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Le cas Le Pen : peut-on gagner une présidentielle quand seuls 34% des Français souhaiteraient vous voir élue ?
Le cas Le Pen : peut-on gagner une présidentielle quand seuls 34% des Français souhaiteraient vous voir élue ?
©ERIC FEFERBERG / POOL / AFP

Macron, seul « espoir » du RN ?

C’est ce qu’indique un sondage Ifop pour Sud Radio, qui montre aussi qu’une majorité d’électeurs du RN le sont plus par protestation que par adhésion. Comment le comprendre quand d’autres enquêtes donnent une Marine Le Pen à 48% dans un éventuel second tour face à Emmanuel Macron ?

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Un récent sondage IFOP pour le Journal du Dimanche et Sud Radio estime que seuls 34% des Français souhaitent voir Marine le Pen à l’Elysée. Ainsi, le vote en faveur du RN semble essentiellement lié à une protestation sans réelle adhésion à une candidate dont la crédibilité a diminué depuis 2017. La victoire par la candidate envisagée par d’autres sondages face à Emmanuel Macron est-elle réellement envisageable au regard de tels chiffres ? Y-a-t-il une illusion sur les capacités électorales du RN depuis la défaite au second tour des dernières présidentielles ?

Christophe Boutin : Il faut ici prêter attention aux questions posées, et ne pas confondre les différents éléments. Les 34 % des Français qui souhaitent voir Marine Le Pen à l'Élysée semblent détonner effectivement par rapport à des sondages qui nous annoncent de manière systématique un score au-dessus de 45 % au second tour de l'élection présidentielle pour la présidente du Rassemblement national, et même une possibilité pour cette dernière de remporter cette élection en 2022. Mais ce chiffre de 34 % est à rapprocher non de celui du second tour, mais bel et bien d’un premier tout où les sondages actuels la donnent un peu en-dessous des 30 %.

Il est permis de penser que les 34 % des Français qui souhaitent voir Marine Le Pen élue pourraient voter pour elle au premier tour, ce qui correspond donc à un réservoir de voix, un socle électoral qu’elle est à peu près la seule à avoir en France, à l'exception d’Emmanuel Macron. Un score qui est bon « historiquement » sous la Ve République : certes, en 1965, 1969 et 1974 encore, certains candidats dépassent les 40 % au premier tour, mais ce n'est plus arrivé depuis, et ce n'est qu'en 1988 et 2007 que, respectivement, François Mitterrand et Nicolas Sarkozy ont dépassé les les 30 %. Pour le reste des meilleur candidats, Hollande en 2012 est à 25,6 %, Giscard en 1981 à 28,3 %, Macron en 2017 à 24 %, Jospin en 1995 à 23,3 % et Chirac, en 2002, à 19,9 %...

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Quant à la question de l'adhésion et de la protestation, il faut être prudent. Certes, comme vous le signalez, 35 % des personnes ayant un jour voté pour le RN déclarent l’avoir fait « par adhésion à ce parti », et 65 % « par rejet des autres partis ». Mais répondant par ailleurs à une question qui leur laissait un panel plus grand de réponses, celle de savoir pourquoi ils ont voté un jour pour le RN, le « mécontentement à l'égard des autres partis politiques » ne vaut en premier choix que pour 29 % des sondés, les autres justifiant notamment leur choix par « l'adhésion au constat que ce parti fait sur l'état de la France » (16 %), aux « solutions sur l'immigration » (14 %), aux « solutions économiques et sociales » (6 %), la personnalité de Marine Le Pen n'entrant en jeu que pour 3 % d'entre eux. Et même en prenant non ce qui est proposé en premier choix, mais ce qui a été évoqué - puisque les sondés pouvaient choisir plusieurs réponses, le « mécontentement l'égard des autres partis politique » n'atteint jamais que 40 % des électeurs qui ont voté un jour pour le RN.

Deux choses semblent ici tout autant instructives que le chiffre que vous citez. D’abord, une forte progression entre 2017 et 2021 de la réponse « pour une autre raison » comme justification des choix (4 % en 2017, 12 % en 2021), comme si la prudence s’imposait aux sondés. Ensuite, c’est maintenant plus d’un tiers des Français qui affirme avoir voté un jour pour le RN (35 %), une progression de cinq points par rapport à 2017 qui vaut aussi pour le vote régulier (de 19 % à 23 %). Nous retrouvons notre socle électoral d’un quart à un tiers des électeurs français.

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Quant à ce que Marine Le Pen puisse être avec ce socle en 2022, il faut simplement rappeler les règles classiques des élections à deux tours : « au premier on choisit, au second on écarte », ou encore « au premier tour on vote pour, au second tour on vote contre ». Au premier tour donc, l’électeur choisit quelqu’un qui lui correspond (par son programme, par sa personnalité) ; au second tour, face aux deux candidats restant ne lice - s’ils ne sont pas ceux retenus au premier tour -, il se ralliera à l’un d’entre eux au moins autant sinon plus à cause de sa détestation de l’autre, se réfugiant sinon dans l’abstention. Vous le voyez, rien dans les chiffres de ce dernier sondage n’infirme donc ce qui a été dit sur les chances de Marine Le Pen en 2022.

En se présentant comme seule alternative à Emmanuel Macron, fait-elle reposer les seules chances du RN sur l’abstention, et le refus d’un second vote barrage en faveur de l’actuel Président de la République ? Emmanuel Macron est-il devenu le principal voire seul atout/espoir de Marine Le Pen ?

À moins qu’Emmanuel Macron ne se retrouve dans la situation peu enviable d’un François Hollande, conduit à choisir de ne pas se représenter tant ses chances étaient faibles, ce sera certainement l’ennemi principal de Marine Le Pen. Il n’est donc pas illogique qu’elle se présente comme une alternative qu’elle souhaite rendre crédible face au Président actuel. De toute manière, à partir du moment Emmanuel Macron se représente, tous les candidats chercheront nécessairement à se faire voir par les électeurs, d’abord, comme seuls à même de l’empêcher d’effectuer un second mandat, et ensuite comme présentant une vraie alternative en termes de programme.

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Que le Président soit alors menacé par l'abstention, il est permis d'en douter. En effet, l'abstention concerne prioritairement les catégories sociales défavorisées, chômeurs, inactifs, personnes ayant un faible niveau scolaire, ruraux, tous ces « perdants de la mondialisation ». Un vaste groupe qui se sent délaissé, pas ou plus représenté, considère que les politiques « c'est bonnet blanc et blanc bonnet », et s'abstient donc de participer à des élections dont il considère qu'elles ne le concernent plus vraiment. Mais tel n'est pas on le sait l'électorat d’Emmanuel Macron, urbain sinon issu des métropoles, économiquement aisé, avec un plus haut niveau de diplôme, un électorat de la mondialisation que le Président a tout fait pour le fidéliser malgré les difficultés dues à la crise sanitaire.

Certes, certains électeurs de 2017 pourront faire d'autres choix en 2022 - c'est déjà acté pour une partie des électeurs venus de la gauche, qui ont été déçus par Emmanuel Macron au pouvoir, et il faudra attendre pour savoir si les électeurs du centre-droit seront séduits par des sirènes plus à droite. Mais cet électorat ne sera concerné que de manière marginale par l’abstention, et pas plus au second tour dans l'hypothèse d'une lutte renouvelée avec Marine Le Pen. Même si, effectivement, ce que l'on a appelé le « front républicain », ce barrage qui avait permis l'élection de Jacques Chirac en 2002 avec 82,21 % des suffrages exprimés, continuera de s’effriter, ce n’est pas uniquement sur cela que Marine Le Pen doit compter pour briser le trop fameux « plafond de verre »

La constitution d’un électorat contre le Président de la République sans canaliser l’ensemble de cette opposition condamne-t-elle le RN à ne jamais pouvoir exprimer une voix propre, et d’adhésion, sur la scène politique nationale ? La normalisation du RN en tant que premier parti d’opposition n’a-t-elle pas noyé son potentiel d’affirmation politique ? 

Plus que les choix stratégiques de Marine Le Pen, je vous dirais volontiers que le mode de scrutin aux élections législatives est sans doute ce qui empêche aujourd’hui le RN d'exprimer, comme vous le dites, « une voix propre sur la scène politique nationale ». Il ne peut en tout cas pas jouer le rôle qui devrait alors être le sien, celui d'un des principaux partis d'opposition à l’Assemblée nationale -  sans que l’on sache d’ailleurs si cette obligation de résultat lui serait alors favorable ou non.

Marine Le Pen a choisi d’agir sur deux axes pour dépasser ce handicap. Le premier est l’élimination de son programme d’éléments qui le fragilisaient en créant des craintes inutiles. Que les Français veuillent une rupture d’avec le système qui prévaut est une chose, mais ils ne sont pas prêts à toutes les aventures – on se souviendra de la question du maintien ou non dans l’euro en 2017. Le second axe est une tentative pour dépasser ses propres faiblesses. Si elle fédère ses électeurs derrière sa personne, même ces derniers ne sont en effet pas toujours convaincus, par exemple, par ses compétences – précisons cependant que lorsque la question s’élargit aux autres hommes et femmes politiques, on se rend compte que c'est bien l'ensemble de la classe politique qui est concernée de nos jours.

Marine Le Pen est donc conduite à présenter non sa seule personne, mais aussi une équipe crédible qui serait engagée au pouvoir autour d'elle en cas de victoire à l'élection présidentielle de 2022. C’est ce qu'elle cherche actuellement, notamment en mettant en avant des candidatures de personnalités de droite - et même parfois de gauche - qui se sont ralliées ces derniers temps au RN pour les élections régionales. Il lui faut ici accepter de soutenir ces personnalités, et éviter le phénomène que connaît le RN depuis sa création ou presque, l’élimination systématique de tous ceux qui pourraient être des concurrents menaçant le dirigeant.

Cette approche est d’autant plus nécessaire que même si c'est Marine Le Pen qui est censée porter de manière la plus efficace les idées du RN en politique, d’autres qu’elle les incarnent : le sondage dont nous parlons livre les noms de Marion Maréchal, Jordan Bardella, Robert Ménard, Éric Zemmour, Nicolas Dupont-Aignan ou Pierre de Villiers. Les Français ne sont pas prêts par contre à voter pour beaucoup d’entre eux, mais cela traduit bien leur demande d’un discours spécifique clairement affirmé auquel la dirigeante du RN ne pourrait totalement renoncer : telle est la limite de sa logique de « normalisation ».

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