La frustration sexuelle, énorme tabou pourtant au cœur de bien des violences dans les quartiers<!-- --> | Atlantico.fr
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Les émeutiers après la mort de Nahel en juin dernier, ici à Marseille.
Les émeutiers après la mort de Nahel en juin dernier, ici à Marseille.
©CLEMENT MAHOUDEAU / AFP

Poids de la religion

La sexualité dans les quartiers est un sujet peu abordé alors qu'il explique bien des maux.

Razika Adnani

Razika Adnani

Razika Adnani, membre du Conseil d'orientation de la Fondation de l'Islam de France, écrivaine, philosophe et islamologue, débute sa carrière en tant que professeur de philosophie. Elle publie en 2001 et 2003 deux précis de philosophie, El Kafi fi el Falsafa, sur l'art de disserter en philosophie suivis chacun d'un dictionnaire de philosophie. Ces ouvrages destinés aux lycéens sont des bestsellers.

En 2005, elle quitte l'enseignement pour se consacrer définitivement à la réflexion et à la recherche.

En 2011, elle publie un ouvrage en arabe intitulé Le blocage de la raison dans la pensée musulmane est-il bénéfique ou maléfique à l’islam. Paru chez Afrique Orient (Maroc), le livre connaît un vif succès dans tout le monde arabe et arabophone. 

Razika Adnani publie en 2013 La nécessaire réconciliation (Dalimen, Alger), brillant essai sur la question de la violence, la relation à l’autre, à soi et la relation avec l’histoire. À partir de l’étude de la société algérienne, elle forge sa propre théorie de « la moralisation de la violence ». Cette œuvre décisive paraît à nouveau en 2014 chez UPblisher, sous forme numérique et imprimée, afin de la rendre accessible au plus grand nombre. Elle est désormais disponible dans le monde entier.

À partir de 2014, elle est appelée comme expert sur des sujets relatifs à l’Islam. Elle anime de 2014 à 2016 un cycle de conférences à l'Université Populaire de Caen sur le thème « Penser l'islam » ; de 2015 à 2017, elle intervient lors du séminaire « Les nouveaux fondamentalistes » du Collège des Bernardins ; elle collabore avec le Ministère de la Justice dans le cadre de la formation des cadres qui prennent en charge des jeunes radicalisés ». En 2017, elle intègre la Fondation de l'islam de France.

En 2015, elle fonde, organise et anime les Journées Internationales de Philosophie d'Alger, évènement dont le succès est confirmé par une deuxième édition en 2017.

Elle est l’auteur de nombreux articles publiés par le journal algérien Liberté, Le Figaro ou L’Obs, et intervient fréquemment lors de conférences ou tables-rondes, tant en France qu’en Algérie.

Sa lucidité et son franc-parler font de Razika Adnani une philosophe ancrée dans son époque, un esprit libre, résolu et engagé.

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Laurence D'Hondt

Laurence D'Hondt

Laurence D'Hondt est journaliste, correspondante à Paris pour différents journaux belges, suisse et luxembourgeois. Elle publie également en France en tant que grand reporter spécialisée dans le monde arabe et musulman. Elle a fondé la Tribune de Diego, à Madagascar et est l'auteur de plusieurs ouvrages dont Miroir d'asile, publié chez Labor en Belgique. Elle vient de réaliser un documentaire sur les Justes Turcs durant le génocide arménien, diffusé à la RTBF en Belgique et LCP en France et participe régulièrement à des missions de l'Union européenne consacrée au renforcemet des processus démocratiques. 

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Atlantico : La sexualité dans les quartiers est un sujet peu abordé alors qu'il explique bien des maux. Est-ce un tabou parce que la population présente en banlieue est majoritairement musulmane ? L'influence salafiste entre-t-elle en jeu ?

Razika Adnani : La frustration sexuelle explique assurément bien des maux comme vous le dites. La violence est l’un de ces maux. Le tabou de la sexualité dans les sociétés musulmanes s’explique par le poids de la religion. En islam, les relations sexuelles en dehors du mariage sont proscrites comme c’est inscrit dans le verset 32 de la sourate 17 repris par les religieux et les juristes. La montée du conservatisme et du salafisme accentuent assurément le phénomène. La situation est certainement difficile pour les jeunes qui ont fui leur pays à la recherche de liberté et qui atterrissent dans ces quartiers où ils retrouvent les mêmes interdits, les mêmes tabous. Ils trouvent surtout un discours religieux qui leur raconte que l’Occident est un monde dépravé car il permet une sexualité sans limite et qu’en tant que musulmans ils doivent s’en préserver. Beaucoup sont davantage frustrés quand ils savent qu’ils vivent dans un pays comme la France qui leur permet d’être libres dans le domaine de la sexualité, mais que leur religion, leur culture et leur famille ne leur permettent pas. Si certains arrivent à échapper à cette atmosphère, d’autres développent de la haine contre cet Occident, contre ceux qui peuvent vivre librement, et pas eux. La haine est une cause de violence.
Laurence D'Hondt : Les populations immigrées amènent avec elles des cultures très différentes dans lesquelles la sexualité est abordée de façon parfois radicalement opposée. Les immigrés d'origine sub-saharienne ont en général une sexualité plus libre que l'immigration nord-africaine ou subsaharienne musulmane. Mais les banlieues et ses habitants qu'ils soient maghrébins ou subsahariens sont soumis aujourd'hui à une influence de l'islam radical qui fait de la sexualité une question centrale et très contrôlée. Le corps de la femme est l'objet d'une pression sociale d'autant plus forte qu'il sert à marquer la différence culturelle et religieuse avec le pays d'acceuil.
La liberté de la femme française et occidentale est perçue comme une menace à l'ordre patriarcal et comme une perte d'autorité pour l'homme. Le discours islamiste représente l'émancipation féminine comme source de chaos, synonyme au fond de la fin d’un ordre social organisé par les hommes. Ce discours assure également que la conquête de la liberté et des droits de la femme sont une illusion trompeuse dans laquelle la femme occidentale est piégée, parce qu'elle se retrouve seule, sans protection, sans mari, sans pudeur...Ce regard est essentiellement propagé par les mouvements islamistes radicaux qui réduisent l’Occident à un grand lupanar où la différenciation des sexes est désormais en phase terminale.

En 1996, au lendemain de l’instauration du régime Taliban sur tout le territoire afghan, j’ai eu l’occasion de visiter un hôpital dans la petite ville de Ghazni : sur les 10 règlements émis par les nouvelles autorités, 9 concernaient les femmes ! Guérir dans ce lieu ne pouvait se faire qu’à condition que les femmes n’entrent pas en contact avec des hommes extérieurs à leur famille. J'ai compris alors qu’il était nettement préférable selon ce règlement hospitalier qu’une femme meure plutôt qu’elle ne soit soignée par un homme inconnu. Cela ne pouvait exprimer mieux l’importance extrême, quasi obsessionnelle, qui y était accordée à la surveillance de la sexualité féminine comme si elle était à l'origine de l'ordre du monde.

Les salafistes considèrent la femme comme Satan qui porte atteinte à la piété du croyant. Que dit le Coran sur l'amour, les rapports sexuels et la femme ?

Razika Adnani : La sexualité est reconnue dans le Coran à condition qu’elle s’accomplisse dans les liens du mariage. Sinon, c’est la chasteté qui doit s’imposer. Le Coran parle de la femme chaste tout comme il parle de l’homme chaste et de la femme fornicatrice tout comme il parle de l’homme fornicateur. Il prévoit au fornicateur et à la fornicatrice de la même manière cent coups de fouet (sourate 24, verset 2).

Cependant, quand il s’agit du Coran on ne peut pas donner une seule réponse. Car pour la même question, on peut y trouver des recommandations différentes voire contradictoires. Voilà pourquoi, il faut distinguer entre le Coran ou la charia coranique et le droit musulman que j’appelle la charia pratique. Au sujet de la sexualité, certains versets sont davantage sévères à l’égard des femmes, comme c’est le cas du verset 15 de la sourate 4, qui recommande aux hommes l’enfermement à la maison des femmes qui ont eu des relations sexuelles en dehors du mariage jusqu'à ce que la mort les rappelle ou que Dieu décrète un autre ordre à leur égard.  D’autres privilégient les hommes tels le verset 223 de la sourate 2, La vache, qui s’adresse aux hommes en leur disant : « Vos femmes sont votre (harth) labour allez donc à vos (harth) champs comme vous l’entendez ». Il s’adresse à l’homme comme le sujet qui est concerné par la sexualité et la femme est présenté comme l’objet sexuel dont il jouit. Tout cela explique assurément en grande partie les violences sexuelles que subissent les femmes dans les sociétés musulmanes.

Aujourd'hui, en banlieue, est-ce en agressant une femme qu'on devient un homme ?

Razika Adnani : C’est ce que pensent beaucoup d’hommes en effet mais ce n’est pas spécifique aux sociétés musulmanes.  C’est lié à l’éducation et au degré de civilisation. Plus dans une société les droits humains sont reconnus et respecté plus ce phénomène disparaît.

La justification du voile telle qu’elle est présentée par le discours religieux est responsable en grande partie de cette violence que l’homme exerce à l’égard de la femme.  Le discours religieux répète à l’homme dès son jeune âge qu’en tant qu’homme il a un désir sexuel qu’il ne peut pas maitriser et que s’il est suscité il ne peut rien faire d’autre que de chercher à l’assouvir.  De ce fait, la seule manière pour la femme de se protéger contre ses agressions sexuelles est de dissimuler son corps sous un voile.

Ce discours a fait que beaucoup d’hommes pensent qu’en agressant les femmes ils prouvent à eux-mêmes et à la femme qu’ils sont des hommes, c’est-à-dire qu’ils ont un instinct sexuel qu’ils ne savent pas contrôler.

Laurence D'Hondt : Je ne pense pas qu'agresser une femme soit un marqueur de masculinité mais l'agresser permet de soulager une frustration qui grandit au contact d'une societé où la femme est libre. Les populations qui migrent aujourd'hui, notamment afghanes ou nord-africaines, ont souvent déjà subi chez elles une forte influence du discours islamiste qui a entraîné une restriction de l'acces aux femmes aggravé par les difficultés économiques qui empêchent les jeunes hommes de réunir la dot nécessaire au mariage. C'est donc avec une grande frustration que ces migrants arrivent, surtout lorsqu'ils sont confrontés aux femmes occidentales. Face à cette confrontation des cultures, certains d'entre eux y voient une chance, là où d'autres rejettent cette liberté et la condamnent préférant préserver leur mode d'existence, hostile à l'émancipation féminine. Des études récentes ont démontré que le plus grand écart d’opinions entre le monde musulman et l’Occident concernait le rôle des femmes et les questions liées à la sexualité et non par exemple la défense d'un système démocratique.

En 2000, les "tournantes", viols collectifs commis dans les cités, sortaient progressivement de la confidentialité. Aujourd'hui c'est la prostitution des mineurs qui explose, dopée par l'immigration. Cette frustration sexuelle est-elle au coeur de bien des violences dans les quartiers ?

Razika Adnani : La déshumanisation de l’homme qu’on réduit à un corps est l’une des causes de la violence dans les sociétés ou communautés musulmanes. Être maître de ses instincts est une condition nécessaire pour toute sociabilité des hommes et des femmes en sachant que l’instinct ne se limite pas au désir sexuel. Manger, posséder, désirer le pouvoir relèvent également de l’instinct. Raconter à un homme que devant l’insistance de son instinct il ne peut que s’y soumettre, c’est l’autoriser implicitement à voler pour assouvir son instinct de propriété, à tuer pour détruire ceux qui le menacent et à écraser ses adversaires pour arriver au pouvoir. Que restera-il alors de sa sociabilité ? Il est en effet difficile d’imaginer une quelconque vie sociale si l’être humain est incapable de maîtriser ses instincts. Le discours religieux qui déshumanise l’homme et le déresponsabilise a des conséquences désastreuses sur lui en tant qu’être humain et être social, car il ne lui apprend pas à mûrir humainement et moralement.

Parlons de l'immigration justement et notamment des populations qui arrivent de pays où règnent des régimes autoritaires. Passer d'un environnement tout interdit à une société permissive, cela crée-t-il un bouleversement ? Le problème de la violence n'est pas que de l'ordre de la morale, il est aussi de l'ordre social ?

Razika Adnani : La violence peut avoir en effet plusieurs facteurs. Dans mon ouvrage (La nécessaire réconciliation, UPblisher, France) qui est une réflexion sur le phénomène de la violence, j’ explique que la cause de la violence réside en premier lieu dans le regard qu’on porte sur elle. La violence est hideuse et immorale et c’est ce caractère immoral qu’on lui attribue qui nous empêche d’y recourir. Quand la violence se moralise, autrement dit quand elle n’est plus vue comme quelque chose de mal et d’hideux, on cesse de la condamner et à ce moment-là rien de l’arrête.

Dans ce même ouvrage, j’ai fait un lien entre la violence chez les Maghrebins et le problème identitaire qui les mine. Je parle de problème identitaire car les Maghrébins sont des Berbères ou des Amazighs, en tous cas c’est la très grande majorité de la population, même si l’arabisation a fait en sorte que beaucoup parlent l’arabe aujourd’hui. Cependant, la très grande majorité non seulement préfère se dire arabe mais aussi déteste qu’on lui rappelle le fait qu’elle puisse être berbère et par conséquent rejette son histoire, ce qui m’a toujours interpellée. Pour moi, ne s’invente d’autres origines que celui qui a un problème avec les siennes. J’explique le lien avec la violence par le fait que celui qui n’a pas une bonne relation avec lui-même ne peut pas avoir une bonne relation, une relation paisible, avec l’autre. Celui qui porte un regard négatif sur lui-même souffre et la souffrance trouve très souvent dans la violence un moyen d’expression. Ce problème identitaire concerne les populations maghrébines au Maghreb et en dehors des frontières maghrébines. En France, on accentue le problème en appelant ces populations les Arabes.
Laurence D'Hondt : Oui. L'un des grands chocs que vivent les immigrés venus de pays autoritaires et arrivant en France est la liberté de mœurs, mais aussi la liberté politique et la liberté de culte. Pour les personnes issues de cultures où l’individu ne conçoit pas la vie sur terre sans l'existence de Dieu, le fait d'afficher son athéisme est perçu comme un sacrilège. Cela est particulièrement vrai pour les migrants musulmans et surtout sa frange radicale qui n'accepte ni la liberté de culte ni celle de la femme. La violence est dès lors légitime, car elle est perçue comme nécessaire pour défendre sa culture et sa religion. La condamnation morale saute au profit d'une instauration par la force d'une société plus juste, plus pieuse, plus conforme à l'idéal religieux prôné. On ne comprend pas en Occident que l'absence de religion est un fait minoritaire dans le monde et qu'il bouleverse les populations migrantes.

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