Analyse des eaux usées : voilà ce à quoi elle pourra nous servir après la pandémie<!-- --> | Atlantico.fr
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Des membres du bataillon naval de pompiers de Marseille prélèvent des échantillons d'eaux usées pour détecter la présence du Covid-19 à l'extérieur d'une maison de retraite à Marseille, en janvier 2021.
Des membres du bataillon naval de pompiers de Marseille prélèvent des échantillons d'eaux usées pour détecter la présence du Covid-19 à l'extérieur d'une maison de retraite à Marseille, en janvier 2021.
©Christophe SIMON / AFP

Innovation

L'analyse des eaux usées est un indicateur précoce de la circulation du virus et constitue un outil efficace de surveillance de l'épidémie. Son utilisation pourrait également être utile après la crise. Entretien avec Vincent Maréchal, cofondateur de l'Observatoire épidémiologique dans les eaux usées (Obépine).

Vincent Maréchal

Vincent Maréchal

Vincent Maréchal est Professeur de Virologie à Sorbonne Université, où il dirige l’UFR de Sciences de la Vie depuis 2015. Vincent Maréchal est co-fondateur de plusieurs initiatives de recherche sur le COVID-19 dont le réseau OBEPINE (suivi du SARS-CoV2 dans les eaux usées dans le cadre d’un plan de lutte intégrée contre le COVID-19), l’initiative COVID-IA. Il est également activement impliqué dans la recherche de nouveaux antiviraux actifs contre le SARS-CoV2, notamment dans le cadre de stratégies de repositionnement médicamenteux.
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Atlantico : Depuis quand utilise-t-on l'analyse des eaux usées comme un outil de surveillance du Covid-19 ?

Vincent Maréchal : L'épidémiologie basée sur les eaux usées existait déjà avant la crise sanitaire. On l'utilisait notamment pour suivre le virus de la poliomyélite, un virus qui transite par le tube digestif, ou encore pour traquer des molécules toxiques ou radioactives, des bactéries ou même de la drogue. Cette méthode a l'avantage d'être non invasive, peu coûteuse et relativement simple à mettre en oeuvre. Cependant, la France n'était pas dotée d'une structure de suivi systématique des eaux usées à visée épidémiologique.

Au printemps dernier, les premiers travaux montrant que le Sars-Cov-2 pouvait être détecté dans le tube digestif et les selles de certains malades sont apparus et nous ont amené à lancer des recherches. J'ai monté un groupe de travail à Sorbonne université où je travaille comme virologue. Avec mes collègues, nous avons progressivement construit un réseau avec Eau de Paris, l'université de Lorraine, l'Ifremer, l'institut de recherche biomédicale des armées ou encore l'université de Clermont-Auvergne.

En mars 2020, vous avez co-créé le réseau Obépine, l'observatoire épidémiologique français des eaux usées. Comment avez-vous convaincu les autorités que l'analyse des eaux usées était nécessaire ?

Nous avons démontré que les eaux usées pouvaient être le reflet en direct de ce qui se passait dans la population. Par exemple, en Ile-de-France, nous avons observé que la concentration de génomes viraux dans les eaux usées a diminué dès la première quinzaine du premier confinement. Fin juin 2020, nous avons mis en évidence ce qui allait devenir la deuxième vague, alors que beaucoup disaient que le virus disparaîtrait à l'été. 

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Pourtant, ces analyses n'ont pas eu l'effet escompté dans le milieu médical. Peu de médecins hospitaliers croyaient en cette approche. Même chose pour les agences de santé. A force de lutter, nous avons reçu le soutien de l'académie de science, de médecine et de technologie. Le CARE (comité analyse, recherche, et expertise), qui vise à identifier des problématiques innovantes autour du Covid, nous a également soutenu.

Pendant cinq mois, nous avons travaillé sur des fonds propres. En juillet 2020, le ministère de la recherche a débloqué 3,5 millions d'euros pour une étude pilote. Cela nous a permis de développer un réseau de 168 stations d'épurations. Le sujet est enfin scientifiquement devenu visible en France. Aujourd'hui, on a sans doute l'un des plus beaux réseaux au monde de surveillance des eaux usées. 

Comment sont utilisées vos données par les autorités sanitaires ?

Nous avons des modélisations mathématiques qui nous permettent de définir un indicateur de circulation virale. Cet indicateur fait partie intégrante des outils dont la France s'est dotée pour suivre l'épidémie. Une fois par semaine, nos données sont envoyées à la direction générale de la santé. Nous échangeons aussi régulièrement avec les ARS. 

Mi-décembre, j'ai également souhaité développer un axe de recherche dédié aux variants. C'est plus compliqué car les eaux usées ne permettent pas d'opérer un séquençage génétique complet. Le virus n'y est pas "entier" comme dans le corps humain. C'est un puzzle dont il faut réunir les pièces. Le but est de proposer deux fois par mois une photographie de la circulation des variants et de repérer d'éventuelles nouvelles mutations.

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Que deviendra le réseau Obépine après la crise ?

Nous sommes à un stade où l'on se pose la question de ce que va devenir notre dispositif. Le ministère de la recherche a mis à notre disposition un financement qui nous permet de faire une analyse sur un an seulement. Nous sommes en discussion avec les autorités. Santé Publique France ou l'Anses aimeraient que le système de surveillance soit institutionnalisé et s'éloigne progressivement du projet de recherche initial. Je pense que considérer que c'est un dispositif, normalisé, qui tourne tout seul est dangereux. Il nécessite des chercheurs et des financements. Nous ne gagnons pas d'argent sur ce projet. C'est sûr que certains pourraient voir des intérêts économiques derrière la surveillance des eaux usées.

On va rentrer dans une période où les indicateurs épidémiologiques classiques (les hospitalisations notamment) vont disparaître. Avec la vaccination, la surveillance épidémiologique centrée sur l'individu va diminuer. On risque donc de rater une éventuelle reprise épidémique chez la population non-vaccinée ou avec des variants échappant à l'immunité naturelle ou vaccinale. Il est donc absolument essentiel de maintenir une surveillance dans les eaux usées.

Le réseau Obépine peut-il servir à autre chose qu'à la surveillance du Covid-19 ?

L'objectif d'Obépine est d'avoir un réseau de surveillance nationale pérenne et apte à suivre d'autres pathogènes : virus de gastro-entérite, de l'hépatite E, maladies zoonotiques, bactéries résistantes aux antibiotiques, etc. En fait, on peut analyser n'importe quel pathogène qui transite dans le tube digestif. Avec notre réseau de 168 stations d'épuration, on pourrait aussi imaginer une surveillance des polluants chimiques, des micro-polluants, des hormones mimétiques... Dès lors que le dispositif est là, il faut l'exploiter au maximum. On a aussi demandé un financement pour créer une aquathèque afin de conserver les eaux usées pendant au moins 6 mois de façon à pouvoir faire des études rétrospectives.

Propos recueillis par François Blanchard

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