La possibilité d’un second mandat de Donald Trump se précise : à quoi ressemblerait-il ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Donald Trump en Caroline du Nord, le 10 juin 2023
Donald Trump en Caroline du Nord, le 10 juin 2023
©AFP/ARCHIVES - ALLISON JOYCE

Agenda 47

Les équipes politiques de l’ancien président sont décidées à ne pas reproduire les erreurs de 2016 en arrivant insuffisamment préparés à la Maison Blanche. Ils ont dressé un "agenda 47", comme le numéro qu’aurait Donald Trump dans l’ordre des présidents américains

Olivier Piton

Olivier Piton

Olivier Piton est avocat spécialisé en droit public français, européen et américain. Il a collaboré auprès de trois ambassadeurs de France aux Etats-Unis sur les questions liées aux affaires publiques et aux relations gouvernementales. Il a créé et dirigé la cellule de stratégie d’influence de l’ambassade de France à Washington DC de 2005 à 2010. Il est le président de la Commission des Lois à l’Assemblée des Français de l’Etranger. Il est l'auteur de La nouvelle révolution américaine : la présidentielle américaine à la lumière de l'histoire (Plon, mai 2016).

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Gérald Olivier

Gérald Olivier

Gérald Olivier est journaliste et  partage sa vie entre la France et les États-Unis. Titulaire d’un Master of Arts en Histoire américaine de l’Université de Californie, il a été le correspondant du groupe Valmonde sur la côte ouest dans les années 1990, avant de rentrer en France pour occuper le poste de rédacteur en chef au mensuel Le Spectacle du Monde. Il est aujourd'hui consultant en communications et médias et se consacre à son blog « France-Amérique »

Il est aussi chercheur associé à  l'IPSE, Institut Prospective et Sécurité en Europe.

Il est l'auteur de "Mitt Romney ou le renouveau du mythe américain", paru chez Picollec on Octobre 2012 et "Cover Up, l'Amérique, le Clan Biden et l'Etat profond" aux éditions Konfident.

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Atlantico : Le plan "Agenda 47" c'est un guide pour être efficace dès les premières heures à la Maison Blanche? Sur quoi les équipes Trump avaient-elles buté en 2016 ? 

Gérald Olivier : L’Agenda 47 est un ensemble de programmes et de prises de position sensées donner aux électeurs une idée précise et concrète  de ce que ferait Donald Trump s’il était à nouveau élu à la Maison Blanche. L’agenda 47 est constitué, à l’heure actuelle, d’une cinquantaine de vidéos qui sont de brefs messages de Donald Trump dans lesquels il annonce ses projets ou commente l’actualité en soulignant combien les choses seraient différentes s’il était aux affaires. Il y a de nouvelles vidéos publiées presque tous les jours sur le site de Trump et que l’on peut recevoir en ligne. 

L’objectif est double. Un, montrer que Trump n’est pas quelqu’un qui est simplement obsédé par l’élection de 2020, qu’il estime « volée » et qui veut une revanche ; mais quelqu’un tourné vers l’avenir et qui a un programme pour construire cet avenir. Deux, il s’agit de détailler très visuellement, ce à quoi ressemblerait l’Amérique de Donald Trump et de contraster cette vision avec l’Amérique bien réelle et totalement déprimante de Joe Biden. Les Américains souffrent de la présidence Biden, tous, même parmi ceux qui ont voté pour lui, Trump veut montrer qu’une autre Amérique est possible, une Amérique fière, radieuse et rassurante. 

En 2017, le problème n’était pas que la campagne avait « buté » sur des obstacles, mais Trump ne s’attendait pas à gagner et ni lui ni son équipe n’avaient préparé l’après élection. De plus, n’étant pas rodé au processus politique son administration avait été très lente à remplir certains postes importants, elle avait été bloquée par des tracas administratifs dans l’application de ses politiques, comme pour la construction du mur à la frontière mexicaine,  et avait suscité l’opposition de l’appareil judicaire contre certains de ses décrets comme le fameux « Muslim Ban ». 

Olivier Piton : L’agenda 47 est une sorte de vade mecum du programme présidentiel de Donald Trump mis en ligne le 30 juin dernier et qui prend la forme de courtes vidéos. L’ensemble de ces vidéos se retrouve sur sa plateforme officielle et constitue l’épine dorsale d’un programme qui, selon le candidat, « rendra à l’Amérique sa grandeur et sa gloire » (sic). 

Sur le fond, il s’agit moins de proposer des pistes pour le « Jour 1 » de sa présidence qu’une sorte de patchwork de ce que serait sa présidence dans le long terme et surtout sa vision de l’Amérique de la fin du XXIème siècle. 

Ainsi Donald Trump propose la création de villes nouvelles appelées « villes de la liberté » ultramodernes – à peu près de la taille de Washington. Ces « ruches industrielles » de pointe regorgeraient d’usines, avec des « voitures volantes », pour se déplacer dans un avenir entièrement automatisé. 

Au delà de ce « Brave New World », Donald Trump entend remettre de l’ordre dans le pays. Il s'est ainsi engagé à lutter contre les cartels mexicains et à imposer la peine de mort aux trafiquants de drogue et aux trafiquants d'êtres humains.

Il annonce également qu'il déploierait la Garde nationale "pour rétablir l'ordre public" dans les villes tenues par les démocrates et qu'il enquêterait sur les "procureurs marxistes radicaux" (sic) refusant de réprimer le désordre.

Enfin, Donald Trump veut aussi s’impliquer dans la guerre culturelle et notamment la lutte contre le « wokisme », la fameuse théorie critique de la race qui fleurit dans les campus ainsi que la culture « trans ». 

Bref, cet agenda est une vision de l’Amérique selon Trump 

Le plan Agenda 47 donne des indications sur le futur programme de Trump. Il souhaite, par exemple, que les enseignants des écoles publiques soient obligés d'adopter les valeurs patriotiques. En matière d'immigration, Trump souhaite rétablir la politique consistant à obliger les migrants sans papiers à rester au Mexique pendant qu'ils demandent l'asile. Il ne parle plus de mur. Les équipes de Trump ont tiré les leçons du passé? 

Olivier Piton : Il est difficile de répondre à cette question à un an de l’élection et alors que les primaires n’ont pas encore commencé. Une chose est certaine, Donald Trump peut évoluer sur les moyens mais pas sur la fin. L’objectif est toujours de limiter l’immigration et notamment de mettre un terme à l’immigration illégale.

Gérald Olivier : Si par « tirer les leçons du passé » vous voulez dire que Trump et ses supporters ont abandonné l’idée de construire un mur à la frontière, non, ce n’est pas le cas du tout. Au contraire. Après trente mois durant lesquels l’administration de Joe Biden a transformé la frontière en passoire, le président Biden lui-même a reconnu tout récemment que finir un pan de ce fameux mur était devenu essentiel.  Il s’est dit obligé de le faire par le Congrès, ce qui est faux. Simplement, totalement débordée par un afflux qu’elle a elle-même suscité et encouragé l’administration Biden a perdu totalement le contrôle de la situation et se trouve condamnée à prendre des mesures d’urgence. 

Donald Trump ne met pas l’accent sur le mur pour deux raisons : un, il sait qu’il est vulnérable sur la question pour ne pas avoir réussi à le faire suffisamment avancer durant son mandat. Deux, il préfère mettre en avant une politique migratoire générale qui inclut la lutte contre les cartels, les trafiquants de drogue, d’armes, ou d’êtres humains. 

Ce guide mentionnerait également les domaines, les endroits, les sujets sur lesquels une "bureaucratie libérale" va tenter de les arrêter. En cas de victoire de Trump en 2024, ses équipes prévoient des résistances ? 

Olivier Piton : Bien entendu. Et il n’hésite pas à les identifier et les cibler. Au premier rang, on trouve les responsables démocrates qui sont accusés de laxisme et de tricherie. Mais il s’en prend aussi au monde universitaire, aux journalistes et en résumé, aux « élites » de la côte est et de la côte ouest, qu’il accuse d’être « anti-Américains ». Donald Trump reprend ici son vieil argument de la campagne de 2016 où il opposait déjà l’« Amérique d’en haut » à l’« Amérique d’en bas ». Il refera ce ce positionnement la pierre angulaire de sa campagne 2024.

Gérald Olivier : L’un des objectifs majeurs de l’Agenda 47 est de faire des Etats-Unis une nation à nouveau indépendante en matière d’énergie. Cela signifie relancer l’exploitation ,  la production, et la prospection de gisements de fuels fossiles. Cet agenda va à l’encontre de la « nouvelle donne verte » (« green new Deal ») que l’administration Biden impose depuis trente mois. Inévitablement cette politique de Trump créerait des tensions avec les milieux écologiques qui savent parfaitement utiliser la bureaucratie pour ralentir les projets. 

Mais la première résistance viendrait de la rue. Je ne peux pas imaginer une victoire de Donald Trump saluée par l’indifférence de l’extrême gauche. Au moindre signe d’une victoire de Trump  les « usual suspects »  du radicalisme de gauche descendront mettre le feu aux centres-villes pour dire que « Trump » n’est pas leur président et la justice laissera faire…Une victoire de Trump déboucherait sur des émeutes immédiates, et sur des violences attisées par les médias, notamment dans les villes contrôlées par des administrations démocrates, et il y en des dizaines… 

Justement, parlons de la possibilité de ce second mandat. Un sondage publié par le New-York Times révèle que si l'élection avait lieu demain, Joe Biden serait perdant. Donald Trump mène avec une avance confortable dans cinq Etats clés du scrutin. Les électeurs américains ont davantage confiance en Trump sur l'économie, l'immigration, la sécurité nationale et sur le conflit israélo-palestinien. Comment expliquer ce résultat?   

Gérald Olivier : Le sondage dont vous parlez a fait très peur aux Démocrates car il place Trump en tête dans cinq des six Etats qui vont faire basculer l’élection, les fameux Etats « clés ». Comme en 2020, il s’agit de l’Arizona, de la Géorgie, du Michigan, du Nevada, de la Pennsylvanie, et du Wisconsin, avec à la clé environ 80 sièges au Collège électoral. En remportant ces Etats, en plus de ceux qui lui sont considérés comme acquis, Trump aurait la majorité au Collège électorale et serait élu, même si le vote populaire, c’est-à-dire le nombre de bulletins exprimées au plan national était favorable à Joe Biden. Au passage cette situation, bien que parfaitement constitutionnelle, serait dénoncée par la gauche et servirait de prétexte à rejeter le résultat et excuser les inévitables violences qui s’en suivraient. 

Ce sondage est surtout une illustration de l’impopularité de Biden qui contraste avec l’imperturbable popularité de Trump. Trump est adulé par ses propres troupes et il remportera très probablement la nomination du parti Républicain. Il progresse aussi auprès de l’électorat indépendant, et même parmi les Démocrates. Par contre Biden est de plus en plus rejeté par une partie de plus en plus grande de son propre camp. Le fait qu’un tel sondage soit mis en avant par le New York Times, qui n’est pas un quotidien pro-Trump, illustre la volonté de certains au sein du camp Démocrate d’encourager d’autres candidatures que celle de Biden et de convaincre Biden de passer la main. Au-delà du portrait sans conséquence, d’une réalité politique, c’est une mise en garde adressée aux Démocrates pour leur dire « attention Biden ne peut pas gagner, il faut le remplacer. » 

Il y a une vraie crainte désormais chez les Démocrates que face à Trump, Biden soit battu. Mais comme Biden est  le président sortant, il a légitimement droit à un second mandat, à moins d’y renoncer de lui-même. Il s’agit pour l’Etat major du parti de le convaincre, lentement , de renoncer… Ou bien de convaincre un ténor de le défier. Un élu Démocrate vient de présenter sa candidature à la nomination Démocrate pour la Maison Blanche contre Biden. Il s’appelle Dean Phillips. C’est un jeune élu obscur du Minnesota. Son objectif n’est pas forcément de battre Biden mais pour encourager d’autres à entrer en lice pour se débarrasser de lui.

Vis-à-vis de l’électorat, l’impopularité de Biden est liée aux résultats désastreux de sa politique, à sa faiblesse liée à son âge avancé, et aux accusations de corruption qui le touchent. 

Biden a un passif, un bilan. Ce qu’il n’avait pas en 2020. L’Amérique de Biden est en crise et il devient de plus en plus difficile de le nier. Pendant deux ans, les Démocrates ont nié la crise migratoire à la frontière, ils ont nié la crise de l’énergie, ils ont nié le retour de l’inflation, l’explosion du prix de l’essence, ils ont nié la montée des violences, des vols et des fusillades dans les zones urbaines, ils ont nié la perte de crédibilité à l’international après la débâcle afghane ; mais, alors que le monde s’embrase, que la guerre touche l’Europe, le Proche Orient, et peut-être demain la mer de Chine, qu’en Amérique un antisémitisme sans précédent se manifeste dans la rue et sur les campus universitaires, les gens s’inquiètent et se posent des questions sur ce que l’Amérique est en train de devenir. Au milieu d’un tableau aussi sombre, Trump apparaît comme une lumière rassurante et quelqu’un qui a encore les idées claires… D’ailleurs dans les propositions de l’Agenda 47 il y a « Comment éviter la 3e guerre mondiale ». 

Olivier Piton : Certains de ces Etats avaient permis la victoire de Donald Trump en 2016. Je pense particulièrement à la Pennsylvanie et au Michigan, deux Etats qui font partie de la fameuse « Rust Belt », la ceinture industrielle du Nord-est, largement « désindustrialisée » aujourd’hui. Analyser les sondages est donc important.

Mais soyons clairs, à ce stade, ces données ne disent qu’une seule chose : Le résultat sera extrêmement serré. Rien de plus. Inutile d’en tirer des enseignements excessifs. Nous sommes à un an de la présidentielle américaine. Enormément d’événements vont se dérouler, aux Etats-Unis et à l’international et Donald Trump n’est même pas encore le candidat investi des républicains. Il le sera, éventuellement, le 18 juillet 2024 après la Convention qui se tiendra à Milwaukee dans le Wisconsin. 

Seule ombre au tableau pour Donald Trump, son procès pour fraude. Est-ce que ça peut renverser la dynamique des sondages ?  

Olivier Piton : Le premier procès que Donald Trump a dû affronter date de mars 2023. Or c’est à partir de cette date qu’il s’est littéralement envolé dans les sondages et qu’il culmine aujourd’hui à 59 % des intentions de vote chez les républicains contre moins de 19 % chez son principal concurrent, le gouverneur de Floride Ron De Santis. 

La question n’est donc plus de savoir si ses ennuis judiciaires lui seraient préjudiciables dans son propre camp puisque c’est exactement l’inverse qui se produit.  

La question qui se pose, en cas d’éventuelle condamnation dans l’un des quatre procès qu’il vont s’échelonner tout au long de la fin de 2023 et de 2024, est de savoir si il pourrait avoir un impact négatif sur les intentions de vote des indépendants, l’une des clefs de cette élection.

Dans tous les cas, cette campagne présidentielle américaine s’annonce comme la plus atypique depuis la fin de la guerre de Sécession.

Gérald Olivier : S’il n’y avait qu’un seul procès. Il y en a quatre. Plus deux ou trois recours pour interdire à Trump de se présenter dans certains Etats à cause des incidents du 6 janvier 2021. L’objectif est d’empêcher Trump d’être candidat. Ces attaques sont politiques. Rien d’autre. Les poursuites menées contre lui à New York City par le procureur Alvin Bragg, et dans l’Etat de New York par l’Attorney General Letitia James, sont indignes d’un système judiciaire impartial et soucieux de lutter contre la criminalité. Si l’accusé ne s’appelait pas Trump ces poursuites n’auraient jamais eu lieu. L’une comme l’autre devraient d’ailleurs être sanctionnées, car elles résultent d’engagements de campagne visant expressément Trump. 

A travers ces poursuites il s’agit de faire tomber Trump. Il y a des juges de gauche qui en rêvent la nuit… Il s’agit surtout de l’empêcher de remporter à nouveau la Maison Blanche en lui interdisant d’être candidat. Les Démocrates sont morts de peur qu’il gagne à nouveau. Ils sont  prêts à utiliser tout l’attirail judiciaire à leur disposition, et qu’ils contrôlent, pour ne pas lui laisser cette chance. 

Pour l’heure ces manœuvres ont eu un résultat inverse de celui escompté. Elles font monter la cote de popularité de Trump. Mais sa popularité n’est pas l’élément important ici. Ce qui est important c’est qu’une cour de justice, n’importe laquelle « condamne » Trump, ou qu’une Cour Suprême d’Etat estime que Trump n’a pas le droit d’être candidat dans tel ou tel Etat, car cela aurait un impact sur la campagne. C’est le but recherché. Multiplier les poursuites. Les mener de front pour monopoliser le temps et les ressources de Donald Trump. En faire un condamné, un criminel, pour décourager tout un pan de l’électorat de voter pour lui…

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