La nouvelle ruée vers l’or va-t-elle durer ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L’année dernière, les banques centrales ont acheté 1 079 tonnes de lingots, plus haut volume enregistré depuis le début des relevés en 1950.
L’année dernière, les banques centrales ont acheté 1 079 tonnes de lingots, plus haut volume enregistré depuis le début des relevés en 1950.
©DAVID GRAY / AFP

Valeur refuge

L’or est souvent considéré comme un placement sûr, particulièrement en temps de crise ou, comme aujourd’hui, d’inflation. À en croire le Financial Times, la période actuelle ressemble même à une nouvelle forme de ruée vers le lingot ou l’once.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : L’or est souvent considéré comme un placement sûr, particulièrement en temps de crise ou, comme aujourd’hui, d’inflation. À en croire le Financial Times, la période actuelle ressemble même à une nouvelle forme de ruée vers le lingot ou l’once. Comment l’expliquer ? Qu’est-ce qui prête à l’or, cette valeur « refuge » ?

Michel Ruimy : L’environnement occidental de la dernière décennie a été marqué par des relations internationales relativement apaisées, par une mondialisation économique et financière s’appuyant sur le libre-échange, par une faible inflation et par une forte croissance, par la super performance boursière des entreprises technologiques...

Or, celui-ci a récemment changé : la pandémie du coronavirus, la guerre en Ukraine, les tensions géopolitiques entre la Chine et les Etats-Unis, une inflation élevée et durable, l’endettement mondial croissant, le relèvement des taux d’intérêt élevés et le début d’une crise bancaire - effondrement de trois banques régionales américaines et rachat de Credit Suisse par UBS - ont incité les investisseurs, inquiets quant à la fiabilité des actifs liquides, à réévaluer les valeurs « refuge », dont l’or, considéré historiquement comme un des parangons en période de turbulences, en a été le bénéficiaire.

Par ailleurs, un autre facteur géopolitique est apparu au cours de ces dernières années : la défiance des pays en développement à l’égard du dollar américain. Les sanctions de l’Occident à l’égard de la Russie à la suite de l’invasion de l’Ukraine (gel de l’équivalent de 300 milliards de dollars d’avoirs libellés en dollars, en euros et en livres sterling) ont alarmé de nombreux pays, notamment émergents, dont les banques centrales, afin d’éviter un risque géopolitique, ont diversifié leurs réserves en achetant davantage d’or. L’année dernière, les banques centrales ont acheté 1 079 tonnes de lingots, plus haut volume enregistré depuis le début des relevés en 1950. En conséquence, depuis mars, l’once d’or se rapproche de son sommet historique de 2020.

Est-ce à dire, selon-vous, qu’il faut aujourd’hui recommander aux investisseurs de placer leur argent dans l’or ? Dans quelle mesure cette situation est-elle amenée à durer ?

La diversification / achat d’or vise à créer un portefeuille plus neutre face aux incertitudes futures. Du fait de la volatilité des marchés financiers de ces derniers mois, l’or est devenu, outre un « actif géopolitique », un « indicateur de la peur » qui y sévit.

Il est vrai qu’au vu de l’accumulation des nuages depuis quelques mois dans le ciel financier (stagflation, tensions géopolitiques, dédollarisation…) et son assombrissement avec encore, récemment, le débat sur le relèvement du plafond de la dette fédérale américaine d’ici le début du mois de juin et l’éventuel premier défaut de paiement de la dette du Trésor, certains envisagent aujourd’hui la progression du cours de l’or en raison d’une part, de l’absence d’autres classes d’actifs « investissables », d’autre part, du fait que les banques centrales sont à court de solutions palliatives et enfin, en considérant que le « génie » de l’inflation étant sorti de la bouteille, les pays émergents font face au risque d’une spirale de la dette en dollars américains.

La question-clé reste de prédire le moment où cette tendance haussière s’interrompra ? En d’autres termes, quand le climat des affaires retrouvera-t-il une certaine sérénité ? Pendant ce temps, nous risquons de voir les cours de l’or fluctuer, en « tôle ondulée », au gré de l’évolution des évènements.

Que faut-il craindre, dès lors que cette nouvelle ruée vers l’or prendra fin ? Faut-il s’attendre à un grand nombre de perdants ou, pire, à un problème économique peut-être plus généralisé ?

Une autre, plus générale, est de savoir, alors que les pays cherchent des alternatives au dollar, quel rôle jouera l’or dans la stratégie de la Chine, qui souhaite développer le rôle international du yuan renminbi. En décembre, Xi Jinping a vanté le règlement des paiements pour le pétrole et le gaz saoudiens en monnaie chinoise.

Or, cette initiative ne gagnera du terrain que si cette devise peut être convertie en or alors que le métal précieux revient en force, dans le système mondial, en termes de paiements.

Quels conseils donneriez-vous à un investisseur qui prévoit de placer l’argent dans l’or ?

En dépit de 5 000 ans d’histoire en matière de richesse, les ressorts de la demande d’or sont encore particulièrement complexes et imprévisibles. Un conseil de prudence, donc : les évolutions passées ne présagent la performance future. Par exemple, le prix de ce métal précieux s’est effondré entre 2011 et 2013 (passage d’un sommet de plus de 1 900 USD l’once troy à près de 1 200 USD).

A court terme, il me semble que le facteur déterminant du prix de l’or sera la voie empruntée par la Réserve fédérale pour équilibrer le maintien de la santé de l’économie américaine et la maîtrise de l’inflation. Ainsi, la banque centrale a indiqué, ces derniers jours, qu’elle était résolue à relever encore, le cas échant, les taux d’intérêt pour lutter contre l’inflation. Ceci a entraîné un recul quasi-immédiat du cours de la « relique barbare » (Un niveau élevé des taux d’intérêt augmente l’attrait des obligations par rapport à l’or, qui ne rapporte rien). Un accord sur le plafond de la dette américaine pourrait également exercer une pression à la baisse sur le prix de l’or.

À plus long terme, l’appétit des consommateurs pour le métal précieux pourrait être déprimé par diverses raisons.

Tout d’abord, les questions climatiques et environnementales sont au centre des préoccupations de tous, notamment de celles des jeunes générations. Si l’or joue un rôle direct négligeable dans la transition énergétique contrairement à beaucoup d’autres métaux plus fonctionnels, l’industrie minière aurifère est toutefois très polluante. Or, ses gisements se trouvent souvent aux côtés de ceux du cuivre, qui est un élément essentiel aux technologies à faible émission de carbone (éoliennes, voitures électriques…).

Aussi, dans un monde qui se décarbonise, le secteur subit une pression accrue pour réduire ses émissions, réduire son impact environnemental et devenir plus transparent. Nous pourrions donc assister, dans un futur relativement proche, à une consolidation des entreprises, qui aura vraisemblablement des conséquences sur le cours des actions.

Par ailleurs, même si de nombreux firmes du secteur aurifère affirment qu’elles améliorent la qualité de vie des communautés locales en créant des emplois et qu’elles réduisent leurs impacts environnementaux, cette situation ne devrait pas améliorer la réputation de l’or auprès des jeunes investisseurs, qui sont susceptibles d’être davantage attirés par des investissements numériques (NFT, cryptos).

Ainsi, la numérisation et les défis générationnels limiteront la capacité de l’or à s’inscrire sur une tendance longue haussière. En effet, malgré les derniers tourments de l’écosystème cryptographique, les amateurs de « crypto » ont, au moins, une chose en commun avec certains pays : la sympathie pour l’idée que le système de monnaie fiduciaire actuel est cassé et se dirige vers la catastrophe.

Enfin, bien que les risques demeurent présents dans l’économie mondiale et que les actions et les obligations aient parfois montré des signes d’inversion simultanée de leur tendance à la hausse, beaucoup d’investisseurs continueront de miser sur ces supports.

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