La très naïve politique européenne de stockage du gaz naturel pour l’hiver <!-- --> | Atlantico.fr
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Une vue de la station de réception, le lien logistique entre le pipeline Nord Stream 2 et le réseau européen de gazoducs, à Lubmin, sur la côte allemande, le 21 septembre 2021.
Une vue de la station de réception, le lien logistique entre le pipeline Nord Stream 2 et le réseau européen de gazoducs, à Lubmin, sur la côte allemande, le 21 septembre 2021.
©JEAN MACDOUGALL / AFP

Dépendance

Les livraisons de gaz russe à l'Union européenne sont tombées au plus bas, contribuant à une explosion des prix. Gazprom détient le monopole des exportations de gaz russe par pipeline vers l'Union européenne. La Russie est le premier fournisseur de gaz naturel des pays de l'UE.

Damien Ernst

Damien Ernst

Damien Ernst est professeur titulaire à l'Université de Liège et à Télécom Paris. Il dirige des recherches dédiées aux réseaux électriques intelligents. Il intervient régulièrement dans les médias sur les sujets liés à l'énergie.

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Atlantico : Dans quelle mesure l’Union Européenne dépend-elle de la Russie et de Poutine pour le stockage du gaz naturel ? Comment l’Union Européenne gère-t-elle son stock de gaz naturel ?

Damien Ernst : La consommation européenne de gaz naturel varie entre 5000 et 6000 TWh par an et la capacité de stockage de l’Union Européenne est d’environ 1100 TWh. Environ 10% de cette quantité de stockage est opérée par Gazprom. Si ce chiffre peut paraître faible, il a en réalité de lourdes conséquences d’un point de vue géopolitique. 

L’Union Européenne ne dispose pas de réserves stratégiques de gaz naturel, comme c’est le cas avec le pétrole. Elle achète son gaz pendant l’été car son prix est moins élevé, afin de l’utiliser pendant l’hiver. En théorie, grâce à ses réserves, elle peut disposer de gaz jusqu’au mois d’avril, quand les prix commencent à redescendre. 

Cette année, au mois d’août, un MWh coûtait environ 40 euros. Avant la crise du Covid, son prix moyen était de 18 euros. Les dirigeants européens ont donc eu une volonté de ne pas remplir les réserves de gaz, en espérant une baisse des prix. En septembre/octobre, quand ils ont constaté que les prix du gaz n’allaient pas baisser, ils ont voulu faire marche arrière. Mais Gazprom n’a pas souhaité vendre son gaz, ce qui a contribué à aggraver la situation. En réalité, on n'a jamais vraiment su si la société avait assez de gaz. D’ailleurs, il faut noter que les champs historiques de Gazprom commencent à diminuer. De plus, l’Europe était un des seuls clients de la Russie mais Moscou, qui n’a pas vraiment réussi à mettre à bien son projet North Stream 2, cherche aujourd’hui de nouveaux clients. Poutine souhaite donc mettre l’Europe à genou afin de forcer le vieux continent à mettre à jour ce projet de gazoduc, et un véritable jeu géopolitique s’est mis en place. 

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L’Europe a-t-elle fait preuve de naïveté en laissant une partie de son stock entre les mains de Poutine ? Quels sont les risques ? 

C’est très clairement le cas et l’Europe est aujourd’hui en situation de faiblesse par rapport à la Russie. Nous sommes mi-janvier et les stocks sont anormalement bas. Le niveau de stockage actuel ne devrait pas être atteint avant le mois de février. Il y a donc une peur de terminer l’hiver avec des réserves très basses, voire qu’il ne reste pas assez de gaz du tout.

Il faut également savoir que le prix du gaz est actuellement plus élevé en Europe qu’en Asie. Il existe donc le risque qu’une guerre des prix éclate entre ces deux marchés, puisque la tentation est grande pour les pays du vieux continent de se fournir en gaz sans passer par la Russie. 

Le facteur le plus important pour les européens, et qui suscite de nombreuses inquiétudes, est le fait que les usines et les industries manquent de gaz. Elles sont nombreuses à avoir stoppé leur activité à cause des prix trop élevés. C’est un mécanisme de destruction de demande, et il a déjà commencé. Si les coûts de production de ces usines augmentent, cela crée un phénomène d’inflation pour les consommateurs. Pour produire la même quantité de produit, il faudrait acheter son gaz beaucoup plus cher, ce qui contribue à l’augmentation des prix. En Allemagne, l’inflation est actuellement autour de 5% à cause de ce phénomène, puisque le pays est très dépendant, contrairement à la France qui a investi dans le nucléaire. Finalement, ce sont les consommateurs qui paieront la facture. C’est notamment le cas pour la nourriture. Comment l’expliquer ? De très nombreux engrais, notamment les engrais azotés, sont fabriqués à partir de NH3, donc d’ammoniac. Cet ammoniac est principalement fabriqué à partir de CH4, le méthane, lui-même composé de gaz naturel. En conclusion, quand le gaz naturel vient à manquer, les engrais coûtent plus cher, ce qui a une incidence certaine sur la nourriture. Selon moi, Poutine a clairement compris cet enjeu. Il joue une véritable partie d’échec contre l’Europe, qui ne veut pas ouvrir les yeux. D’ailleurs, je pense que Poutine n’a pas encore déplacé tous ses pions. Un jour, il pourrait très bien vendre tout son gaz à l’Asie. Cela risque d’arriver dans quelques années puisqu’il cherche à diversifier ses investissements.

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L’Union Européenne pourrait-elle mettre en place un certain nombre de mesures pour reprendre le contrôle de ses réserves ?

L’Europe est impuissante dans cette affaire ! À court terme, il n’y a pas de solution miracle. Il aurait déjà fallu mettre en place une obligation de remplir les stocks avant le début de l’hiver. L’Europe peut également autoriser et favoriser la construction de quelques terminaux LNG (Gaz Naturel Liquéfié). Au-delà de ces points, il ne reste que la possibilité de mettre en place de petites mesures classiques en matière de politique énergétique, comme isoler des bâtiments, ce qui aura une influence minime. En réalité, la plus grosse erreur de l’Europe est sans doute d’avoir voulu tuer la filière du nucléaire. Les Allemands payent cette erreur très cher et la situation européenne est aujourd’hui extrêmement inquiétante.

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