énergies, cela peut leur apporter un regain de compétitivité, notamment dans les pays où l'énergie coûte le plus cher à produire.

Malheureusement pour l'Europe, une part importante des industries fortement consommatrices d'énergie se délocalisent d'ores et déjà vers le Moyen-Orient et l'ASIE où les coûts énéergétiques sont plus faibles et les normes environnementales moins drastiques.  Pour les Etats-Unis, l'impact est quasi neutre. Ils gardent tous les bénéfices : faible coût énergétique et plus de production pétrolière (dont les pétroles de schistes) - et ceci, même si de nombreux projets ne seront pas lancés dans les présentes conditions pour des questions de marges insuffisantes (relatives au coût de production).

L'Arabie Saoudite a par exemple des coûts de production très bas, entre 5 et 10 dollars le baril. En maintenant sa production face à la hausse de la production américaine, elle entend donc faire comprendre aux Etats-Unis que le pétrole de schiste n'est pas totalement le bienvenu. C'est cela qui provoque une bulle de surproduction et l'effondrement des cours du pétrole.

A plus long terme, c'est plus délicat. Un certain nombre de pays vont souffrir de la baisse du cours du brut avec des projets de moins en moins rentables. En zone euro, qui accuse une faible inflation, cette baisse pourrait nous faire entrer en déflation. Or je rappelle gentiment que le but de la BCE est de relancer l'inflation pour échapper justement à cette déflation. Tout est donc à relativiser. 

Le propos de Christine Lagarde est imprécis au possible. De quoi parle-t-elle ? De qui ? A quel horizon se situe-t-elle ? Personnellement, je ne le comprends pas. En clair, son propos ne veut pas dire grand-chose et consiste essentiellement à rassurer, comme souvent.

Le parallèle peut-il être fait avec la séquence du choc pétrolier de 1973 et du contre-choc pétrolier de 1985 ?

En 1973, lorsque les cours sont passés de 3 à 12 dollars en quelques semaines, l'industrie pétrolière mondiale était au taquet : la production ne pouvait plus répondre à la demande mondiale qui croissait de manière phénoménale.

D'un certain côté le facteur géopolitique a joué. C'était aussi en partie du à la situation américaine. En 1971, les Etats-Unis atteignent leur pic pétrolier, leur production pétrolière commence à décliner et ils importent de plus en plus. En outre, les USA sortent des accords de Bretton Woods, abandonnant par là-même la parité or-dollar.

Le dollar US devient flottant et les prix du baril se mettent en conséquence à flotter pour les pays producteurs.

D'où le mécanisme et la décision, dans la foulée de la guerre du Kippour en 1973, des pays arabes de l'OPEP d'augmenter fortement les prix du baril, voire de faire un embargo sur un certain nombre de pays. A l'origine du choc de 1973, difficile de nier la responsabilité des Etats-Unis...

Le contre-choc de 1985 est à mettre au crédit des pays arabes de l'OPEP. Ils ont instauré un système de quota, qui fait que plus on a de réserves prouvées plus on a le droit de produire. De fait, un certain nombre de pays, dont l'Arabie Saoudite, les Emirats arabes unis, l'Irak, l'Iran, le Koweït augmentent fortement leurs réserves alors que rien ne le justifie vraiment. Ils surproduisent alors que les prix sont bas, notamment pour compenser cette baisse. A noter qu'à cette période Arabie Saoudite et Etats-Unis s'étaient entendus sur la baisse du prix du pétrole pour assécher les ressources financières russes, les privant d'autant de moyens financiers dans leur guerre en Afghanistan, guerre durant laquelle USA et Arabie saoudite était partenaire contre l'URSS.

A cette époque, les USA ont renforcé leurs ventes d'armes, et notamment les missiles stinger. La CIA servait d'intermédiaire pour la livraison et l'Arabie Saoudite payait la facture. Une partie de ces armes a été livrée d'Oussama Ben Laden, qui à l'époque luttait comme Moudjahidine contre les soviétiques. Quand les grandes puissances manipulent des marionnettes, il serait bon qu'elles assurent au minimum et avec vigilance le suivi de ces opérations à hauts risques.  

Aujourd'hui, la situation est bien différente. En 1973, c'est principalement un choc pétrolier qui vient indirectement des US et qui se conjugue avec un facteur géopolitique, la guerre du Kippour. En 1985, c'est un contre-choc pétrolier entre pays arabes, en pleine guerre Iran-Irak. Chacun a besoin d'argent pour financer son effort de guerre. Ensuite vient la guerre du Golfe, et les pays arabes qui soutenaient l'Irak refuseront de payer leur quote-part à l'effort de guerre.

Il s'agit en effet aussi de gagnants et de perdants sur le bras de fer qui oppose Etats-Unis et Arabie Saoudite sur le prix du pétrole... L'Occident va-t-il pouvoir en tirer profit à court terme ? L'équation tient-elle sur le long terme ?

Les Etats-Unis appliquent la loi du marché. L'automobiliste américain paye le litre d'essence à un équivalent de 40 centimes d'euros du fait de la très faible taxation de l'essence. L'Européen lui est à 1,40 euros/l du fait des taxes qui amortissent à la hausse comme à la baisse les cours du brut Mais en Europe on reste loin du compte. Pour l'instant, l'automobiliste américain est donc gagnant, et de loin.

Par ailleurs, en maintenant sa surproduction gazière avec des prix bas, les Etats-Unis font tourner à plein leur économie, créent des emplois. Le reste n'est que conséquence et effet d'aubaine sur la scène internationale. Les conséquences à long terme ne les dérangent pas. La politique étrangère pour les Etats-Unis, c'est comme le dollar, ils font ce qu'ils veulent pour servir leurs intérêts immédiats, sans trop se poser de questions sur les effets à long terme ou des bouleversements géopolitiques occasionnés. Il sera toujours temps d'agir ou de réagir.

Les Etats-Unis misent sur le potentiel des énergies fossiles de leur territoire. D'une façon ou d'une autre, ils sont décidés à les utiliser au gré des négociations qu'ils seront obligés de conduire, notamment dans le cadre des négociations sur le climat. Ils ont les premières réserves charbonnières mondiales, ils pourront en faire du carburant quand ils le souhaiteront si nécessaire.

Il s'agit dans l'immédiat  de mettre en valeur leurs ressources, leurs entreprises et leur main-d'œuvre pour valoriser ce potentiel énergétique, pour sortir de la crise, faire baisser le chômage tout en renforçant la compétitivité de leurs entreprises. Leurs impératifs sont avant tout intérieurs. La géopolitique pour eux est relativement secondaire. Mais si les conséquences de leur politique présentent de surcroit un effet d'aubaine, c'est parfait. Grâce à leur production de pétrole de schiste, ils suralimentent le marché et les autres payent les conséquences. Le but, reprendre la main sur leur compétitivité qui passe par leur industrie lourde qui tourne aux énergies fossiles. Quand on leur demande des réductions de leurs émissions de CO2, ils n'ont qu'à basculer du charbon vers le gaz et exporter le surplus de charbon (meilleur marché) vers l'Europe, dont l'Allemagne. La République fédérale ayant engagé trop vite sa transition énergétique, elle fait tourner à plein ces centrales au charbon.

Les Etats-Unis parviennent jusqu'à présent à tirer coûte que coûte leur économie vers le haut, dans un marché pétrolier surapprovisionné, mais pour combien de temps ?

Pour le Japon post Fukushima, c'est aussi positif. Le Japon a renforcé ses importations d'énergies fossiles pour compenser la mise à l'arrêt de la plupart de ses centrales nucléaires. Il bénéficie donc de la baisse du cours.

Globalement, les économies occidentales jouissent d'un petit ballon d'oxygène dans le contexte de crise où nous sommes. Mais cela ne peut en rien nous sortir de la situation dramatique que nous connaissons, surtout en zone euro.

Il est donc difficile de dire, vu la diversité des situations, si cette baisse des cours du brut profite vraiment aux pays occidentaux, surtout à long terme... Car suite à cette baisse des cours, un certain nombre de gisements vont devenir non rentables ou à la limite de leur rentabilité, quant à certains projets qui devaient démarrer, ils vont être gelés dans de nombreux pays dès lors que les marges actuelles sont jugées insuffisantes. Il y a aura certes un rattrapage dans le temps, mais à quel horizon et avec quel effet retard si les cours du brut ne remontent pas rapidement ?

Cela vaut aussi pour les Etats-Unis avec le pétrole de schiste, même s'ils ont une marge de sécurité, car ils peuvent supporter une baisse allant jusqu'à 60 dollars le baril. Et même dans ce cas, ils perdraient peu... Parce qu'il y aura une remontée des cours le jour où le surplus pétrolier sera épongé. Et là, ils repartiront de plus belle en produisant ce qui n'était pas rentable jusque là.

Pour d'autres gisements offshore, car on va de plus en plus profond et loin des côtes, avec des coûts entre 40 et 50 dollars par baril, les projets risquent d'être gelés jusqu'à ce que les prix remontent. Il en ira ainsi d'un certain nombre de projets en Russie, notamment en offshore et dans l'Arctique, effet renforcé par les sanctions occidentales.

L'économie russe souffre de la baisse du cours du brut et des sanctions américaines et européennes. Vladimir Poutine pourrait-il perdre le soutien de son peuple pour l'instant versé dans la fibre nationaliste ?

Du point de vue pétrolier, les Russes vont perdre beaucoup d'argent, sachant que cela représente 40% de leur budget. Cela est toutefois compensé par une baisse du rouble. Par contre, du fait des sanctions et des embargos qui pèsent sur la Russie, nombre de produits vont devoir être importés hors d'Europe, donc plus chers, et payés en dollars, d'où un important besoin d'argent. 

Reste que grâce au cours du baril de ces dernières années à plus de 100 dollars, elle jouit toutefois d'un trésor de guerre important, qui n'a été qu'en partie écorné pour soutenir le rouble. Au rythme actuel, sanctions et cours du brut en chute libre, la Russie peut tenir un an, voire un peu plus, sans réel péril en la demeure.

La situation sociale au plan intérieur pourrait toutefois se dégrader si la situation durait plus longtemps, notamment via plus de difficulté à régler les salaires, pensions et autres prestations sociales alors que l'inflation devrait progresser du fait du renchérissement des importations.

Le gouvernement de Vladimir Poutine joue sur la fibre nationaliste depuis de nombreuses années. C'est un moteur puissant pour ressouder la population russe, mais les opposants pourraient en profiter pour dénoncer la politique de Vladimir Poutine.

Pour l'instant, ce rapport de forces est en faveur de Vladimir Poutine, il jouit encore d'un soutien très fort dans l'opinion. L'abaissement ou le non versement des pensions, la flambée des prix à l'importation, la baisse du pouvoir d'achat pourraient changer la donne et la majorité de l'opinion russe qui soutient Poutine pourrait progressivement s'en détacher.

Pour alléger les effets précités de l'embargo et des pertes sèches du pétrole et du gaz, Vladimir Poutine pourrait-il faire marche arrière sur la politique extérieure ? Une nouvelle carte de l'Europe peut-elle se redessiner ?

Vis-à-vis de l'Ukraine, nous sommes dans le schéma de la confrontation stratégique russe typique : des populations d'origines russes supposées rallier la mère patrie. Ce qui valait hier vaut encore aujourd'hui! L'annexion de la Crimée coûte cependant déjà très cher à la Russie.

Reste que Vladimir Poutine ne changera pas sa politique extérieure demain et ne retirera pas ses troupes pour alléger les effets négatifs de l'embargo sur l'économie. Il n'y aura pas de retour au statu quo sur l'Ukraine une et indivisible, sans la Crimée bien évidemment. Pour le Donbass, c'est pire.

Au moment des attentats du World Trade Center, Poutine fut le premier chef d'état à adresser ses condoléances aux Etats-Unis, c'était l'époque de la lune de miel entre les deux puissances : chacun était d'accord pour accepter ou fermer les yeux sur la chasse aux terroristes de l'autre. Cela a duré jusqu'en 2003. L'invasion de l'Irak par les Etats-Unis a changé la donne. La relation s'est ensuite détériorée. L'élargissement de l'OTAN vers l'Est n'a rien arrangé, ni le projet de système anti missiles en Pologne et en République Tchèque, etc. Bref, les Russes sont, avec l'Ukraine, en réaction contre la politique américaine de ces dix dernières années et notamment aux révolutions de couleurs intervenues dans diverses ex-républiques soviétiques, souvent soutenues, si ce n'est orchestrées par les Etats-Unis.

L'Iran est également encore sous le coup de sanctions économiques, certes allégées depuis l'engagement des négociations autour de la question nucléaire. La crise pétrolière peut-elle impacter ces négociations et retourner le peuple contre les responsables étrangers ? Le tout servirait-il Ali Khamenei ?

Suite à la baisse des cours du brut, au plan intérieur, il y a un début de réduction des subventions sur l'essence et sur l'énergie de façon plus générale. Evidemment c'est impopulaire, mais la population est quelque peu habituée, puisqu'elle est sous embargo depuis 1979 avec l'arrivée de l'ayatollah Khomeyni en 1979, puis du fait des sanctions américaines d'abord, onusiennes et européennes ensuite. Ces sanctions ont toutefois été allégées depuis l'engagement des négociations autour de la question du nucléaire iranien.

Cela va donc un peu mieux en Iran désormais, mais l'opposition classique demeure entre d'un côté le nouveau président Hassan Rohani et le pouvoir religieux de l'autre, emmené par Ali Khamenei, dont l'agenda diffère de loin de celui du Président. Ce qui réduit de manière drastique les marges de manœuvre de ce dernier.

Tout dépendra de la suite des négociations jusqu'à juillet prochain. Mais si les sanctions demeurent, elles seront imputables à une puissance étrangère, et l'histoire nous apprend que cela ressoude souvent une population contre l'ennemi extérieur responsable. Il y a portant en Iran une part importante de la société relativement occidentalisée, notamment parmi la jeunesse.

Riches en rentes pétrolières et bénéficiant d'importantes réserves financières, les pays du Golfe peuvent-ils résister au manque à gagner, tenir le bras de fer avec les Américains et éviter toute montée des tensions populaires ?

Pour la plupart, mis à part l'Arabie Saoudite, ce sont des pays à petite population qui ont un tel potentiel de réserves et de revenus pétrolier rapporté à la population, que cela ne pose pas vraiment de problèmes (surtout pour le Qatar qui jouit en plus de réserves de gaz très importantes). Il est d'ailleurs amusant de noter les petites frictions entre l'Arabie Saoudite et le Koweït sur la zone neutre entre les deux pays quant aux autorisations et droits exploitations. Cela dénote des luttes d'influence et de désaccords en interne. Pour la plupart des pays du golfe, même un déficit budgétaire de quelques années, du à la chute des cours du brut, ne serait pas un problème.

Concernant l'Arabie Saoudite, elle a amassé un véritable trésor de guerre, ses réserves de pétrole sont énormes. Elle alterne d'ailleurs ces dernières années avec la Russie pour la place de premier producteur mondial. Elle dispose d'un capital financier énorme. Au moment des révolutions du printemps arabe, il lui a d'ailleurs fallu donner énormément à la population pour prévenir les tensions, en ouvrant le carnet de chèque. Des dizaines de milliards ont été dépensés.

Les Saoudiens ne sont pas trop exposés, ni sur le plan politique ni sur le plan financier. Leur principale rival dans le golfe, l'Iran, est pour l'heure hors course. Ils peuvent aussi tenir le bras de fer avec les Etats-Unis. Ils maintiendront leur production au même niveau et ne cèderont pas face à la hausse de la production pétrolière des Etats-Unis. Pour l'Arabie saoudite, il s'agit de maintenir ses niveaux de production pour préserver voire augmenter bientôt ses parts de marchés, notamment vers l'Asie. Alors évidemment cela fait des recettes pétrolières en moins, mais ses coûts de production sont très bas. Le seul problème qui se pose est dans l'équilibre budgétaire immédiat et donc un problème à la marge. Les rentrées fluctuent mais c'est beaucoup plus gérable pour les pays du Golfe ou l'Arabie Saoudite que pour un grand pays comme l'Iran ou le Venezuela, asphyxié à tous les niveaux.

Plus largement, dans la région du Moyen-Orient, l'alliance entre les Etats-Unis et la coalition arabe peut-elle en sortir écornée ou l'enjeu de la stabilité contre l'Etat islamique prime-t-il ?

L'Etat islamique ne se situe pas dans les zones de production pétrolière en Irak et très peu en Syrie. En Syrie, il s'agit de zones matures qui ne donnent pas grand chose du point de vue de l'exploitation pétrolière. La Syrie produisait un peu moins de 500 000 barils par jour avant la révolution, aujourd'hui c'est quasiment le néant. Les seules zones à pouvoir encore exporter sont proches de la côte, sous contrôle d'ailleurs de Bachar el-Assad. Les réserves sont dans l'Est, dans des zones qui ne sont pas en mesure d'exporter, sauf lorsque des factions armées de Daesh prennent le contrôle de puits et organisent clandestinement des exportations de produits raffinés vers la Turquie.

La raison pour laquelle les troupes de la coalition ont bombardé un certain nombre d'infrastructures dites de raffinage, plus ou moins artisanales et mises en place par les islamistes pour raffiner le pétrole brut et produire un diesel de mauvaise qualité, est pour mettre justement fin à ce trafic clandestin à destination de la Turquie. Ces réseaux opéraient et mélangeaient ce diesel de mauvaise qualité au diesel classique. Les autorités turques ont également engagé des contrôles pour que ce trafic réduise ses proportions. Pour la coalition, il y a avait aussi un objectif stratégique, freiner les mouvements des unités de Daesh sur ce vaste terrain en tenter de rationner le carburant.

La coalition, en s'attaquant à Daesh, favorise indirectement Bachar el-Assad sur le terrain. Mais l''Etat islamique reste un ennemi commun des occidentaux et de la coalition arabe, un peu moins toutefois côté turc en termes d'agenda prioritaire.

Le Nigéria est lui aussi en prise avec l'islamisme. Les difficultés financières et la baisse des rentes pétrolières peuvent-elles laisser la part belle à Boko Haram ? 

Le pétrole c'est 70% des recettes fédérales budgétaires et 90% des recettes d'exportations. Des élections présidentielles et générales vont avoir lieu en février 2015. Boko Haram, installé dans le Nord Est sévit sur presque tout le territoire par des attentats suicides, notamment dans la zone entre Nord et Sud. Leur objectif sera précisément de déstabiliser les élections pour délégitimer le futur président élu, et a fortiori si c'est Goodluck Jonathan, parce que c'est un chrétien du Sud du Nigéria.

Normalement, cela aurait dû être un président musulman car au sein de la charte du parti au pouvoir, le Parti démocratique populaire (PDP), une alternance est prévue. Mais depuis le retour de la démocratie au Nigéria en 1999, il n'y a eu qu'un demi mandat musulman contre 3 mandats chrétiens, 4 si GoodLuck Jonathan est réélu. Cela résume assez bien le problème.

A noter également que la rente pétrolière au Nigéria est partagée entre les politiciens. 50% revient au gouvernerment fédéral, 30% aux 36 Etats fédérés et 20% aux 774 gouvernements locaux. Tous les politiciens, quels que soient leur niveau, sont donc directement intéressés au partage de la rente pétrolière. Pour les populations, c'est une autre affaire.

Fait intéressant au Nigéria, il existe un fonds spécifique - Excess Crude Account (ECA) - alimenté par les surplus pétroliers par rapport aux prix du baril fixé lors de l'élaboration du budget. Depuis des années, ce prix étant très sous-évalué par rapport au prix du marché, il donnait lieu à un excédent pétrolier fort conséquent. Mais cette année, suite à la chute des cours, le prix prévu pour le budget doit être revu à la baisse pour être en phase avec les nouveaux prix du marché. Ce fonds ECA alimentait grandement l'Etat fédéral et les Etats fédérés, mais beaucoup restait disponible. Ainsi, à l'époque du choc pétrolier de 2008, suite à la crise financière et à la baisse de la consommation, le Nigéria disposait de 22 milliards de dollars au niveau de ce fond ECA. Aujourd'hui, il n'en reste plus que 4 ! Chacun ayant pioché à l'envi dans ce fonds pour toutes sortes de raisons. Avec la campagne qui s'annonce pour 2015, les gouvernements desv Etats fédérés ont déjà réclamé 2 milliards de dollars juste pour les élections. Il ne resterait donc plus que 2 milliards, autant dire rien ! 

Même si le Nigeria dispose de réserves en devises importantes, de l'ordre de 39 milliards de dollars, soit 9 mois d'importations, il devra probablement tôt ou tard emprunter.  Car en période électorale, il sera difficile d'annoncer des coupes drastiques dans le budget. Pour le gouvernement fédéral qui n'est pas populaire dans certaines régions, cela serait catastrophique. Le Nigéria subventionne en outre le carburant, et en cas de réduction, ce serait une crise intérieure assurée. Ils ont d'ailleurs essayé de les réduire et ont finalement renoncé, après des jeux de yoyo sur le montant des subventions accordées.

Boko Haram n'est pas bien perçu par la majorité de la population et sa stratégie d'agression, de terreur et d'attentats suicides ne leur permettra pas de rallier la population. Ils sont dans une stratégie de terreur pour imposer une charia rigoureuse et étendue et mettre la pression sur le pouvoir politique. Ils s'en prennent d'ailleurs aux membres des différents partis au pouvoir. Ils peuvent tenter d'influencer à la marge le jeu politique par rapport aux élections. L'idée étant que les futurs élus finissent, sous la pression, par se rallier leurs idées. Si Boko Haram n'a rien à voir avec la crise pétrolière, la crise pétrolière et les problèmes financiers du pays peuvent faire que Boko Haram pèse sur les élections, surtout par une campagne de violence qui nuirait à la validité du scrutin.

Entre émeutes, inflation galopante, hausse des prix aux importations, le Venezuela n'allait déjà pas bien avant la crise pétrolière... Dans un contexte économique aussi difficile, le réveil des classes populaires sous perfusion des revenus pétroliers est-il envisageable ? La fin des chavistes l'est-elle également ?

Par rapport aux autres pays producteurs, le Venezuela dispose d'un pétrole lourd qui subit une décote de 10 à 20 dollars. Il touche donc moins que les exportateurs de pétrole léger. C'est donc la double peine pour le Venezuela, les rentrées sont encore plus faibles que pour les autres.

PDVSA, la compagnie nationale, parce qu'elle est très ponctionnée depuis Hugo Chavez pour financer les missions sociales qui visaient à réduire la pauvreté, est totalement piégée. Le Venezuela est notamment contraint d'emprunter aux Chinois et aux Russes. Il gage même sa production future de pétrole. Ainsi, la Chine a accordé au Venezuela un prêt de 10 milliards de dollars il y a 4 - 5 ans, dont le remboursement se fera en pétrole pour les années à venir. Le Venezuela a déjà du mal à rembourser ce prêt. La compagnie nationale est pressurée d'un côté pour alimenter les caisses de l'Etat, elle doit rembourser le prêt à la Chine et n'a pas suffisamment de moyens d'investissement pour augmenter sa production. Problème, il n'y a pas le volume nécessaire pour cela, notamment pour satisfaire au crédit chinois. La situation est difficilement tenable. Mais en cas d'emprunt supplémentaire, la situation sera explosive. 

Le peuple favorisé depuis Chavez est redevable d'une certaine manière au gouvernement, ce qui assure une majorité populaire au pouvoir en place. Les élites par contre, des dirigeants d'entreprise notamment, aimeraient assister à une révolution libérale. L'économie vénézuélienne, qui doit pourtant importer l'essentiel de ses biens de consommation courante, vit quasiment en dehors de l'économie globale aujourd'hui : contrôle des changes, identification des trafics ou des sorties, le bolivar au marché noir vaut plus de 10 fois le cours officiel, etc. La situation est difficile à vivre pour les Vénézuéliens, en particulier pour ceux qui sont amenés à voyager. Les plus démunis prennent eux ce qu'il y a à prendre. 

Il y a un schisme au sein de la population entre les plus favorisés, les idéologues chavistes et le reste de la population. Mais l'opposition vénézuélienne n'est pas soudée, il n'y a pas d'opposition. Et ce même si aux dernières élections, le candidat de l'opposition Caprilès a fait 44%. C'est tout le problème. Le paysage politique est trop morcelé pour porter atteinte aux chavistes, qui portent Nicolás Maduro, l'actuel Président.

La Venezuela, avec son pétrole lourd, a pourtant dépassé l'Arabie Saoudite avec les premières réserves de pétrole prouvée au monde, si tant est qu'il puisse un jour en tirer profit. Il s'agit en outre d'huile extra-lourde couteuse à produire. Si le Venezuela ne s'en sort pas mieux, c'est parce qu'il est englué dans un système de subsides et que la machine industrielle est verrouillée par l'Etat.

Sur le plan politique, un coup d'Etat ou renversement politique semble difficile à imaginer, puisque les militaires ex proches de Chavez ont infiltré tous les postes clé dans les ministères. Ce sont eux qui tiennent l'appareil politico-industriel. Une reconversion de l'économie semble impossible, puisque financièrement l'actuel gouvernement a déjà du mal a financer l'industrie pétrolière. Au début des années 2000, l'Etat a pris 60% au lieu des 40% qu'ils avaient auparavant dans les contrats pétroliers, mais cela n'a rien changé. Les compagnies privées en ont pris leur partie certaines sont partie (Exxon, Conoco), les autres n'investissent plus massivement, même les compagnies asiatiques d'état qui prennent juste des position d'attente. Autant dire que le reste de l'industrie est en berne... Les coupures d'eau et d'électricité sont monnaie courante.

Le seul changement pourrait venir d'une prise de conscience des classes populaires. L'Etat perdrait sa base. Mais pour l'instant, ces dernières sont droguées aux subsides et le régime en place sait faire campagne….

Et dans ce contexte plus que chaotique, où et comment se positionne la Chine ? 

Nous évoquions plus haut le bras de fer Russie - Etats-Unis depuis 2003, celui-ci a aussi porté dans la zone d'Asie centrale, et les seuls à en avoir profité sont les Chinois. Ils ont négocié un raccordement par oléoduc avec le Kazakhstan, suivi d'un accord gazier avec le Turkménistan. Désormais, ils passent des accords avec les Russes qui n'ont d'autre choix que d'accepter pour sortir de leur huis clos sur le marché européen.

Les Russes parlent certes désormais de mettre en concurrence l'Europe et la Chine par un accord avec les Russes concernant les gisements gaziers de Sibérie occidentale, mais ils ont déjà mis près de dix ans pour le premier accord avec la Chine sur la Sibérie orientale. Les Chinois récoltent donc sur tous les fronts, Asie centrale et RussIe. Ils construisent aussi eux-mêmes leur petit réseau d'alimentation pétro-gazière via la Birmanie ou encore un port en eaux profondes au Pakistan, Gwadar, etc.

La Chine a bien profité du bras de fer entre Russie et Etats-Unis depuis 2003. Cela pourrait continuer…

Propos recueillis par Franck Michel / sur Twitter

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