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Un chat errant est photographié sur une citerne à ordures dans la ville de Byblos, au nord de la capitale libanaise Beyrouth, le 4 décembre 2020.
Un chat errant est photographié sur une citerne à ordures dans la ville de Byblos, au nord de la capitale libanaise Beyrouth, le 4 décembre 2020.
©JOSEPH EID / AFP

Bonnes feuilles

Jessica Serra a publié « Dans la tête d’un chat » aux éditions HumenSciences. La personnalité unique du chat et ses sens exceptionnels lui permettent d'appréhender une réalité invisible à nos yeux, son intelligence et ses émotions font de lui un être à part. Jessica Serra décrypte la manière dont les chats apprennent, perçoivent le temps ou apprécient un certain type de musique. Extrait 1/2.

Jessica Serra

Titulaire d’un doctorat en éthologie, Jessica Serra est spécialiste de l’étude du comportement des mammifères. Elle s’est spécialisée dans l’étude de la cognition animale et a travaillé en tant que chercheuse pendant plus de 15 ans. Elle est l’auteure de plusieurs essais scientifiques dont « Dans la tête d’un chat », « La bête en nous » ainsi que d’autres ouvrages de vulgarisation scientifique. Elle dirige la collection d’essais scientifiques « Mondes Animaux » qui regroupe des chercheurs en éthologie et propose à travers des livres accessibles au grand public de nous projeter dans les univers sensoriels et cognitifs des non-humains en évitant l’écueil de l’anthropomorphisme : « Et si, au lieu de regarder les animaux avec nos yeux, nous les regardions avec les leurs ? ».” Retrouvez son site internet : www.jessica-serra.com

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Hypnotisants et mystérieux, les yeux de nos compagnons nous fascinent. Il est vrai que ces deux grosses billes occupent une taille proportionnellement plus grande par rapport à leur tête que les nôtres. Pour comprendre le fonctionnement de l’œil du chat, il suffit de savoir que la pupille est le trou noir central par lequel la lumière pénètre et qu’elle est entourée de l’iris, la partie colorée des yeux au fond desquels se niche la rétine, qui permet de recevoir les rayons lumineux et de transmettre les signaux au cerveau. Précisément, ce sont les photorécepteurs situés sur la rétine, nommés bâtonnets, qui reçoivent la lumière. Équipé de 200 millions de bâtonnets, contre seulement 120 millions chez l’Homme, notre matou nous bat à plate couture. Nous avons tous vu ses pupilles changer de forme, passant du rond à un simple trait, en fonction de la luminosité ambiante. Le jour, quand la lumière est forte, l’iris se contracte en une fente verticale et resserre la pupille pour protéger la rétine. Le soir, quand la pénombre gagne du terrain, l’iris s’ouvre, agrandit la pupille qui prend une forme arrondie pour laisser entrer plus de rayons lumineux. Les êtres humains aussi modifient la taille de leurs pupilles en fonction de la luminosité ambiante. Néanmoins, les formes de ces dernières restent toujours arrondies et leur expansion est minime par rapport à celle du chat, ce qui fait que nous le remarquons rarement.

Mais pourquoi notre félin a-t-il des pupilles qui se ferment à la verticale, à la façon des serpents ? Une équipe de chercheurs californiens a tenté de corréler la forme des pupilles de 214 espèces avec leur mode de vie et leur statut de prédateur ou d’herbivore. Les résultats montrent que les pupilles sont généralement à fente verticale chez les prédateurs habitués à traquer leur proie en embuscade16. Cette particularité leur permet d’estimer la profondeur d’un champ visuel, de manière à connaître avec précision la distance qui les sépare de leur victime, afin de mieux lui bondir dessus. À l’inverse, chez les herbivores habitués à être traqués (les chèvres et les moutons par exemple), les pupilles se ferment à l’horizontale, afin d’avoir une vision panoramique permettant de repérer illico l’arrivée d’un prédateur et de pouvoir détaler rapidement. Ainsi, même lorsqu’ils broutent, les herbivores ont leurs pupilles parallèles au sol, ce qui leur permet de continuer à garder un œil autour d’eux. Une sorte de radar pour décamper en cas d’attaque.

Si certains disent que les yeux sont le « miroir de l’âme », ils n’ont pas tort. En fait, les pupilles de nos matous ne se modifient pas seulement en fonction de la lumière. Leurs formes arrondies, elliptiques ou verticales, sont également en lien avec leur état émotionnel ou de santé. On observe souvent des pupilles contractées lorsque notre félin devient agressif, alors qu’elles sont de formes rondes lorsqu’il est excité, stressé ou qu’il a peur. La majorité du temps, il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Mais les pupilles dilatées peuvent aussi indiquer un problème de santé comme une insuffisance rénale ou un glaucome (augmentation de la pression du fluide dans l’œil), en particulier lorsque notre animal commence à être âgé. Cette modification anormale doit inciter à consulter un vétérinaire. En revanche, si, lors d’une pause caresse, vous surprenez votre matou clignant des yeux, en position mi- clos, pas d’inquiétude : il est seulement dans un moment de bien- être exquis. Le clignement lent des yeux est lié à une diminution de l’hormone du stress, le fameux cortisol.

Au-delà de cette étonnante capacité de l’iris à se contracter, n’avez- vous jamais été fasciné par les yeux phosphorescents de votre matou ? Certains, comme on l’a vu, y entrevoyaient les flammes de l’enfer tandis que d’autres préféraient la symbolique de rayons de soleil, mais cette faculté est en fait liée à une ingénieuse membrane présente à l’arrière de sa rétine, le tapetum lucidum (« tapis de lumière »), qui augmente, par réflexion, la quantité de lumière captée et la reflète à la manière d’un miroir. Cela lui permet de voir dans la pénombre, ce dont nous sommes bien incapables. On dit ainsi que le chat est « nyctalope » – à l’exception des races aux yeux bleus (particulièrement les siamois) qui réfléchissent moins bien la lumière que les autres, leur tapetum présentant des cellules anormales. Il est d’ailleurs probable que ces animaux soient moins performants en termes de vision nocturne.

Globalement, notre félin peut donc chasser aussi bien à la lumière du jour que dans la pénombre, s’attaquant à des espèces diurnes (oiseaux, certains insectes) et nocturnes (rongeurs). Il possède un champ de vision total (260 degrés) plus large que celui de l’humain (180 degrés), ce qui lui permet d’avoir une meilleure vision de ce qui se passe sur les côtés. Avec ses deux yeux placés vers l’avant, il peut superposer deux champs de vision et ainsi voir en relief. Le fait même d’avoir deux globes oculaires sur le devant de la tête est adapté à son statut de prédateur : cela lui permet de cibler ses proies situées devant lui. À l’inverse, les herbivores ont le plus souvent des yeux situés sur les côtés de leurs faces, pour balayer le paysage et apercevoir à l’avance l’arrivée d’un carnivore. En outre, la rétine du chat rafraîchit très rapidement les images reçues, afin de distinguer les objets en mouvement. Il suit ainsi parfaitement les déplacements de ses proies.

LE CHAT VOIT UN MONDE INVISIBLE À NOS YEUX

Ses facultés visuelles ne s’arrêtent pas là. Une étude britannique a révélé que le chat est capable de voir un monde qui nous est invisible : celui des ultraviolets. Nous l’appelons la « lumière noire » tant nous ne discernons rien d’elle. Cela nous rappelle combien la réalité que nous percevons n’est qu’une représentation parmi d’autres du monde physique. Chaque espèce a sa propre perception, et la nôtre est loin d’être la plus fidèle. S’il devait y avoir une compétition pour savoir quel est l’animal le plus perspicace (celui qui perçoit le plus justement le monde), l’Homme obtiendrait des résultats plutôt médiocres. La perception des ultraviolets a de multiples fonctions. Nous savons par exemple que les abeilles s’en servent quotidiennement pour repérer leur source de nourriture. À la façon d’une spirale hypnotique, la lumière ultraviolette reflétée par les fleurs leur apparaît sous forme de bandes concentriques colorées, au sein desquelles le centre (nectar) se démarque du reste. Cela leur permet de repérer une piste d’atterrissage pour tomber à pic dans la nourriture convoitée. Chez les mammifères, elle aide tantôt à la localisation de la nourriture, tantôt à repérer les prédateurs ou les proies, par le biais de traces d’urine visibles par les rayons ultraviolets et d’autres signaux. Même si cela reste hypothétique, il est probable que notre félin se serve aussi de la lumière ultraviolette pour améliorer ses sessions de chasse nocturne, probablement en suivant les marquages urinaires des rongeurs. Cette perception pourrait également favoriser la communication entre matous, puisque les urines de chat sont également visibles à la lumière ultraviolette.

Toutes ces aptitudes font de notre matou un prédateur redoutablement efficace. Toutefois, à la différence de l’humain capable de percevoir un monde riche en couleurs, le chat ne discerne correctement que le bleu et le jaune et il ne fait pas la différence entre le vert et le rouge (on dit qu’il est « dichromatique ») en raison d’un moindre nombre de cônes rétiniens. Pour autant, contrairement à l’idée répandue, il ne vit pas dans un monde en noir et blanc : il en a plutôt une vision pastel. En fait, percevoir aussi finement les couleurs que les Hommes n’aurait pas vraiment de pertinence biologique pour lui. On pense que cette capacité à voir un monde riche en couleurs, propre aux humains et à quelques autres espèces (primates, marsupiaux, oiseaux et certains insectes), permettrait surtout, en stabilisant la perception des couleurs dans des environnements lumineux très variés, de repérer des objets parmi une multitude d’autres. Or notre félin ne se retrouve guère dans ce genre de situation. Lorsqu’il chasse, sa vision nocturne et profonde est bien plus utile qu’une vision haute en couleurs, fort utile pour contempler au musée quelques chefs- d’œuvre. Concernant les objets fixes, il a du mal à les distinguer lorsqu’ils se situent à plus de 75 centimètres de lui : une myopie compensée par sa perception fi ne du mouvement, qui lui permet de se focaliser sur les êtres animés plutôt que sur les choses inertes. De même, notre chat est légèrement presbyte : voir de près lui est difficile.

Pour nous permettre de rentrer dans sa tête, l’artiste américain Nickolay Lamm, spécialiste de l’illustration spéculative (imaginant par exemple des animaux hybrides dans l’Arctique, engendrés par le changement climatique), a créé des photographies modifiées soulignant la différence de perception visuelle entre l’humain et le chat. En comparaison avec ce que nous percevons à la lumière du jour, on trouve chez notre matou des couleurs plus fades, une vision lointaine altérée, mais une meilleure capacité à cibler avec précision un point d’intérêt, particulièrement lorsqu’il est en mouvement. Et la nuit, lorsque l’image est noire pour les humains, c’est au contraire tout un univers de détails qui s’offre à lui. Notre félin peut se mouvoir sans difficulté dans l’obscurité. Des neurobiologistes sont allés encore plus loin en inventant un logiciel capable de modifier la résolution d’une photo afin de rendre compte de l’acuité visuelle d’une multitude d’espèces. Cet outil fabuleux permet de se glisser dans la peau d’un papillon, d’un marsupial ou d’un chat. À défaut de demander aux animaux d’énoncer des lettres de l’alphabet qu’on éloignerait progressivement d’eux, l’équipe de recherche s’est basée sur l’anatomie des yeux pour mesurer la vue d’environ 600 espèces d’insectes, d’oiseaux, de mammifères et de poissons. Malgré la sophistication des yeux des chats, l’étude a montré que ces derniers étaient quatre à sept fois moins performants que les humains pour détecter des détails sur des objets présentés à proximité. Ils étaient toutefois bien meilleurs que des rongeurs ou des mouches. Les chercheurs ont noté une différence d’un facteur 10 000 entre l’espèce ayant la meilleure vue au monde (l’aigle) et celle ayant la plus basse (le ver plat).

Extrait du livre de Jessica Serra, « Dans la tête d’un chat », publié aux éditions HumenSciences

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