La junte malienne rompt définitivement avec la France et voilà ce que cela nous réserve<!-- --> | Atlantico.fr
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Défense
Le colonel Assimi Goita, président du CNSP (Comité national pour le salut du peuple), arrive aux funérailles de l'ancien président malien le général Moussa Traoré, en septembre 2020.
Le colonel Assimi Goita, président du CNSP (Comité national pour le salut du peuple), arrive aux funérailles de l'ancien président malien le général Moussa Traoré, en septembre 2020.
©MICHELE CATTANI / AFP

Accords de défense

La junte au pouvoir au Mali a rompu plusieurs accords de défense conclus avec la France, mais aussi avec ses partenaires européens.

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy est enseignant en géopolitique à l'Université Catholique de Lille, à l'Institut Supérieur de gestion de Paris, à l'école des Hautes Études Internationales et Politiques. Il est également président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). 

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Atlantico : Le Mali a décidé, lundi 2 mai, de rompre ses accords de défense avec la France et ses partenaires européens. Comment analyser la dégradation des relations entre la junte militaire au pouvoir et la France ? Est-ce le résultat d'un jeu d'influences en défaveur de la France et des européens ? 

Emmanuel Dupuy : Il s’agit moins d’une rupture que d’un processus de continuation des dégradations. Les relations franco-maliennes s’étaient dégradées à partir du moment où la France avait émis, comme d’autres pays européens, des critiques à l’encontre du pouvoir putschiste suite au coup d’État du 20 août 2020 et du 24 mai 2021. 

Cette remise en cause de l’accord de sécurité et de défense entre la France et le Mali est donc une nouvelle étape et non une rupture brutale. Celle-ci avait été engagée lorsque l’ambassadeur français au Mali, Joël Meyer, avait été rappelé à Paris et que la France avait fait savoir qu’elle n’était pas sur la même longueur d’onde que la junte militaire, en soutien des sanctions de la CEDEAO et de la UEMOA à l’égard du Mali. D’une certaine façon, la France n’a pas bougé sa position, contrairement au Mali. On peut d’ailleurs se demander si ce sont les autorités maliennes et leurs supplétifs qui accélèrent cette rupture.

Il faut noter que si la France a été poussée dehors plus rapidement que prévu, Emmanuel Macron a eu raison de dire que la fermeture des six bases françaises au Mali, à savoir celles de Kidal, de Tessalit, de Tombouctou, de Gossi, de Gao et de Ménaka, ne pouvaient pas être fermées sans respecter le minimum de sécurité du personnel militaire qui y est déployé. Le commandant de la France Barkhane a indiqué que la France prendrait le temps nécessaire avant de fermer les bases restantes, celles de Gao et de Ménaka, qui contiennent encore 2600 militaires français.

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Cette annonce de la junte militaire malienne annonce-t-elle une victoire pour la Russie et le groupe Wagner ? En sortent-ils renforcés ? 

Les autorités maliennes récusent le simple fait de valider l’idée qu’il y aurait des membres de la société militaire privée Wagner, ce qui va d’ailleurs à l’encontre des propres aveux du président Vladimir Poutine, tout comme ceux de Sergueï Lavrov. Il faut également savoir que les Russes ont vendu au Mali deux hélicoptères d’attaque MI-35 et quatre hélicoptères de transport MI-17. Peut-on dire qu’il s’agit d’une victoire de la Russie, qui n’est pas présente sur le sol malien ? Officiellement non, mais Moscou a quand même réussi à discréditer les forces françaises et l’histoire du faux charnier de Gossi en est la preuve absolue. En revanche, on peut qualifier de réussite le fait que la Russie ait signé des accords de défense avec plusieurs États africains. À l’heure où nous parlons, tous ces pays avec lesquels la France a des accords de défense ont donc également conclu un pacte avec la Russie. Moscou a aussi signé 32 accords de coopération économique en Afrique sur un total de 54 pays ainsi que 21 accords de coopération, de défense et de sécurité. Le Nigéria, la Mauritanie et le Cameroun sont les trois derniers. 

Faut-il craindre une dégradation de la situation sécuritaire au Mali ? Pouvons-nous nous attendre à des conséquences sur le sol européen ?

Au Mali, il paraît évident que la situation sécuritaire va se dégrader, et ce pour plusieurs raisons : 

Premièrement, il y aura sans doute de plus en plus d’exactions et d’interrogations sur le respect des libertés fondamentales et des droits de l’Homme. On relève au cours du mois d’avril près de 300 victimes civiles à Moura, dans le centre du pays. Ces victimes auraient été tuées dans le cadre d’exécutions extra-judiciaires. De son côté, le Mali parle d’opération anti-terroriste et affirme avoir neutralisé 203 djihadistes. Force est de constater qu’Amnesty International, Human Rights Watch et la Minusma interpréteraient sans doute cela comme une atteinte aux populations civiles, si elles avaient le droit d’enquêter. La première conséquence de la fin de l’accord de défense entre le Mali et la France pourrait entraîner plus d'opérations de ce type, sans aucun garde-fou.

Enfin, alors que les autorités françaises et maliennes s’invectivent de part et d’autre, force est de constater que la coopération militaire entre les FAMAs et la force Barkhane fonctionne. Le 30 février dernier, une trentaine de djihadistes ont été mis hors d’état de nuire dans la région dite des trois frontières, entre le Mali, le Niger, et le Burkina Faso. 50 ont été neutralisés au Burkina Faso la semaine suivante, pour un total de 869 djihadistes neutralisés entre février 2021 et février 2022. D’un point de vue opérationnel, la coopération sur le terrain fonctionne donc. La rupture de cet accord de défense, l’interdiction du survol de l’espace aérien malien, l’interdiction des vols de reconnaissance et de l’utilisation de drones par la France permettront aux groupes terroristes de mener davantage d’actions pour lutter contre les autorités maliennes. De plus, depuis que le pouvoir malien a signé un accord avec Wagner, une attaque à Hombori a coûté la vie à un soldat des FAMAs ainsi qu’à un Russe présenté comme un instructeur militaire. Selon un communiqué du Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans daté du 25 avril, un membre de Wagner serait également retenu en otage. 

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Fort heureusement, il ne faut pas s’attendre à des conséquences sécuritaires sur le sol européen. C’est une sorte de fantasme qui a été longuement présenté comme un justificatif à notre intervention au Sahel. Depuis que les forces armées françaises opèrent au Mali et au Sahel, il n’y a eu qu’une seule revendication à propos d’une tentative d’attentat sur le territoire français, en mai 2020 dans la commune de Colombe. Un certain Youssef T. avait tenté de renverser deux agents municipaux avant de proclamer son allégeance à Adnane Abou Walid al-Sahraoui, qui est le chef de l'État Islamique dans le Grand Sahara et qui a été tué par une frappe française en août dernier.

Que change cette décision pour la France ? Devrait-elle remettre en question sa stratégie dans la région ?

La stratégie française avait déjà été revisitée depuis que la décision a été prise de quitter le Mali. On peut la résumer en quelques points : 

Premièrement, l’éparpillement des groupes armées terroristes vers d’autres pays comme la Côte d’Ivoire, le Bénin ou le Togo confirme l’idée que la seule mobilisation des forces européennes, onusiennes et internationales ne suffit plus. 

Deuxième point, au lieu d’avoir des bases militaires lourdes, l’idée est d’éparpiller le dispositif militaire français, en renforçant par exemple la présence des 350 militaires français à Dakar, en disposant un plus grand nombre de militaires en Côte d’Ivoire … Cela passe aussi par la formation des forces armées locales. En somme, il faudrait faire ce que les anglo-saxons appellent le Light Foot Print, c’est à dire une présence moins proactive et plus défensive. 

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Ensuite, il faudrait remobiliser nos forces là où la coopération se maintient. Par exemple, il y a deux semaines a été voté au Parlement nigérien un accroissement de la présence française et 900 militaires français vont s’y repositionner. De même, il reste 1200 militaires français au Tchad. 

Enfin, il faut avoir conscience que l’accompagnement des forces armées ouest-africaines et sahéliennes à travers le G5 n’existe quasiment plus, pour plusieurs raisons. Deux de ces pays ont connu des coups d’État et cette organisation a du plomb dans l’aile. Le G5 Sahel fonctionne donc mal car ses pays membres ne collaborent plus. De plus, la question du G5 Sahel étant structurellement liée à la présence de Barkhane, ce groupe devra être remplacé ou modifié. 

Tous ces points montrent que les autorités maliennes, contrairement à ce qu’elles veulent mettre en avant, sont isolées et n’ont plus que les autorités russes sur lesquelles compter. 

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