La prison dissuasive ou non contre la criminalité ? Ces édifiantes (et surprenantes) leçons venues des États-Unis <!-- --> | Atlantico.fr
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Un gardien de prison dans un couloir de la zone de prévention de la radicalisation pour les femmes au centre de détention de Roanne, le 12 janvier 2024.
Un gardien de prison dans un couloir de la zone de prévention de la radicalisation pour les femmes au centre de détention de Roanne, le 12 janvier 2024.
©JEFF PACHOUD / AFP

Lutte contre la délinquance

Les exemples de multirécidivistes remis en liberté par la justice se succèdent. Pourtant, l’étude des statistiques américaines, notamment en comparant les grandes métropoles entre elles, pourrait bien ébouriffer les fans de Christiane Taubira. Mais aussi ceux qui s’imaginent qu’il y a un lien entre origine ethnique et criminalité.

Georges Fenech

Georges Fenech

Georges Fenech, ancien juge d'instruction, a présidé la commission d'enquête parlementaire consacrée aux attentats du 13 novembre 2015 et la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES). Son dernier livre est intitulé "L'ensauvagement de la France : la responsabilité des juges et des politiques" (2023) aux éditions du Rocher.

Il a déjà publié de nombreux ouvrages, parmi lesquels Gare aux gourous (2020), mais aussi "Face aux sectes : Politique, Justice, Etat" (1999) et "Criminels récidivistes : Peut-on les laisser sortir ?" (2007).

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Mathieu Zagrodzki

Mathieu Zagrodzki

Mathieu Zagrodzki est politologue spécialiste des questions de sécurité. Il est chercheur associé au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales et chargé de cours à l'université de Versailles-St-Quentin.

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Atlantico : A Nantes, deux jeunes multirécidivistes ont été remis en liberté. Interpellés une demi-dizaine de fois en seulement deux semaines, ces deux sans-papiers ont écopé de 5 mois de prison avec sursis, après avoir été arrêtés en flagrant délit de cambriolage. La prison est-elle efficace ? Que répondre à ceux qui prennent l'exemple du taux d'incarcération aux Etats-Unis pour affirmer que la prison ne dissuaderait en rien les criminels ? Une politique pénale plus ou moins sévère a-t-elle un impact sur le niveau de délinquance et de criminalité d'un pays ? 

Mathieu Zagrodzki : Déjà, il faut commencer par rappeler que la prison a plusieurs fonctions, qui ne se limitent pas à dissuader de potentiels criminels, qui renonceraient à passer à l’acte face à la crainte d’une incarcération. Elle a une fonction de justice (on emprisonne car le criminel doit payer pour le tort qu’il a causé aux victimes et à la société en général), de réinsertion (on emprisonne la personne mais on lui fournit aussi des connaissances et des compétences pour se réinsérer à sa sortie), ou encore de protection de la société (on emprisonne pour éviter qu’une personne dangereuse ne reste en liberté et continue de mettre en danger les autres citoyens). Sur ce dernier point, on peut dire que la prison est par définition « efficace » car elle isole l’individu dangereux, qui le temps de son incarcération ne pourra pas réitérer ses actes, si ce n’est à l’égard de ses codétenus. 

Pour en revenir à la question que vous posez, à savoir le caractère dissuasif de la prison, elle est très complexe. Concernant le cas américain, on a pu croire à un moment à une corrélation entre l’incarcération de masse, qui prend son envol à partir des années 1980, et la baisse assez spectaculaire des homicides qui s’y est produite dans les années qui ont suivi. La réalité est plus contrastée, un certain nombre d’études montrant que la prison peut avoir des effets négatifs sur la récidive et que par ailleurs on a observé des baisses de la criminalité depuis les années 2000 dans des Etats qui ont également réduit leur taux d’incarcération. On soulignera que malgré le taux d’incarcération très élevé qui y perdure, les Etats-Unis ont un taux d’homicides anormalement élevé par rapport à l’Europe par exemple. Par ailleurs, ce qui compte le plus en termes de dissuasion n’est pas tant la sévérité de la peine encourue que la certitude d’être pris et condamné.  

Georges Fenech : Comparaison ne vaut pas raison. La sanction a plusieurs vertus, et notamment l’emprisonnement, et doit être un coup de semonce, notamment pour les mineurs. Lorsque toutes les mesures éducatives ont échoué, il ne faut plus hésiter à sanctionner. Là aussi, la sanction a cette vertu non seulement de prise de conscience, mais également de préparer à la sortie une réinsertion, une reprise en main totale. La prison est un mal nécessaire pour une certaine catégorie de la population. Les avertissements sans frais et à répétition sont ressentis comme une forme d'impunité, voire même d'encouragements à persévérer dans une délinquance d'habitude. Je pense notamment à tous ceux qui se livrent à une criminalité souterraine comme le trafic de stupéfiants par exemple. On a longtemps cru qu'il fallait privilégier ce qu'on appelait le primat de l'éducatif, avec le fameux « tout éducatif, jamais répressif ». C'était l'ordonnance de 1945 sur les mineurs. Ce que je constate aujourd'hui, c'est que les courtes peines d'emprisonnement ont été supprimées. On ne peut plus prononcer aujourd'hui de peines jusqu'à un mois d'emprisonnement. Or, il y a des études qui ont été menées, notamment aux Pays-Bas, qui montrent que les courtes peines ont un effet dissuasif qui interrompt le parcours criminel et donc la récidive. Malheureusement, le législateur, en 2021, au moment où il réforme l'ordonnance de 1945, ne prend pas ce chemin. Or la peine de prison peut être salvatrice dans beaucoup de cas.

Il faut évidemment appliquer la peine de privation de liberté avec discernement. Quand on pense aux mineurs, il y a d'abord plusieurs paliers : il y a les centres éducatifs fermés et malheureusement, nous en manquons terriblement. Il n’y en a même pas un par département. Il faudrait augmenter en nombre les centres éducatifs fermés et donner de véritables moyens de rééducation pour un mineur qui a perdu tous ses repères, qui est en carence éducative totale et en rupture scolaire, professionnelle, sociale ou encore familiale.  

La difficulté aujourd'hui, notamment pour les majeurs, c'est que nous manquons cruellement de places de prison, non pas uniquement à cause d’un manque de moyens, mais surtout à cause de cette idéologie qui a contaminé l'institution judiciaire depuis les années 70, avec l'apparition du Syndicat de la magistrature qui a considéré que le criminel, qui plus est mineur, n'est pas vraiment responsable de ses actes, qu'il est d'abord lui-même la première des victimes : victime de discriminations sociales, économiques et ethniques. C’est cette vision très rousseauiste qui nous a conduits là où nous sommes aujourd’hui, à une forme d'impunité, de perte d'autorité. 

Quel impact les stratégies policières de lutte contre la délinquance et la criminalité ont-elles vraiment sur le niveau de violence d'un pays ? 

Mathieu Zagrodzki : Là encore, la question est complexe car il est toujours malaisé d’isoler telle ou telle cause spécifique, sachant qu’elles sont nombreuses et interagissent entre elles, quel que soit le phénomène social. Il est globalement établi que la patrouille automobile aléatoire n’a pas ou peu d’effets sur la criminalité. L’idée de « mettre du bleu » sur le terrain n’est pas une stratégie policière en soi. Une expérience grandeur nature menée à Kansas City au début des années 1970 a montré que, lorsque l’on sature les rues de voitures de patrouilles de police ou que celles-ci n’interviennent que ponctuellement, la délinquance et le sentiment d’insécurité demeurent inchangés. En revanche, le fait de cibler des points criminogènes, non par une approche d’opérations coup de poing, mais par une démarche partenariale avec d’autres acteurs où l’on va utiliser plusieurs leviers (présence visible, action pénale, réagencement physique des lieux, partage d’informations…) peut avoir des effets durables. Par ailleurs, pour prolonger ce qui a été dit plus haut par rapport à l’effet dissuasif de la sanction pénale, l’amélioration des techniques d’investigation et donc de l’élucidation des crimes et délits a forcément un effet positif sur la baisse de la délinquance. 

Néanmoins, il faut rester réaliste : la police ne peut pas tout face à un phénomène dont les raisons sont multiples et qui échappent largement à son périmètre de compétences. Les forces de l’ordre ne sauraient résoudre des problèmes relevant de la situation économique, des questions d’éducation, de l’urbanisme ou encore de la cohésion sociale. 

Georges Fenech : Il faut rétablir une police de proximité, des commissariats de présence permanente. Mais je le répète ; vous pouvez mettre autant de policiers sur la voie publique, si derrière il n'y a pas de réponse pénale, cela n’aura aucun effet. 

Certains à gauche pointent des racines économiques ou sociales à la criminalité ; d'autres à droite voient dans l'immigration et/ou les origines ethniques ou culturelles un facteur majeur de la propension à la délinquance ou au crime. Que nous apprennent là encore les données américaines sur le sujet ? 

Mathieu Zagrodzki : Les Etats-Unis ont ceci d’intéressant qu’ils permettent de traiter la question ethnique en disposant de données, puisque celles-ci sont collectées de manière officielle et légale. Ce que l’on apprend déjà, c’est que les Américains commettent plus d’homicides que les Européens, et ce quel que soit le groupe ethnique. Les Blancs américains ont par exemple un taux d’homicide peu ou prou deux fois supérieur à celui de la France. Ensuite, les Afro-Américains sont surreprésentés parmi les auteurs et les victimes d’homicides, en constituant plus de la moitié dans les deux cas alors qu’ils ne sont que 13 % parmi la population américaine. Comme je l’ai dit précédemment, les causalités d’un phénomène comme l’homicide sont nombreuses et se recoupent souvent, comme c’est le cas pour le statut socio-économique et l’origine ethno-raciale. Il existe là-aussi une multitude d’études, qui démontrent que la pauvreté est un facteur déterminant, ce qui explique cette surreprésentation de la communauté noire. Elle est porteuse d’autres conséquences néfastes sur le plan scolaire ou celui de la stabilité familiale. Mais il y a un facteur aggravant dans le cas américain, à savoir l’importante ségrégation spatiale : les Noirs sont concentrés dans des espaces urbains souvent caractérisés par une grande violence et la présence de trafics, ce qui fait que les très jeunes y sont exposés et sont donc plus susceptibles de reproduire de tels comportements ou d’avoir de mauvaises fréquentations qui vont les entraîner dans cette spirale. C’est une question qui demeure irrésolue depuis des décennies aux Etats-Unis et par exemple parfaitement relatée dans une série comme « The Wire ». 

Georges Fenech : Le lien qui est fait entre des populations d'origine étrangère et la criminalité ne peut être nié. En France, on l’a nié beaucoup trop longtemps. Il y a 24 % de détenus étrangers dans nos prisons, alors que les étrangers représentent un peu plus de 7% de la population en France. Il y a une sur représentativité de la population étrangère, clandestine surtout, dans les chiffres de la délinquance.

Une politique pénale plus ou moins sévère a-t-elle un impact sur le niveau de délinquance et de criminalité d'un pays ?

Georges Fenech : C’est évident ! Une politique pénale doit marcher sur ses deux jambes : une politique de prévention et une politique de répression. Si vous ne faites que de la prévention, qui était notre tentation depuis quatre décennies, cela ne peut pas fonctionner. Si vous ne faites que de la répression, ça n'a pas de sens non plus. Il faut donc rééquilibrer la politique pénale autour de ces deux piliers. La meilleure des préventions reste quand même la certitude de la répression. Les peines prononcées, lorsqu'il y a une certaine gravité, sont peu ou prou exécutées compte tenu du déficit d'établissements pénitentiaires et de centres éducatifs fermés. 

J'ai eu l'occasion de visiter aux États-Unis ce qu'on appelle là-bas les « bootcamps », notamment celui de Chicago. J'ai vu des jeunes placés dans des grands centres, sous l'autorité militaire, particulièrement disciplinés, faisant le parcours du combattant, l'appel au drapeau, le travail, les études, avec un respect total de leurs éducateurs militaires. Au bout d'un an, on leur remet des diplômes en présence des familles. Certains intègrent l'armée, d'autres vont chercher tout de suite un travail. Le taux de récidive tombe. Nous devrions réfléchir aussi à ces solutions. En revanche, aux États-Unis, il existe un système dans certains États, en tout cas extrêmement répressif, que je ne souhaiterais jamais voir appliquer en France. Certains États appliquent la règle du « three strikes and you are out », autrement dit à « la troisième faute vous êtes exclu de la société ». C'est extrêmement dur. Ce qui fait qu'aux États-Unis, vous avez un million de détenus. Rapporté à la population française, cela représenterait 600 000 détenus en France alors que nous en avons à peu près 70 000. Nous, nous sommes tombés dans l'autre excès, c'est à dire un excès de de laxisme. Cette fameuse culture de l'excuse qui a véritablement infiltré l’École nationale de la magistrature, les juridictions et toutes les générations de magistrats qui ont été culpabilisés de punir. On en voit les résultats catastrophiques, à tel point que nous sommes dans une société d'une violence aujourd'hui inédite. 

L’ensauvagement, thème de mon dernier livre, est bien là. Cela fait quatre décennies que cela dure. Historiquement, depuis les années 80, on a assisté à une longue descente aux enfers. Certains ont essayé d'avoir un discours plus conforme à la réalité. Je pense notamment à Jean-Pierre Chevènement qui déjà évoquait les sauvageons dans les années 90, mais personne n'en a tenu compte. 

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