La zone euro fait face à des records d’inflation. Mais pas partout… Sur quels États s’alignera la BCE ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le siège de la Banque centrale européenne à Francfort-sur-le-Main, dans l'ouest de l'Allemagne, le 10 mars 2022.
Le siège de la Banque centrale européenne à Francfort-sur-le-Main, dans l'ouest de l'Allemagne, le 10 mars 2022.
©DANIEL ROLAND / AFP

Politique monétaire

Le taux d’inflation dans la zone euro a augmenté en mai, battant un nouveau record et s’établissant à 8,1 % sur un an, d’après les chiffres d’Eurostat publiés mardi 31 mai. Pourtant, tous ces pays ne sont pas dans la même situation

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Atlantico : Selon des données communiquées lundi, l’Allemagne atteint une inflation de 8,7 % par rapport à mai dernier, un record. L’Espagne a également atteint un record d’inflation (8,5%) et la zone euro a atteint 8,1%, son niveau le plus haut depuis 1999. Pourtant, tous les pays de la zone euro ne sont pas dans la même situation et certains continuent d’avoir une inflation relativement modérée, la France notamment. A quel point les écarts sont-ils grands ? Et pour quelles raisons ?

Jean-Paul Betbeze : D’abord l’inflation est partout dans le monde, et commence à se manifester ! Elle vient des tombereaux de liquidités déversés depuis  2007 (crise des subprimes aux États-Unis), puis 2010-2012 (crise des dettes des pays du sud en zone euro), puis du Covid-19, puis de la guerre d’Ukraine, chaque fois pour éviter des catastrophes (successives). Ces liquidités ont été, longtemps, conservées en liquidités dans les trésoreries des ménages et des entreprises, prises dans la peur du lendemain. Aujourd’hui les voilà ces liquidités, avec l’inflation salariale.

Pour autant, l’inflation n’est pas la même selon les pays en zone euro. Les différences s’expliquent par deux raisons: la dépendance gazière et pétrolière n’est pas la même selon le mix énergétique des pays, les décisions pour lutter contre l'inflation non plus. La France est l’un des pays où l’inflation est le moins élevé. La raison est simple, la France recourt moins au pétrole et au gaz que les autres pays du fait de son industrie nucléaire. De plus, l’Etat a mis en place un bouclier tarifaire, qui fait qu’on ne voit pas trop l’inflation. Ce qu’on voit, ou mesure plutôt, c’est le déficit budgétaire qui en vient. 

Une réunion doit avoir lieu dans quelques jours à la BCE pour décider de la marche à suivre, sur la situation de quels États la BCE risque-t-elle de s'aligner ? Avec quelles conséquences pour ceux qui ne sont pas dans la même situation ? 

Le chef économiste de la Banque centrale européenne Philip Lane a expliqué viser une hausse progressive de "25 points de base" deux fois. Le fait d’annoncer par avance est, à mon sens, une manière de fixer une limite maximum. Cela empêche les demandes d’augmenter plus, qui seraient interprétées comme une catastrophe par les marchés. La BCE joue une course de lenteur par rapport à l’inflation et aux taux d’intérêts. Ainsi, les taux d’intérêts à long et très terme, pour l’instant, ne montent pas. L’inflation n’est pas considérée comme pérenne. En Europe elle est due au pétrole et au gaz principalement, aux Etats-Unis s'ajoute la question des salaires. 

A mon sens, la BCE va viser une augmentation de seulement 0,25 par réunion autant que cela est possible. Si elle fait plus, indiquant que les taux d’intérêts à long terme vont monter, ce serait une catastrophe en particulier pour les pays fragiles que sont l’Italie… et la France. Donc la BCE a tout intérêt à aller doucement. Je ne l’imagine pas s’aligner sur la position allemande de forte hausse des taux, car la croissance de la zone euro est extrêmement faible. Certes, il y a bien un problème d’inflation qui incite à augmenter les taux, mais le problème de la faible croissance encourage plutôt à ne pas le faire. C'est pour ça que la FED et la BCE jouent la montre, en espérant que les choses vont se calmer.

Comment la Banque centrale pourrait-elle agir en prenant en compte la diversité des situations dans la zone euro et éviter que certains États en ressortent (trop) perdants ? 

Pour le moment, la BCE fait ce qu’il faut, et s’adapte. Il faut qu’elle convainque qu’avec une hausse de 25 points de base, cela va marcher. Mais les premiers à ne pas être convaincus sont les Allemands et les Hollandais. Ils estiment que la politique est trop molle et que cela fait le jeu des Français.

La France n’a en effet aucune raison de se plaindre par rapport à l’Allemagne. Pour les Allemands, il faudrait que les taux d’intérêts remontent fortement en Europe pour calmer l’inflation et leur faire retrouver une situation correcte. Mais si les taux d’intérêts passent à 4 ou 5 %, l’Europe entre en forte récession et tout le monde sera perdant. L’ancrage à moyen terme de l’inflation à 2% est absolument décisif pour toutes les politiques monétaires et dicte tous les comportements. 

La France (et d’autres états) s'apprêtent-ils à devoir payer certains choix, allemands notamment, en matière d’énergie ? 

L’Italie et l’Allemagne dépendent fortement des exportations russes de gaz et de pétrole russe. Or l’UE a décidé de se passer, autant que possible, de ces dernières. En France, on va compter plus sur le nucléaire, mais en Allemagne c’est hors de question. La vraie opposition franco-allemande est énergétique. Puisque l’Allemagne ne veut pas faire de nucléaire, elle est coincée. Mais c’est elle qui va payer ses choix. D’où cette inflation différenciée. Ceux qui ont acheté des bons du trésor allemands perdent plus que nous. La vraie solution serait qu’une politique énergétique commune se mette en place au niveau européen, et ceci prendra des années. Le problème, c’est surtout que les Verts n’ont pas de vraie politique énergétique.

A cela s’ajoute que les politiques « vertes », même partielles, sont inflationnistes. Cela va mener à se demander si la règle de 2% d’inflation est le bon chiffre puisqu’elle correspondait à une situation donnée, avec notamment un prix de l’énergie modeste. Nous sommes sortis d’une période d’inflation basse et pour des raisons écologiques, géopolitiques, nous allons rentrer dans plus d’inflation. Il vaudrait donc mieux que la BCE accepte que la règle sur l’inflation, évolue ou en tout cas qu’elle se pose la question ou accepte des déficits budgétaires supérieurs.

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