La guerre en Ukraine : voilà à quoi ressemble le (provisoire) bilan avantages / inconvénients que dressent les nationalistes russes <!-- --> | Atlantico.fr
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Des soldats russes en Ukraine lors de "l'opération spéciale".
Des soldats russes en Ukraine lors de "l'opération spéciale".
©Alexander NEMENOV / AFP

Enseignements du conflit

Selon un article du tabloïd russe Komsomolskaya Pravda, une trêve pourrait être envisagée à l'automne. Qu'attendent les Russes pour entamer un cessez-le-feu ? Quelles seraient les conséquences pour les pays occidentaux ?

Michael Lambert

Michael Lambert

Michael Eric Lambert est analyste renseignement pour l’agence Pinkerton à Dublin et titulaire d’un doctorat en Histoire des relations internationales à Sorbonne Université en partenariat avec l’INSEAD.

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Atlantico : Dans un article du tabloïd russe Komsomolskaya Pravda, on apprend que la partie russe pense qu'une fenêtre d'opportunité pour une trêve serait à l'automne. Qu'attendent les Russes, selon le Komsomolskaya Pravda, pour entamer un cessez-le-feu ? Quels objectifs cherchent-ils à atteindre ?

Michael Lambert : La proposition de cessez-le-feu arrive à un moment critique pour l'Ukraine, qui commence à accuser de lourdes pertes territoriales, ce qui pourrait amener Zelenskyy à reconsidérer cette possibilité. Pour autant, le cessez-le-feu ne signifierait pas la fin de la guerre, mais plutôt une pause dans le conflit, le temps pour les forces ukrainiennes de se restructurer, d'évacuer certains civils, de permettre aux réfugiés de rentrer au pays pour voir leurs proches. De plus, cela permettrait aux ukrainiens de recevoir entre temps des armements occidentaux, et d'être formés aux nouveaux équipements militaires tels que les canons CAESAR, ce qui constituerait un avantage indéniable.

Pour les européens et surtout pour les pays du Moyen Orient (MENA) et de l'Afrique, cela permettrait de soustraire des céréales à l'Ukraine, et ainsi éviter une famine mondiale. En Europe, cela permettrait en outre de mieux contrôler l'inflation, dont on sait désormais qu'elle est l'ennemi public numéro un.

Comme le mentionne l'article de la Komsomolskaya Pravda, les pays qui ont le moins à gagner sont les États-Unis, qui vendent dorénavant davantage d'hydrocarbures à l'Europe et vont étendre l'Otan à la Suède et à la Finlande, augmentant ainsi leur poids sur le continent. Si les États-Unis n'ont pas autant avantage à voir émerger un cessez-le-feu, cela ne veut pas dire qu'ils y sont opposés, car cela permettrait aussi d'approvisionner l'Ukraine en armes et de lutter contre l'inflation qui les touche très fortement (8 à 10% d'inflation en aux USA en 2022).

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L'article fait mention de la Grande-Bretagne qui s'opposerait au cessez-le-feu, cela constitue bien sûr une vision très russe de la dynamique des relations USA-Grande-Bretagne, Londres n'ayant aucun intérêt à avoir une guerre à quelques centaines de kilomètres à peine de chez-elle.

L'article ne mentionne pas que la Russie serait le principal bénéficiaire d'un cessez-le-feu. En effet, bien que progressant à un rythme régulier, nous avons vu que l'hiver pose des problèmes aux soldats russes qui ne sont pas suffisamment équipés, avec des véhicules légers qui s'entassent sur les routes, et des chars datant de l'ère soviétique qui peinent à avancer sur des terrains boueux. En résumé, une grève permettrait à Moscou de recruter plus de soldats, mais aussi de produire ses chars T-14 Armata (les seuls de qualité acceptable, les T-72 et T-80 apparaissant comme des reliques soviétiques), ainsi que des avions Su-35 et Su-57, car les appareils soviétiques comme les Su-25 et les Mig-29 n'ont aucune pertinence stratégique, et font même planer le doute sur la puissance effective de l'armée russe.

Enfin, le cessez-le-feu permettrait à la Russie d'affaiblir les ménages européens qui s'endetteront avec la facture de chauffage en hiver.

Pour réitérer, c'est la Russie qui a tout à gagner d'un cessez-le-feu, pas l'Occident, l'Ukraine ayant une position plus ambivalente.

Comment le journal perçoit-il la situation actuelle de l'"opération spéciale" ?  Existe-t-il un bilan avantages/désavantages ?

Il est difficile pour un journal russe d'être objectif, pour la simple raison que le contexte juridique ne le permet pas. Cependant, en évoquant les intérêts d'un cessez-le-feu, le journal montre qu'il existe des fissures du côté russe, et si la majorité des citoyens soutiennent la politique menée en Ukraine, notamment dans le Donbass, ils ont eux-mêmes du mal à comprendre pourquoi leurs forces armées peinent à avancer sur le terrain.

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Pour la Russie, cette guerre a apporté peu de bénéfices jusqu'à présent. L'Otan s'est élargie à deux pays nordiques, dont la Suède. Stockholm dispose d'une armée d'excellence, et des équipements tels que le Saab JAS 39 Gripen (structure de communication très sophistiquée entre les avions, capacité d'atterrir sur des terrains chaotiques, et utilisation de carburant sans raffinement spécifique pour les avions de chasse) qui offriront un avantage indéniable face à la Russie.

De plus, le monde est désormais conscient de la faiblesse des troupes russes dans le domaine aérien, et la seule véritable démonstration de puissance se limite aux missiles hypersoniques. En résumé, l'armée russe dispose de bons équipements, mais la quantité fait défaut en raison de l'absence de production de masse (par exemple, le Su-57 et le T-14 Armata).

Un autre élément primordial réside dans le basculement de la dynamique des relations sino-russes. La Chine est désormais la seule grande puissance mondiale, avec une économie qui se porte bien, une diplomatie indépendante qui ne soutient ni la Russie ni l'Ukraine. Une réserve avec un contrôle des ambitions impériales envers Taïwan (que Beijing aurait pu attaquer, ou du moins tenter de déstabiliser). En bref, la Chine est désormais le leader du monde non-occidental, la Russie apparaissant comme une puissance moyenne, dépendante de la Chine pour sa survie économique.

Enfin, la guerre en Ukraine a montré que la Russie a des divergences avec le Kazakhstan et avec le Belarus. Ces deux pays sont opposés à la politique de Poutine, le Kazakhstan pour la simple raison qu'il n'a rien à gagner économiquement, et la Biélorussie par crainte d'être acculturée (la culture biélorusse est singulière avec sa propre langue et surtout sa proximité avec la Pologne).

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En bref, l'"Opération spéciale" (la guerre en Ukraine), est un échec pour la Russie, sauf dans le Donbass. Ce qui est décevant, c'est que les pays occidentaux, conscients de cette faiblesse, rechignent à aller sur le terrain et a afficher leur suprématie technologique.

Au-delà des frontières de la Russie, comment un cessez-le-feu affecterait-il les pays occidentaux selon le tabloïd ? Y aurait-il des gagnants et des perdants ?

Le tabloïd présente cette dynamique des relations entre les Etats-Unis et la Grande-Bretagne qui est passablement archaïque, car les Etats-Unis ont aujourd'hui une politique très distincte et sont plus proches de pays comme Israël, le Canada et l'Australie pour leur coopération militaire. La Grande-Bretagne a une approche européenne depuis la fin des années Margaret Thatcher.

Pour autant, il est vrai que les États-Unis sont gagnants, leur influence a augmenté en Europe, l'OTAN a été renforcée, les ventes d'avions F-35 décollent et la demande d'hydrocarbures américains est considérable.

Des pays comme la France ne sont pas non plus pénalisés. La France a un faible taux d'inflation (5-6%) grâce à son secteur nucléaire civil, et cette crise a montré que la France avait raison de continuer à croire en ses armées. Par rapport à l'Allemagne, qui est embourbée dans l'inflation et le manque de ressources énergétiques, la France a prouvé que ses choix sont beaucoup plus pertinents que ceux de Berlin (du moins, en temps de guerre).

La Norvège, pays non évoqué par le tabloid, est la gagnante économique de ce conflit. Oslo dispose de quantités abondantes d'hydrocarbures et peut les vendre en toute sérénité, de plus l'intégration de la Suède et de la Finlande dans l'OTAN rapproche Oslo des autres pays nordiques, ce qui est à son avantage.

Le Canada est également gagnant avec ses vastes ressources en hydrocarbures et sa diaspora ukrainienne qui augmente, sachant que le Canada peut sélectionner les meilleurs des réfugiés avant de leur donner un visa de travail, contrairement a beaucoup de pays européens.

Les grands perdants sont les pays d'Europe centrale comme la République tchèque, la Pologne et la Lituanie, car l'inflation augment, ils doivent accueillir un grand nombre de réfugiés sans pouvoir les sélectionner, et en plus doivent faire face à des pénuries d'hydrocarbures.

L'Allemagne est également perdante, sa politique anti-nucléaire est un échec, ce qui aura des conséquences sur sa production industrielle. Son programme de modernisation militaire arrive à point nommé, Ursula von der Leyen, ancienne ministre de la défense allemande, ayant pratiquement détruit les forces armées de son pays.

L'Estonie est de loin la plus intéressante. Bien que confrontée à une inflation conséquente (15-20%) cette crise l'a rapprochée des autres pays nordiques, dont la Finlande et la Norvège. Tallinn va désormais importer ses hydrocarbures depuis la Norvège, ce qui renforcera sa présence dans le monde Nordique. Et avec la Finlande dans l'OTAN, les deux pays voisins seront désormais l'avant-poste nordique contre la Russie (avec la Norvège au nord de la Finlande).

En résumé, la guerre en Ukraine restera dans les livres d'histoire comme le jour où l'Estonie est devenue encore plus nordique, et où son expertise en matière de cyberdéfense s'est affirmée à l'échelle internationale.

En quoi la vision populiste du journal russe diffère-t-elle de la réalité ?

La principale différence est que le journal présente l'Occident comme souhaitant un cessez-le-feu, tout comme l'Ukraine. En réalité, c'est la Russie qui a besoin de ce cessez-le-feu, et cela serait encore plus frappant si une armée occidentale intervenait en Ukraine, la faiblesse russe serait alors plus perceptible.

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