La France face à une occasion en or de repenser son mix énergétique<!-- --> | Atlantico.fr
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En France, 50% environ de l’énergie provient du pétrole, du gaz et du charbon, 40% du nucléaire et le reste des énergies renouvelables.
En France, 50% environ de l’énergie provient du pétrole, du gaz et du charbon, 40% du nucléaire et le reste des énergies renouvelables.
©Reuters

Cocktail atomique

Alors que le nucléaire revient à pas de loup dans la loi de transition énergétique, examinée par le Sénat jusqu'au 19 février, la baisse durable des prix du pétrole représente une occasion historique de changer profondément la consommation d'énergie du pays.

Franck Portier

Franck Portier

Franck Portier est professeur d’économie à la Toulouse School of Economics et membre de l’Institut Universitaire de France.
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Myriam Maestroni

Myriam Maestroni

Myriam Maestroni est présidente d'Economie d'Energie et de la Fondation E5T. Elle a remporté le Women's Award de La Tribune dans la catégorie "Green Business". Elle a accompli toute sa carrière dans le secteur de l'énergie. Après huit années à la tête de Primagaz France, elle a crée Ede, la société Economie d'énergie. 

Elle est l'auteure de plusieurs ouvrages majeurs: Intelligence émotionnelle (2008, Maxima), Mutations énergétiques (Gallimard, 2008) ou Comprendre le nouveau monde de l'énergie (Maxima, 2013), Understanding the new energy World 2.0 (Dow éditions). 

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Atlantico : Baisse du prix du pétrole, débats suscités par la pollution, loi de transition énergétique examinée au Sénat... Alors que la sphère politique s'empare de la question de l'énergie en France, le contexte actuel ne représente-t-il pas une occasion de revoir le modèle en profondeur ? A quoi pourrait ressembler un mix énergétique français plus efficace, et qui prendrait en compte une dimension économique et gouvernementale ?

Franck Portier :Une précision d’abord : le mix énergétique pertinent me semble être celui de la répartition des énergies primaires, c’est à dire l’ensemble des énergies qui servent à produire de l’électricité, mais aussi à se chauffer, faire tourner des moteurs, etc… Dans ce mix, 50% environ de l’énergie provient du pétrole, du gaz et du charbon, 40% du nucléaire et le reste des énergies renouvelables. Le débat se focalise souvent sur le mix de production d’électricité, qui est une version déformée du mix énergétique français : le nucléaire y représente 75% et les hydrocarbures seulement 10%. Ce qui compte pour les ménages et les entreprises, c’est toute l’énergie utilisé, pas seulement l’électricité.

Le meilleur mix énergétique, c’est celui qui répond au mieux à un triple objectif économique, environnementale et géopolitique. Chaque énergie s’inscrit dans ce triangle, satisfaisant plus ou moins chacun des trois objectifs. Ainsi, le pétrole est aujourd’hui bon marché, ce qui pousse à en augmenter la part dans le mix énergétique. Mais son utilisation entre en conflit avec les objectifs environnementaux et géostratégiques : l’utilisation du pétrole émet du carbone et la France n’a aucune indépendance d’approvisionnement vis à vis du pétrole. Le nucléaire est propre en matière d’émission de carbone, mais il existe un débat quant à sa sécurité et les coûts de démantèlement et de stockage des déchets. Comme il est plus facile de constituer des stocks d’uranium, le nucléaire garantit sans doute une indépendance plus grande (au moins à court terme). Quant au solaire, à l’éolien et à l’hydraulique, l’indépendance est garantie, l’environnement protégé, mais la rentabilité économique encore faible. À court terme, il me semble difficile de concilier ces trois objectifs sans réduire fortement la part des hydrocarbures.

Mais le choix du mix énergétique dépend essentiellement d’une quatrième contrainte : la contrainte technologique. Aujourd’hui, on ne sait pas faire rouler une voiture à l’énergie solaire, faire voler un avion à l’électricité. On ne sait pas stocker efficacement l’électricité, ce qui limite l’usage massif d’électricité d’origine éolienne ou solaire.

Quel sera le mix énergétique français dans cinquante ans ? D’abord une efficacité énergétique plus grande – en langage clair des économies d’énergie. Sans doute beaucoup de solaire et d’éolien local, un usage plus grand d’électricité (voitures, chauffage) produite par des centrales thermiques propres (car on saura capter les émissions de carbone). Quel sera le rôle du nucléaire ? Cela dépendra de son acceptation ou rejet par la société française.

Comment se gère économiquement une situation "d'abondance énergétique" ? Qu'est-ce que cela peut changer dans nos structures économiques ?

Myriam Maestroni : Cette question est particulièrement intéressante. D’abord parce qu’elle démontre à quel point il est aujourd’hui difficile d’analyser de façon pertinente notre environnement à un instant t et, à fortiori, d’émettre des prévisions. Au-delà du fait de rendre humble, cela remet profondément en question des systèmes de croyance qui ont vécu. Il y a 20 ans, quand j’ai démarré dans le pétrole on me disait: "le XX ème siècle est le siècle du pétrole, et le XXIème siècle sera celui du gaz"… aujourd’hui on sait que le XXI ème siècle est celui de la diversité qu’elle concerne le mix énergétique en tant que tel, ou les infrastructures centralisées face à des unités de production et/ou de consommation locales, entre autres. La méthode des scénarios, inventée par Shell dans les années 70, est plus que jamais d’actualité, et il devient nécessaire de travailler sous différents systèmes d’hypothèses. C’est encore la meilleure façon de gérer l’incertitude, qui se marie d’ailleurs très mal avec des investissements de long terme. Le corollaire de cet état de faits, est qu’il devient tout aussi difficile d’analyser les conséquences de cette nouvelle donne. Il y a à peine 10 ans, dans la conception économique traditionnelle on aurait considéré que si le prix du pétrole baissait, l’économie entière s’en trouverait dynamisée. Aujourd’hui c’est un mécanisme macroéconomique qui n’est plus tout à fait aussi évident. Le FMI vient d’ailleurs de réviser à la baisse ses prévisions pour la croissance mondiale de 3.8 à 3.5% alors que le cours du pétrole a dévissé de 100 à 50$ depuis 6 mois…. tout en annonçant que si ce niveau durait il pourrait rehausser cet objectif. Quoi qu’il advienne, l’efficacité énergétique dans ses multiples déclinaisons reste un enjeu majeur et une priorité, et, ce, même si on commence à voir surgir des doutes objectant la dégradation des retours sur investissements dans un contexte de prix de l’énergie plus bas.

Franck Portier : Je n’évoquerai pas ici les aspects géopolitiques de la baisse du prix de l’énergie, baisse qui affecte différemment la Russie, les pays du Golfe, les Etats-Unis, etc…. D’un point de vue économique, à court terme,  c’est un jeu à somme nulle : les producteurs perdent ce que les consommateurs gagnent. Globalement, c’est donc facile à gérer en Europe : nous y gagnons. Le problème est que les entreprises qui ont parié sur un prix des énergies fossiles élevé vont être perdantes dans les années qui viennent, alors que ce sont celles qui préparent l’avenir. S’il y avait un rôle à la stabilisation des prix des énergies, ce serait celui-ci : imposer un prix élevé et croissant de manière prévisible, afin que les acteurs économiques qui s’engagent dans les énergies nouvelles et les économies d’énergie puissent faire des plans sur le long terme.

Les analystes économiques avancent souvent l'idée que les aides sont contre-productives pour orienter une politique énergétique, et qu'il vaut mieux taxer que subventionner. Comment l'expliquer ? 

Myriam Maestroni : Il me semble intéressant de pouvoir compter sur plusieurs types de leviers fiscaux qui doivent produire des effets différents en fonction des priorités dans la durée ou pour atteindre un objectif donné, d’investissement en infrastructure notamment. Je pense qu’aujourd’hui en matière fiscale, le temps est à la prudence. Je préfère parler de valorisation de la tonne de carbone plutôt que d’une taxe carbone… et dans ce cas, cela implique de garantir une vraie valeur qui doit être en lien avec le niveau de réduction prévue par secteur d’émissions. L’idée de laisser des marges de manœuvre aux acteurs et récompenser l’effort réalisé pour être vertueux et de pénaliser le manque d’effort me paraît être une approche innovante et plus respectueuse de la diversité de positionnement des différents acteurs et de ce qui est socialement acceptable… on doit quand même tirer quelques leçons de la levée de boucliers sur la taxe carbone. On a en France des experts très pointus sur ces sujets, et je sais combien il est difficile de trouver le point d’équilibre. Un des points auquel il me paraît important de veiller est celui de bien inscrire dans la durée (délais d’application, période demise en œuvre, etc). Il s’agit d’être bien clair sur les choix effectués, les raisons précises qui les motivent, les objectifs à atteindre et l’espace temps que l’on se donne… car l’opportunité d’hier devient un risque majeur demain et une bonne idée peut vite se transformer en catastrophe économique.

Franck Portier : Quand il existe une externalité (ici l’effet des émissions sur le réchauffement climatique), il est bon que l’Etat intervienne car le marché pollue plus que ce qui est socialement désirable. Une taxe donne le bon signal, et permet la rentabilité de solutions alternatives aux hydrocarbures. L’Etat est-il alors le mieux placé pour décider des technologies porteuses ? Je pense que la réponse est à donner au cas par cas. Si l’on considère le réchauffement climatique, la politique nucléaire française des 50 dernières années étaient rétrospectivement la bonne. Mais aujourd’hui, le ministère de l’industrie ou celui du développement durable doit il choisir entre le solaire et l’éolien ? Entre des panneaux solaires à cellules de type silicium mono-cristallin, poly-cristallin ou à cellules organiques ? Sans doute pas. En revanche, c’est le rôle et le devoir de l’Etat que d’intégrer une taxe au prix des hydrocarbures.

Des pays émergents comme l'Inde ou l'Indonésie ont décidé de réduire fortement leur aides au secteur énergétique dégageant des fonds publics à réinvestir dans les infrastructure d'éducation, ce que sont loin de faire les Etats-Unis ou les pays du Golfe. Le recul du soutien aux "anciennes" énergies va-t-il rebattre les cartes de la hiérarchie mondiale des Etats ? Dans quel sens ? 

Myriam Maestroni : Il me semble intéressant de souligner, que contrairement à ce que l’on pense parfois, les pays émergents ont bien pris acte du fait que l’efficacité énergétique est une des conditions à leur développement économique. Des pays tels que l’Inde ou l’Indonésie ont mis en place des politiques intéressantes sur ce sujet, tout comme ils sont engagés dans le développement des énergies renouvelables (biomasse, hydraulien, etc). Les questions de la population et de la pyramide des âges font que se dégagent des priorités politiques et donc d’allocations budgétaires. Le contexte démographique des pays du Golfe ou des Etats Unis, ainsi que le niveau de PIB/habitant, entre autres données fabriquent d’autres priorités.

L’émergence de nouveaux pays en croissance et fortement consommateurs d’énergie, la pluralité des solutions énergétiques et des technologies, le niveau d’endettement ou d’excédent des Etats et le poids de la fiscalité, l’incertitude et la difficulté d’arbitrage des investissements de long terme, le changement climatique, la réglementation et l’évolution des consommateurs d’énergie eux mêmes, sont autant de facteurs, qui sans l’ambition d’être exhaustive me paraissent de nature à rebattre les cartes de la hiérarchie mondiale des Etats… et dans des délais plus courts qu’ils ne l’ont jamais été. Pour la première fois en 2013, les Etats-Unis ont produit plus de pétrole qu’ils n’en importaient, et cela s’est traduit, en 2014, par une baisse de leurs importations de 28% par rapport à 2008.

Dans une logique systémique, les pays de l’OPEP ont vu leurs exportations vers les Etats-Unis passer de 56% à 43% entre 2008 et 2014. Dans l’intervalle, la production américaine a pratiquement doublé (de 5 à plus de 9 millions de barils/jour)… mais le ralentissement du rythme de croissance économique en Europe et en Chine n’a pas permis d’absorber cet excédent…. les parts de marché de l’Arabie Saoudite ont chuté le poussant à déclencher une guerre de prix… nous en sommes là… L’Australie se positionne pour devenir le leader mondial du gaz naturel liquéfié… au moins c’est ce qui se raconte aujourd’hui… demain sera un autre jour…

Franck Portier : Les subventions énergétiques partent du constat que la part de l’énergie dans le budget des ménages modestes est plus élevée que pour les ménages riches, et que subventionner l’énergie est donc redistributif. C’est largement inexact. Prenons l’exemple de l’Inde. En effet, les dépenses en énergie sont bien supérieures chez les riches (6 fois plus en Inde pour les 20% les plus riches comparé au 20% les plus pauvres). Ce sont les riches qui profitent de ces subventions. En outre, les sommes utilisées ne sont pas affectées à des dépenses bien plus efficaces pour redistribuer et garantir l’égalité des chances : les routes, les écoles, les hôpitaux. En Inde, l’ensemble des subventions au pétrolières (prix subventionnés plus subventions directes au secteur pétrolier) représentent 2% du PIB, alors que les dépenses en éducation représentent un peu plus de 3% du PIB. On imagine l’impact extraordinaire d’un redéploiement réussi des dépenses. La baisse du prix du pétrole peu rendre politiquement acceptable un tel redéploiement, mais celui-ci est désirable même avec un prix élevé.

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