La France en panne de simplification mais la faute à qui ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Emmanuel Macron, lors de son discours aux hauts fonctionnaires, le 12 mars 2024
Emmanuel Macron, lors de son discours aux hauts fonctionnaires, le 12 mars 2024
©LUDOVIC MARIN / POOL / AFP

Complexité administrative

Emmanuel Macron réunissait ce mardi des hauts fonctionnaires à qui il a enjoint de "simplifier plus vite" l'action publique et à être au rendez-vous des "engagements" pris par l'exécutif, constatant qu'à la fin, "c'est bibi qui paye".

Marc de Basquiat

Marc de Basquiat est consultant, formateur, essayiste et conférencier. Fondateur de StepLine, conseil en politiques publiques, il est chercheur associé du laboratoire ERUDITE. Il préside l’Association pour l’Instauration d’un Revenu d’Existence (AIRE) et intervient comme expert GenerationLibre. Il est diplômé de SUPELEC, d'ESCP Europe et docteur en économie de l'université d'Aix-Marseille. 

Son dernier ouvrage : L'ingénieur du revenu universel, éditions de L'Observatoire.

Voir la bio »
Charles Reviens

Charles Reviens

Charles Reviens est ancien haut fonctionnaire, spécialiste de la comparaison internationale des politiques publiques.

Voir la bio »

Atlantico : Devant 700 hauts fonctionnaires réunis à l’Élysée, Emmanuel Macron a rappelé son souhait de simplifier l’action de l’administration. Le chef de l’État a donc exigé que cette simplification soit mise en place. A-t-il raison de pointer l’administration ?

Charles Reviens : Emmanuel Macron a présidé mardi 12 mars une grande « convention managériale de l'Etat » visant à relancer pour la nième fois une réforme de l’Etat qui selon lui « manque en intensité, qui manque en force, qui manque en radicalité pour pouvoir être perceptible ».

Il a rappelé aux hauts fonctionnaire réunis un devoir « de nous remettre en question collectivement pour aller plus vite, pour que notre travail soit plus perceptible et pour associer mieux les gens » et affirmé que la grande crise des démocraties occidentales est « avant tout une crise de l'efficacité de l'action publique » » et décrété une « urgence parce que sinon les gens n'écouteront plus que la colère ».

Il est difficile d’être défavorable dans le discours à la simplification de l’action publique (cela consisterait à favoriser de complexifier cette action).

L’administration et ses membres ont un rôle évident dans la mise en œuvre de l’action publique, à la fois dans la préparation de la production normative mais dans de multiples décisions administratives prises en application de ces normes.

A ce titre Emmanuel Macron note notamment que « l'administration a cela de beau que si elle décide de ne pas appliquer à elle-même ce qui a été voté, elle stérilise assez bien le texte. » mais leur demande une « culture du résultat » et de « la prise du risque ».

À Lire Aussi

Gaspard Koenig : « L’absence de simplification administrative n’est pas due à l’Etat profond mais à un manque de véritable volonté politique »

Il faut toutefois rappeler que le Président de la République mais également le Premier ministre ont un rôle majeur dans la direction et l’animation de l’administration d’Etat suivant les dispositions de l’article 21 de la Constitution. A ce titre tous les hauts fonctionnaires réunis le 12 mars sont dans une situation hiérarchique et une très grande partie sont nommés en Conseil des Ministres, en quelques sorte dans le cadre de « CDD renouvelés tous les mercredis », comme leur rappelle l’expression « on ne peut plus être tranquille » du discours d’Emmanuel Macron.

Marc de Basquiat : La plupart des hauts fonctionnaires français sont des gens brillants, capables d’appréhender et résoudre des problèmes compliqués. Osons dire que c’est une partie du problème : s’ils n’avaient pas cette capacité hors du commun à survivre dans la complexité, il y a longtemps que notre système ubuesque aurait implosé. La réalité est qu’on empile depuis des décennies des monceaux de textes parfaitement indigestes. L’administration fait face bravement, en tirant fierté de sa capacité à trouver des solutions acrobatiques à tout ce qu’on lui demande, au lieu d’envoyer balader les politiques qui soumettent à longueur d’année des idées plus ou moins baroques. 

Est-ce l’administration qui a décidé elle-même de répartir les échelons administratifs entre les communes, les communautés de communes, les cantons, les départements, les régions et la nation ? Qui a décidé de distribuer certaines compétences entre plusieurs niveaux, sans choisir, pour ne pas froisser les susceptibilités de tel ou tel ?

Tout est horriblement compliqué, mais pourrait-il en être autrement ? Il n’existe aucun responsable politique qui conserve une vision d’ensemble de l’énorme édifice constitué par l’empilement de dizaines de milliers de pages de lois, règlements et décrets. Les politiques interviennent donc à la marge, en rectifiant tel ou tel détail de la machine, sans bien comprendre les implications réelles de ce qu’ils décident. 

Prenons un exemple : le soutien financier aux familles pour leurs enfants à charge est émietté en 14 dispositifs sans aucune cohérence d’ensemble. Certains parents (aisés) bénéficient de 600 euros par mois pour chacun de leurs enfants alors que d’autres (modestes) ne reçoivent rien. Qui défend un système aussi aberrant ? Personne. Qui s’attelle à la tâche de le réformer de fond en comble ? Personne. 

Un autre exemple ? Les députés ont décidé en 2022 à l’unanimité sauf un (Thomas Mesnier) de mettre un terme à la conjugalisation de l’allocation adulte handicapé (AAH). Personne n’a compris que la combinaison des divers dispositifs impliqués aboutissait à un résultat étrange : cette mesure n’apporte aucun avantage financier aux handicapés pauvres mais fait gagner plusieurs centaines d’euros par mois à toute personne aux revenus moyens à élevés qui se marie ou se pacse avec un bénéficiaire de l’AAH

Soyons honnêtes : l’enfer administratif est d’abord la conséquence de l’incohérence de nos élus. 

Quelle est la part de responsabilité de l’administration dans la complexité administrative de notre pays ?

Charles Reviens : Il faut commencer par prendre la mesure de cette complexité administrative. Il y a d’abord l’enjeu des institutions, avec le mille-feuille administratif français (Etat, multiples niveaux de collectivités territoriales) avec en plus l’échelon européen. Il y a dans ces instances à la fois des élus et des fonctionnaires.

Vient ensuite le sujet des normes, avec une bonne synthèse dans l’article de 2022 du Conseiller d’Etat Christophe Eoche-Duval et de la journaliste Valérie Boccara. Ils mettent en avant la sédimentation normative ; normes étatiques nationales, normes internationales, normes des autorités et organes de régulation, normes des autorités déconcentrées, normes des collectivités territoriales, normes des conventions collectivités et autres normes privées. La combinaison des institutions et des normes est en outre renforcée en France par le phénomène de surtransposition à tous les niveaux des normes de niveau supérieur comme l’a rappelé la récente crise agricole.

Au final l’article constate que le nombre total de mots dans les normes a doublé en 20 ans, passant de 22 millions en 2002 à 44 millions à la fin du premier quinquennat d’Emmanuel Macron.

L’administration a un rôle clé dans cette inflation mais fait partie d’un écosystème plus vaste dont la tendance va strictement à l’encontre des objectifs énoncés mardi 14.

Marc de Basquiat : Je fais partie de ceux qui s’insurgent depuis longtemps contre la complication des procédures auxquels sont soumises les personnes fragiles qui demandent des aides sociales. Ces complications ne sont pas des initiatives de l’administration, mais inscrites dans la conception même des dispositifs votés par les députés. En sont-ils les seuls coupables ? Les projets de lois soumis aux députés ont été préparés avec le support opérationnel des administrations sollicitées par les cabinets ministériels… La responsabilité est partagée. 

Je vois deux causes majeures au désastre.

D’abord, les politiques ne semblent plus capables de formuler une vision, de fixer un cap clair et fédérateur, de dessiner un schéma d’ensemble cohérent suscitant l’intérêt et l’adhésion des citoyens. La pauvreté du débat lors de l’élection présidentielle 2022 reste un exemple de ce naufrage. De quoi a-t-on parlé au juste dans cette période où des idées devaient émerger et mobiliser militants et électeurs ? De rien. 

Ensuite, l’administration a perdu tout bon sens en intégrant des schémas hors sol, non pertinents et destructeurs de l’idée même de bien commun. 

Un exemple est l’attachement de l’administration au dogme technocratique des « échelles d’équivalence », qui énonce doctement qu’un couple pauvre se nourrit avec un budget égal à 1,43 fois celui nécessaire à une personne seule, qu’un couple de retraités dépense 1,7 fois le budget d’une veuve et que fisc doit réduire l’impôt d’un riche de 1.904 euros par mois (soit 22.855 euros par an) lorsqu’il se pacse ou se marie. Aucun responsable politique n’a le cran de s’attaquer à ces règles « abracadabrantesques » pour définir un système socio-fiscal juste, simple et efficace. 

N’est-il pas du rôle de l’exécutif de mettre en place cette simplification ? En imposant son autorité à l’administration où n'usant pas lui-même de complexités ?

Marc de Basquiat : En 25 années de vie professionnelle en entreprise, j’ai mené de nombreux projets de rationalisation de processus variés. Je ne me rappelle aucun projet qui n’ait commencé par un travail approfondi, collectif, pour définir la vision d’un objectif ambitieux et motivant. 

Une grande « convention managériale de l'État » rassemblant 700 cadres de l’administration à qui le chef de l’État déclare « je ne vous lâcherai pas collectivement », cela ne remplace pas le travail de création collective d’un schéma opérationnel, où chacun comprend la direction générale et inscrit naturellement son action individuelle. Pas de vision = pas de cohérence, pas de dynamique, pas d’efficacité.

On peut donc recommander une autre approche : demander à chaque responsable d’administration de rédiger une « note de vision » d’une seule page, où apparaît noir sur blanc l’ambition qui est la sienne d’une mission limpide et d’un fonctionnement totalement optimisé. Ces notes seraient publiques, distribués à tous les partis politiques afin qu’ils organisent une discussion interne avec leurs adhérents sur leurs formulations. Ensuite, un vote de la représentation nationale (Assemblée Nationale + Sénat) serait requis pour valider des textes amendés, avec un seuil très élevé (par exemple les 4/5e des votes) afin de s’assurer que ces « notes de vision » correspondent effectivement à la volonté générale.

Bien entendu, certaines administrations n’obtiendraient pas ce seuil de 4/5e, les invitant à revoir leur copie et proposer une nouvelle formulation l’année suivante. Mais pour celles dotées de cette « note de vision », l’étape suivante consisterait à analyser systématiquement tous les obstacles avant de proposer un chemin de réformes vers une simplification réelle. 

Charles Reviens : Comme vu précédemment les fonctionnaires de l’Etat (et eux seulement, pas ceux des collectivités territoriales et de l’Union européenne) sont en situation hiérarchique par rapport à l’exécutif qui a donc un rôle éminent en matière de simplification, notamment par l’exemplarité, ce qui va à l’encontre de la logique communicationnelle de l’action publique actuelle où les normes sont également un instrument de communication.

Lors de la conférence, outre l’habituel « changement de culture », Emmanuel Macron a fixé trois objectifs aux hauts fonctionnaires :

  • mener à bien une nouvelle phase de déconcentration des services de l'Etat, avec l'idée que « la bonne maille est départementale »

  • faire un nouvel effort de simplification - « moins de délais, moins de paperasse » - pour faire cesser la « sorte de maltraitance administrative collective que nous nous infligeons à nous-mêmes » ;

  • une meilleure association de toutes les parties prenantes, via le recours aux Conseils nationaux de la refondation (CNR).

L’avenir dira si cette relance aura plus de succès que les multiples précédentes.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !