Poids de la religion
La frustration sexuelle, énorme tabou pourtant au cœur de bien des violences dans les quartiers
La sexualité dans les quartiers est un sujet peu abordé alors qu'il explique bien des maux.
Razika Adnani
Razika Adnani, membre du Conseil d'orientation de la Fondation de l'Islam de France, écrivaine, philosophe et islamologue, débute sa carrière en tant que professeur de philosophie. Elle publie en 2001 et 2003 deux précis de philosophie, El Kafi fi el Falsafa, sur l'art de disserter en philosophie suivis chacun d'un dictionnaire de philosophie. Ces ouvrages destinés aux lycéens sont des bestsellers.
En 2005, elle quitte l'enseignement pour se consacrer définitivement à la réflexion et à la recherche.
En 2011, elle publie un ouvrage en arabe intitulé Le blocage de la raison dans la pensée musulmane est-il bénéfique ou maléfique à l’islam. Paru chez Afrique Orient (Maroc), le livre connaît un vif succès dans tout le monde arabe et arabophone.
Razika Adnani publie en 2013 La nécessaire réconciliation (Dalimen, Alger), brillant essai sur la question de la violence, la relation à l’autre, à soi et la relation avec l’histoire. À partir de l’étude de la société algérienne, elle forge sa propre théorie de « la moralisation de la violence ». Cette œuvre décisive paraît à nouveau en 2014 chez UPblisher, sous forme numérique et imprimée, afin de la rendre accessible au plus grand nombre. Elle est désormais disponible dans le monde entier.
À partir de 2014, elle est appelée comme expert sur des sujets relatifs à l’Islam. Elle anime de 2014 à 2016 un cycle de conférences à l'Université Populaire de Caen sur le thème « Penser l'islam » ; de 2015 à 2017, elle intervient lors du séminaire « Les nouveaux fondamentalistes » du Collège des Bernardins ; elle collabore avec le Ministère de la Justice dans le cadre de la formation des cadres qui prennent en charge des jeunes radicalisés ». En 2017, elle intègre la Fondation de l'islam de France.
En 2015, elle fonde, organise et anime les Journées Internationales de Philosophie d'Alger, évènement dont le succès est confirmé par une deuxième édition en 2017.
Elle est l’auteur de nombreux articles publiés par le journal algérien Liberté, Le Figaro ou L’Obs, et intervient fréquemment lors de conférences ou tables-rondes, tant en France qu’en Algérie.
Sa lucidité et son franc-parler font de Razika Adnani une philosophe ancrée dans son époque, un esprit libre, résolu et engagé.
Laurence D'Hondt
Laurence D'Hondt est journaliste, correspondante à Paris pour différents journaux belges, suisse et luxembourgeois. Elle publie également en France en tant que grand reporter spécialisée dans le monde arabe et musulman. Elle a fondé la Tribune de Diego, à Madagascar et est l'auteur de plusieurs ouvrages dont Miroir d'asile, publié chez Labor en Belgique. Elle vient de réaliser un documentaire sur les Justes Turcs durant le génocide arménien, diffusé à la RTBF en Belgique et LCP en France et participe régulièrement à des missions de l'Union européenne consacrée au renforcemet des processus démocratiques.
Atlantico : La sexualité dans les quartiers est un sujet peu abordé alors qu'il explique bien des maux. Est-ce un tabou parce que la population présente en banlieue est majoritairement musulmane ? L'influence salafiste entre-t-elle en jeu ?
En 1996, au lendemain de l’instauration du régime Taliban sur tout le territoire afghan, j’ai eu l’occasion de visiter un hôpital dans la petite ville de Ghazni : sur les 10 règlements émis par les nouvelles autorités, 9 concernaient les femmes ! Guérir dans ce lieu ne pouvait se faire qu’à condition que les femmes n’entrent pas en contact avec des hommes extérieurs à leur famille. J'ai compris alors qu’il était nettement préférable selon ce règlement hospitalier qu’une femme meure plutôt qu’elle ne soit soignée par un homme inconnu. Cela ne pouvait exprimer mieux l’importance extrême, quasi obsessionnelle, qui y était accordée à la surveillance de la sexualité féminine comme si elle était à l'origine de l'ordre du monde.
Les salafistes considèrent la femme comme Satan qui porte atteinte à la piété du croyant. Que dit le Coran sur l'amour, les rapports sexuels et la femme ?
Cependant, quand il s’agit du Coran on ne peut pas donner une seule réponse. Car pour la même question, on peut y trouver des recommandations différentes voire contradictoires. Voilà pourquoi, il faut distinguer entre le Coran ou la charia coranique et le droit musulman que j’appelle la charia pratique. Au sujet de la sexualité, certains versets sont davantage sévères à l’égard des femmes, comme c’est le cas du verset 15 de la sourate 4, qui recommande aux hommes l’enfermement à la maison des femmes qui ont eu des relations sexuelles en dehors du mariage jusqu'à ce que la mort les rappelle ou que Dieu décrète un autre ordre à leur égard. D’autres privilégient les hommes tels le verset 223 de la sourate 2, La vache, qui s’adresse aux hommes en leur disant : « Vos femmes sont votre (harth) labour allez donc à vos (harth) champs comme vous l’entendez ». Il s’adresse à l’homme comme le sujet qui est concerné par la sexualité et la femme est présenté comme l’objet sexuel dont il jouit. Tout cela explique assurément en grande partie les violences sexuelles que subissent les femmes dans les sociétés musulmanes.
Aujourd'hui, en banlieue, est-ce en agressant une femme qu'on devient un homme ?
Razika Adnani : C’est ce que pensent beaucoup d’hommes en effet mais ce n’est pas spécifique aux sociétés musulmanes. C’est lié à l’éducation et au degré de civilisation. Plus dans une société les droits humains sont reconnus et respecté plus ce phénomène disparaît.
La justification du voile telle qu’elle est présentée par le discours religieux est responsable en grande partie de cette violence que l’homme exerce à l’égard de la femme. Le discours religieux répète à l’homme dès son jeune âge qu’en tant qu’homme il a un désir sexuel qu’il ne peut pas maitriser et que s’il est suscité il ne peut rien faire d’autre que de chercher à l’assouvir. De ce fait, la seule manière pour la femme de se protéger contre ses agressions sexuelles est de dissimuler son corps sous un voile.
Ce discours a fait que beaucoup d’hommes pensent qu’en agressant les femmes ils prouvent à eux-mêmes et à la femme qu’ils sont des hommes, c’est-à-dire qu’ils ont un instinct sexuel qu’ils ne savent pas contrôler.
Laurence D'Hondt : Je ne pense pas qu'agresser une femme soit un marqueur de masculinité mais l'agresser permet de soulager une frustration qui grandit au contact d'une societé où la femme est libre. Les populations qui migrent aujourd'hui, notamment afghanes ou nord-africaines, ont souvent déjà subi chez elles une forte influence du discours islamiste qui a entraîné une restriction de l'acces aux femmes aggravé par les difficultés économiques qui empêchent les jeunes hommes de réunir la dot nécessaire au mariage. C'est donc avec une grande frustration que ces migrants arrivent, surtout lorsqu'ils sont confrontés aux femmes occidentales. Face à cette confrontation des cultures, certains d'entre eux y voient une chance, là où d'autres rejettent cette liberté et la condamnent préférant préserver leur mode d'existence, hostile à l'émancipation féminine. Des études récentes ont démontré que le plus grand écart d’opinions entre le monde musulman et l’Occident concernait le rôle des femmes et les questions liées à la sexualité et non par exemple la défense d'un système démocratique.
En 2000, les "tournantes", viols collectifs commis dans les cités, sortaient progressivement de la confidentialité. Aujourd'hui c'est la prostitution des mineurs qui explose, dopée par l'immigration. Cette frustration sexuelle est-elle au coeur de bien des violences dans les quartiers ?
Razika Adnani : La déshumanisation de l’homme qu’on réduit à un corps est l’une des causes de la violence dans les sociétés ou communautés musulmanes. Être maître de ses instincts est une condition nécessaire pour toute sociabilité des hommes et des femmes en sachant que l’instinct ne se limite pas au désir sexuel. Manger, posséder, désirer le pouvoir relèvent également de l’instinct. Raconter à un homme que devant l’insistance de son instinct il ne peut que s’y soumettre, c’est l’autoriser implicitement à voler pour assouvir son instinct de propriété, à tuer pour détruire ceux qui le menacent et à écraser ses adversaires pour arriver au pouvoir. Que restera-il alors de sa sociabilité ? Il est en effet difficile d’imaginer une quelconque vie sociale si l’être humain est incapable de maîtriser ses instincts. Le discours religieux qui déshumanise l’homme et le déresponsabilise a des conséquences désastreuses sur lui en tant qu’être humain et être social, car il ne lui apprend pas à mûrir humainement et moralement.
Parlons de l'immigration justement et notamment des populations qui arrivent de pays où règnent des régimes autoritaires. Passer d'un environnement tout interdit à une société permissive, cela crée-t-il un bouleversement ? Le problème de la violence n'est pas que de l'ordre de la morale, il est aussi de l'ordre social ?
Razika Adnani : La violence peut avoir en effet plusieurs facteurs. Dans mon ouvrage (La nécessaire réconciliation, UPblisher, France) qui est une réflexion sur le phénomène de la violence, j’ explique que la cause de la violence réside en premier lieu dans le regard qu’on porte sur elle. La violence est hideuse et immorale et c’est ce caractère immoral qu’on lui attribue qui nous empêche d’y recourir. Quand la violence se moralise, autrement dit quand elle n’est plus vue comme quelque chose de mal et d’hideux, on cesse de la condamner et à ce moment-là rien de l’arrête.
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