La Tunisie prochaine étape de l’extension du Califat dans la stratégie de l’Etat islamique<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
La Tunisie prochaine étape de l’extension du Califat dans la stratégie de l’Etat islamique
©Reuters

Plan B

Récemment, les djihadistes de l'Etat islamique ont subi plusieurs revers militaires comme à Erbil, bastion kurde, laissant à penser que le "califat" vivrait un creux. Ces deux dernières semaines pourtant, plusieurs vidéos publiées sur Twitter notamment tendent à montrer que l'EI se focaliserait désormais sur la Tunisie, alors que le pays a vécu une fusillade revendiquée par l'Etat islamique récemment.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

Voir la bio »

Atlantico : Par quels moyens l'Etat islamique pourrait-il déstabiliser la Tunisie ?

Alain Rodier : Il est vrai que Daech piétine en Irak (Tikrit) et en Syrie (Kobané) depuis un certain temps. Cela ne l'empêche pas de remporter ici ou là des victoires, particulièrement dans la province d'Al-Anbar au sud-ouest irakien, car sa tactique réside dans l'offensive qui est la meilleure manière de mener des opérations défensives. D'ailleurs, là où Daech se sent en infériorité, il n'insiste pas et s'exfiltre discrètement afin de préserver ses effectifs. En ce qui concerne les attaques qui semblent surprendre ses adversaires, historiquement, cela me fait penser, toutes proportions gardées, aux réactions des forces nazies en 1944-45 et en particulier à l'offensive des Ardennes. Il convient d'en prendre de la graine : comme les nazis, Daech ne s'avouera jamais vaincu.

Pour pallier ces premiers échecs, l'Etat Islamique tente donc d'ouvrir des "fronts" en dehors son berceau irako-syrien histoire d'éparpiller les efforts de ses ennemis. Cela est déjà le cas dans le Sinaï avec un risque d'extension à l'ensemble de l'Egypte ainsi qu'en Libye, particulièrement dans les régions de Derna et de Tripoli. Al-Baghdadi (donné pour gravement blessé mais c'est une autre histoire) lorgne aussi vers d'autres cieux dont la Tunisie. 

Quelles ambitions seraient à la mesure de ses capacités ?

Les effectifs globaux de Daech ont déjà du mal à permettre de contrôler l' "Etat" islamique établi à cheval sur la frontière syro-irakienne. Les chiffres de 30 000 combattants sont avancés mais ils sont invérifiables. A ce propos, il convient de se méfier de tous les chiffres qui sont avancés ici et là car ils font souvent partie de la propagande. Généralement, le flux de volontaires allait plutôt en direction du noyau proche-oriental du califat. Depuis la fin 2014, il semble que des activistes ont rejoint la Libye. Ce serait de même depuis quelques semaines au Yémen mais là, il ne s'agirait pour l'instant que de quelques dizaines de combattants. Dans l'esprit des chefs, ce sacrifice en vaut la peine car ces fronts devraient fournir rapidement de nouvelles recrues qui pourront rejoindre le califat.

L'Etat islamique pourrait-il compter sur le soutien de cellules locales ? Quelle crédibilité d'une allégeance de l'une d'elle qui constituerait une base pour ses actions ?

C'est la base même de la stratégie de Daech : provoquer des ralliements d'individus ou de cellules locales déjà existantes qui agissent alors sous son étendard. Cela ne coûte pas cher et fait de la publicité en montrant que le mouvement peut s'étendre à volonté. Pour ceux qui ont fait allégeance au "calife Ibrahim", cela leur apporte une notoriété qui n'est plus de mise sous la tutelle du docteur al-Zawahiri considéré comme un looser. Selon moi, cette réputation est exagérée et Al-Qaida "canal historique" est en train de reprendre des forces, particulièrement en Syrie (au nord-ouest et au sud-ouest du pays) et au Yémen dans la province d'Hadramaout. A ma connaissance, Al-Qaida "canal historique" est toujours bien présente en Somalie, au Sahel, en zone Afpak et en Extrême-Orient. Il faut souligner que cette nébuleuse n'est pas formée selon le modèle d'une pyramide mais d'un râteau.

En quoi la Tunisie serait-elle une cible stratégiquement, et/ou idéologiquement intéressante pour l'Etat islamique ?

Il y a d'abord une raison tactique simple: ce pays se situe à proximité de la Libye où Daech est déjà implanté. La deuxième est stratégique : c'est un territoire qui est disputé à Al-Qaida au Maghreb Islamique (AQMI), le bras sahélien d'Al-Qaida "canal historique", l'adversaire désigné d'al-Baghdadi depuis le printemps 2014. Enfin, les déçus du printemps arabe y sont nombreux et constituent un vivier intéressant où il possible de recruter de nouveaux adeptes en promettant monts et merveilles, ce qui est une habitude chez Daech qui tient des discours très léchés dans le domaine de la propagande. Il faut aussi se rappeler que les Tunisiens ont fourni le plus gros contingent de djihadistes internationalistes sur le front syro-irakien avec quelques 3 000 volontaires (pas tous dans les rangs de Daech, il faut relativiser) dont 500 seraient revenus au pays.

Dans quelle stratégie cela pourrait-il s'inscrire, au regard des rapprochements que l'on a pu constater avec Boko Haram ?

Boko Haram est un cas un peu à part. En réalité c'est son émir, Aboubakar Shekau qui tenait à ce rapprochement depuis plusieurs mois. Il n'est d'ailleurs pas suivi par tous ses lieutenant et en particulier, par Ansaru, une branche dissidente toujours fidèle à Al-Qaida "canal historique". Il est certain que sur le plan psychologique, cette allégeance est très importante. Cela permet à Daech de désigner une "province ouest-africaine" à partir de laquelle les pays de la région peuvent être menacés, en particulier le Niger (qui vient de connaître une attaque sanglante dans la région du lac Tchad), le Mali et le Tchad. L'idée d'une "jonction" avec des salafistes-djihadistes  implantés en Libye est certainement présente dans l'esprit du "comité militaire" de la choura (l'organe de commandement) de Daech. Il ne faut pas oublier que les dirigeants de Daech dont beaucoup proviennent des cadres du parti irakien Baas sont des professionnels expérimentés.

Un tel développement pourrait-il opposer l'Etat islamique à d'autres groupes comme AQMI par exemple ? Quels sont les liens qui existent entre-eux aujourd'hui ?

A l'évidence, une guerre d'influence est déclenchée entre Al-Qaida "canal historique" et Daech. Elle est même passée dans une phase plus musclée au sud-ouest de la Syrie ces derniers jours, les deux groupes s'opposant les armes à la main sous le regard intéressé de Tashal qui observe depuis ses positions des hauteurs du plateau du Golan situées à quelques centaines de mètres de là. En fait, cela dépend des chefs guerre locaux pour qui, l'intérêt des disputes de la haute hiérarchie de leurs deux mouvements salafistes-djihadistes respectifs leur échappent totalement. Pour eux, l'ennemi premier, ce sont les chiites, les juifs et les croisés, point barre.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !