La tentation du protectionnisme est un piège catastrophique… pour les agriculteurs, mais pas que…<!-- --> | Atlantico.fr
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"L'agriculture française ne survivrait pas à une décision radicale de protectionnisme", d'après Jean-Marc Sylvestre.
"L'agriculture française ne survivrait pas à une décision radicale de protectionnisme", d'après Jean-Marc Sylvestre.
©Bertrand GUAY / AFP

Atlantico Business

Beaucoup de dirigeants agricoles exigent aujourd'hui une suspension des accords de libre-échange sans se rendre compte que le retour au protectionnisme serait catastrophique pour l'économie tout entière.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Une régulation sans doute, mais une suspension voire un arrêt définitif des échanges agricoles paraît complètement irresponsable parce que catastrophique pour l'activité agricole elle-même, mais pas seulement.

L'économie toute entière et l'opinion publique, surtout les moins favorisés, ne supporteraient pas d'avoir à vivre plus d'un mois dans une économie fermée.

Ce qui est très inquiétant, c’est qu’une partie de la classe politique à l'extrême gauche et à l'extrême droite relaie cette revendication protectionniste en expliquant que c’est la solution aux problèmes des agriculteurs. Inquiétant et dangereux aussi que pour les écologistes radicaux, le protectionnisme soit le remède miracle au réchauffement climatique.

Les échanges ont toujours plus ou moins existé dans l'histoire du monde. Les hommes ont toujours cherché ailleurs ce qu'ils n’avaient pas chez eux. Le libre-échangisme a été conceptualisé par les économistes classiques qui ont démontré que les peuples avaient intérêt à organiser des échanges mutuels, selon leurs talents, leurs ressources naturelles ou leur climat. Selon l’évolution des moyens de transport et de mobilité en général.

Ces échanges n'ont pas cessé depuis deux siècles de se multiplier. Les gouvernements ont d'ailleurs dû les réguler et les administrer pour éviter des spéculations ou des déséquilibres pervers. Cela a été, pendant très longtemps, le rôle de l'OMC. Mais jamais les peuples n'ont prôné un protectionnisme. Les régimes qui ont mis en place des barrières protectionnistes se sont asphyxiés. L'empire soviétique s’est asphyxié à la fin des années 1980… l’empire chinois est entré dans la mondialisation au début du 21e siècle pour sortir de son sous-développement.

Les matières et produits agricoles ont toujours été au cœur des enjeux du commerce international, comme le pétrole ou certaines matières premières, et elles le resteront quoi qu'en disent les agriculteurs. Quoi qu'en disent les responsables politiques et notamment les écologistes qui pensent sauver la planète en freinant la croissance, c'est-à-dire le progrès, d'où leur adhésion aux discours protectionnistes.

L'agriculture française ne survivrait pas à une décision radicale de protectionnisme. L'arrêt voire la suspension des accords de libre-échange sont inenvisageables et provoqueraient des dégâts pires qu'une catastrophe naturelle. Pour trois raisons principales :

La première raison est très simple, interdire les importations comme le réclament beaucoup d'observateurs, c’est s'empêcher d’exporter. Si la porte d’entrée se ferme, les portes de sortie seront bouchées. La filière agricole française est encore aujourd'hui la deuxième filière de l'économie française à être excédentaire vis-à-vis de l’extérieur (environ 20 milliards d’euros). Le commerce extérieur des biens agricoles arrive au deuxième rang après le luxe dans le classement des activités pourvoyeuses de richesse et de devises étrangères. L’excédent agricole a certes beaucoup baissé depuis le Covid (tout était fermé) et aussi depuis la guerre en Ukraine qui a bouleversé le commerce mondial, mais les excédents restent indispensables. Ce qui est important, ce sont les exportations (50 milliards d'euros) dont les 2/3 en Europe, et un gros tiers dans les pays tiers. La France reste le 8e exportateur mondial du monde pour les produits bruts et le 4e exportateur pour les produits transformés agro-alimentaires. Et qu’est-ce que nous vendons : du blé, du maïs, de la viande de porc et de bœuf, des viandes et des produits laitiers, des vins et spiritueux.

Alors aujourd’hui , on connaît des responsables politiques  capables d’annoncer à certains agriculteurs qu’on fermera les importations. Tout le monde sera content pendant 24 heures parce que dès le lendemain,, il faudra aller expliquer aux producteurs de porcs bretons qu’il ne pourront plus vendre à La Chine et qu’ils vont perdre ainsi ( 30% de leur chiffre d’ »affaires) .. Idem dans la viticulture ou il faudra assumer la fermeture des marches extérieurs aux vins et spiritueux ( plus de 40 % ) ; Quant à l'agro-alimentaire, les marques qui fabriquent non seulement des produits transformés mais aussi de la valeur réalisent près de 50 % de leur chiffre d’affaires à l'étranger. Dans l’industrie de la conserve , des plats cuisines , de la laiterie et des fromages , pas sûr que les syndicats de salariés soient d’accord.

La deuxième raison qui interdit le protectionnisme est que le libre-échange permet un échange de spécificités indispensables. Parallèlement aux échanges agricoles, se sont organisés des échanges multiproduits. Par exemple, parce qu’on vend du porc aux Chinois, on peut leur acheter des puces électroniques ou des tee-shirts que nous sommes incapables de produire au même prix. Idem avec le secteur automobile, l'informatique, les télécoms, le matériel et l'équipement des hôpitaux qui viennent d'Allemagne ou de Corée du Sud. On ne pourra pas bloquer une filière sans désorganiser  les chaines de valeurs de bien d’autres filières. Tout se tient. On a bien vu lors du Covid… on mesure actuellement les difficultés que nous avons à sécuriser nos approvisionnements.

La troisième raison serait que si on se prive d’importations, on prend le risque d'une inflation incontrôlable ou de pénurie parce que la demande intérieure ne sera pas satisfaite. Le consommateur, qui est enthousiaste à soutenir les manifestations agricoles, le sera beaucoup moins quand il ne trouvera plus ce qu'il a l'habitude d'acheter au supermarché. À contrario, la filière agricole qui ne pourra plus exporter verra ses revenus baisser et ses stocks invendables déborder de partout.

Conclusion, un arrêt du libre-échangisme est inimaginable. Le caractère inéluctable du libre-échange ne signifie pas qu'on ne puisse pas réguler son fonctionnement, notamment au niveau des conditions de concurrence et notamment des conditions sanitaires.

Les autorités françaises ont évidemment leur mot à dire et rien ne les empêche de les imposer à Bruxelles. Contrairement à ce que les politiques affirment parce que ça leur rend service, Bruxelles n’a de pouvoir que celui  que les gouvernements de l'UE ont délégué à la Commission. Par ailleurs, les autorités françaises peuvent introduire dans le fonctionnement du marché des exceptions aux principes de liberté. La loi Egalim qui impose des prix d’achat plancher aux acteurs de la filière serait intéressante si elle était appliquée, ce qui n’est pas forcément le cas. Un peu d'autorité dans les contrôles ne plairait pas aux grands distributeurs, mais les agriculteurs se sentiraient mieux.

Enfin, c’est aussi au consommateur de jouer son rôle d’arbitre, sur les prix et sur l'origine du produit, le consommateur est en droit de voter tous les jours. Et tous les jours, il a un droit de vie ou de mort sur une marque qui n’a pas respecté le contrat de confiance.

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