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La politique italienne, totalement accro à Berlusconi
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Insubmersible ?

La Cour de cassation italienne a confirmé jeudi soir la condamnation de Silvio Berlusconi dans l'affaire des transactions fictives de droits télévisés de son groupe Mediaset. Mais le Cavaliere dispose toujours de ses droits politiques.

Atlantico : Pour la première fois, malgré 33 procédures judiciaires qu'il aura essuyées dans sa carrière, Silvio Berlusconi a été condamné à quatre ans de prison. En revanche, les cinq juges chargés de statuer sur le cas ont annulé l'inéligibilité du "Cavaliere". La porte est une nouvelle fois ouverte à tous les pronostics. Silvio Berlusconi a-t-il dit son dernier mot politiquement ?

Christophe Bouillaud : Non, bien sûr, il va continuer à se battre jusqu'au bout. Il ne veut pas partir en exil comme son ami Bettino Craxi. Il lui reste surtout un parti entièrement à ses ordres, le "Peuple de la liberté" (PDL). Comme l'ont montré la campagne électorale de janvier 2013 et surtout les élections municipales qui ont eu lieu deux mois plus tard, le personnel politique du "Peuple de la liberté" ne vaut pas grand chose sans son leader historique. Tout un groupe de professionnels de la politique a  besoin de lui pour continuer à exister électoralement, ou bien, tous ces gens doivent arrêter leur carrière à la prochaine élection et retourner dans le néant d'où Silvio Berlusconi les a tirés. Il s'est encore une fois confirmé en 2013 que Silvio Berlusconi est "un géant entouré de nains". C'est largement dû au fait que Silvio Berlusconi a empêché depuis 1994 toute structuration partisane  importante à droite qui ne dépende pas entièrement de son charisme personnel. Au contraire, il a réussi à détruire finalement l'héritage organisationnel du Mouvement social italien, le vieux parti néofasciste créé à la fin des années 1940, devenu ensuite Alliance nationale (1995-2008). Les tentatives de reconstitution d'une droite nationale en 2013 ("Frères d'Italie", et surtout "Futur et Liberté pour l'Italie") ont connu un succès pour le moins limité. Sans lui, la droite italienne est "en short" si j'ose cette métaphore balnéaire. C'est lui ou rien!

L'interdiction d'exercer une fonction publique est certes de nouveau entre les mains des juges milanais. Mais même en cas d'une confirmation, c'est au Parlement que reviendra le dernier mot en votant inéligibilité de l'ex-Premier ministre italien. Le Parlement pourrait ne pas voter la destitution du Cavaliere, car le pays est actuellement dirigé par un gouvernement gauche-droite. Malgré sa condamnation, Silvio Berlusconi est-il indispensable à l'équilibre politique et institutionnel du pays ?

De fait, dans les semaines qui viennent, le Sénat sera amené à voter sur la perte par  Silvio Berlusconi de son mandat sénatorial (acquis en février 2013) en raison de sa condamnation à 4 ans de prison ferme (ramené à un an par une amnistie) pour fraude fiscale. Le Sénat n'est pas du tout obligé de lui faire perdre son mandat parlementaire; de fait, on peut imaginer que Silvio Berlusconi soit à la fois sénateur et en train de purger sa peine de 1 an de prison aux arrêts domiciliaires, tout en allant siéger tant que nécessaire. Ce vote sur le mandat sénatorial de Berlusconi à scrutin secret prendra bien sûr une valeur politique : est-ce que le Parti démocrate (centre-gauche) est prêt à sauver le "délinquant" Berlusconi au nom de la stabilité politique du pays? On peut imaginer que cette couleuvre-là soit un peu trop difficile à avaler pour les élus du PD, mais en même temps, l'Italie a contracté une obligation absolue auprès de ses partenaires européens et de la BCE de maintenir un gouvernement tel que celui d'Enrico Letta contre vents et marées. Le PD par européisme pourrait voter le maintien de S. Berlusconi à son siège de sénateur, ce qui n'est pas sans ironie du point de vue européen, puisque le contribuable allemand, français ou finlandais va fortement apprécier cette bonne nouvelle : en Italie, un fraudeur fiscal avéré peut rester sénateur de la République... Pour tirer tout le monde de l'embarras, Silvio Berlusconi pourrait démissionner de lui-même, mais du coup, il perdrait son immunité parlementaire, et il a d'autres procès en cours. Pour ce qui est de la suite, il semble qu'en vertu d'une loi votée sous le gouvernement Monti, Silvio Berlusconi en tant que personne condamnée définitivement aurait du mal à se présenter aux prochaines élections politiques, mais, là encore, on peut imaginer une nouvelle loi de l'actuelle majorité, annulant cette disposition, qui ramènerait Silvio Berlusconi dans le jeu électoral.

Peut-on dire, qu'au fil des ans l'Italie, est devenue dépendante du "système Berlusconi". Comment expliquez-vous la longévité et le poids politique persistant du Cavaliere malgré les controverses et les affaires qui ont émaillé sa carrière ?

Il faudrait revenir sur l'ensemble des qualités de Silvio Berlusconi : surtout au début de sa carrière politique (dans les années 1990), il a su remarquablement comprendre l'opinion publique italienne, sans doute parce qu'il l'a lui-même modelée largement à travers ses télévisions commerciales depuis les années 1970; il a su développer un système d'alliances autour de son parti, qui a repris les acquis des forces modérées d'avant 1992 en y ajoutant les post-fascistes et les légistes; pour gérer ses affaires judiciaires, il a su s'entourer d'avocats de valeur; il n'a reculé devant rien quand il a été au pouvoir pour faire voter des lois en sa faveur; et, surtout, il a affronté depuis des lustres des adversaires plutôt médiocres, qui n'ont jamais osé aller jusqu'à un conflit radical à son encontre. On ne peut pas dire que l'Italie a été dépendante d'un système Berlusconi, c'est bien plutôt qu'il a su répondre aux aspirations d'une bonne part des Italiens. Que Silvio Berlusconi soit condamné finalement pour fraude fiscale constitue un beau symbole de cette Italie qui a tout de même apprécié le personnage, parce qu'il a su incarner leurs aspirations anti-étatistes, presque anarchoïdes dans le fond. Le "Moi d'abord" généralisé qui a caractérisé le dernier quart de siècle.

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

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