« La France avait 10 ans de retard en 2017, elle en aura 10 d’avance en 2027 » : mais comment mesurer cette promesse d’Emmanuel Macron ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Lors de ses vœux aux Français, le chef de l’Etat a vanté son bilan comme son projet global pour le pays.
Lors de ses vœux aux Français, le chef de l’Etat a vanté son bilan comme son projet global pour le pays.
©Ludovic MARIN / AFP

Voeu pieux ?

Lors de ses vœux aux Français, le chef de l’Etat a vanté son bilan comme son projet global pour le pays. Mais quel contenu précis peut-on y entendre ?

Dominique Calmels

Dominique Calmels

Dominique Calmels est Cofondateur de l’Institut Sapiens.

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Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

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Atlantico : Prenons point par point. Sur les brevets d'innovation technologique, la France aura-t-elle 10 ans d'avance en 2027 ?

Dominique Calmels : Déposer un brevet c’est l’action ultime après avoir mené des recherches positives, avoir innové et enfin avoir développé des processus de mise en industrie. Rien ne se fait dans ce domaine sans une réconciliation du monde de la recherche et les entreprises, sans des chercheurs bien rémunérés pour qu’ils ne partent pas ailleurs, sans la conviction des entreprises qu’il y a un intérêt à créer en France alors que chaque année les députés et les sénateurs menacent de réduire significativement, le Crédit d’impôt recherche, sans des financements appropriés et des risques pris par les financeurs, ce dont les français ont le plus peur, le risque. La recherche prend du temps, beaucoup de temps, 9 projets sur 10 n’aboutissent pas en un brevet. Et il faut des chercheurs dans un pays, la France, où les études scientifiques ne passionnent pas. La liste des tâches est vaste pour parvenir à quoi ? simplement faire mieux qu’en 2017 ou avoir 10 ans d’avance sur nos voisins ?  

Don Diego de la Vega : C’est délicat comme sujet. Tout ne dépend pas complètement de l’Etat. Il y a toute une dimension juridique qui échappe largement à la volonté de Macron. Dans ce domaine-là, comme dans les autres, nous n’avons pas 10 ans de retard sur nos voisins (Royaume-Uni, Allemagne, Italie) et nous n’aurons pas 10 ans d’avance dans 3 ans. 

Dans des démocraties avancées comme la nôtre, ce n’est pas parce qu’on décide quelque chose qu’il y a tout de suite un effet. Il y a beaucoup d’inflation législative et réglementaire. Ce n’est pas en modifiant à la marge ou en décidant tout d’un coup depuis l’Elysée que vous obtenez des effets. Qui met en application les brevets ? Qui fait l’essentiel des gains de productivité ? Quand vous regardez les entreprises du CAC 40, c’est un gros quart de luxe. On a une industrie très concentrée. On a du luxe mais on n’a pas d’acteurs géants dans l’Internet. Le budget Recherche & Développement d’Amazon est aussi gros chaque année que le budget de l’ensemble de R&D des boîtes du CAC 40. Vous pouvez toujours favoriser les brevets, à la fin il faut des boîtes pour réaliser de la recherche et du développement. On en a trop peu. On n’a pas une boîte en France classée aujourd’hui dans le Top 50 des grosses boîtes mondiales innovantes.

Quid dans le domaine de l'éducation ?

Dominique Calmels : Comme pour les brevets, le diplôme est la récompense de plusieurs années d’études, d’un grand nombre d’années d’études. Comment inverser la tendance pour qu’en 2027 nous ayons 10 ans d’avance ? Il faudra plus de temps, beaucoup plus de temps. L’éducation embarque plus d’1,2 millions de personnes, en comptant le personnel administratif de l’Education nationale, aussi comment changer profondément la façon de travailler de ce groupe pour transformer une organisation qui veut aligner tout le monde sur un niveau moyen vers une institution qui voudrait « tirer » tout le monde vers le haut. Pas tous ensemble, pas tous à la même vitesse, mais en se fixant un plan individuel pour chaque élève qui lui permettra d’aller le plus loin possible et de développer ses talents, ses capacités. Cela passe par une réduction des matières étudiées pour consacrer davantage de temps à la créativité, à l’appropriation du numérique et l’IA générative. Car demain il faudra savoir utiliser l’IA dans sa profession et cela demande des capacités qui n’ont rien à voir avec certaines matières étudiées aujourd’hui. 

Le défi est tel qu’il faudrait une révolution totale dans les méthodes et dans l’Etat d’esprit, pour y parvenir dans 10 ans, et pas en 2027. Mais dans tous les cas, il faut commencer vite. Le retard aura des conséquences graves pour l’économie française et son attractivité. 

Don Diego de la Vega : Le classement PISA nous révèle que le niveau des français dégringole. C’est une catastrophe. Le niveau baisse d’ailleurs à cause de l’immigration puisqu’on récupère des gens très bassement qualifiés. Une situation que connaît bien la Finlande également. 

Emmanuel Macron avait aussi misé sur la French Tech. C’est un pari qui a échoué. S’il y a bien un secteur où il y a un problème d’offre et de compétences, c’est bien la tech française. Très peu de gens savent programmer dans notre pays. En France, on forme chaque année 40 000 ingénieurs. Le chiffre est stable. C’est à peine suffisant pour maintenir le système productif actuel de manière équilibrée. On veut quand même nous faire croire qu’on va réindustrialiser le pays et devenir un géant de la tech avec 40 000 ingénieurs. Ce n’est absolument pas suffisant pour se lancer dans une nouvelle Silicon Valley française ou pour réindustrialiser. 

En matière de productivité économique, aurons-nous 10 ans d’avance sur nos partenaires en 2027 ?

Dominique Calmels : S’il y a un principe économique mal compris par les Français, c’est bien celui de la productivité. Tout le monde pense immédiatement aux chaines de production. Pourtant les modèles économiques sont clairs : les améliorations de la productivité génèrent la valeur ajoutée dont l’entreprise a besoin pour augmenter les salaires, pour investir dans l’avenir, pour financer des projets de recherche, etc… Malheureusement la productivité de l’économie française est en baisse depuis plusieurs années. Donc on augmente les coûts des entreprises sans les recettes nécessaires pour ne pas détériorer les résultats de l’entreprise et du pays. Comment renverser la tendance ? Améliorer l’organisation de l’entreprise, améliorer la formation des salariés, travailler plus, réduire les absences maladies en travaillant sur les relations sociales et managériales au sein de l’entreprise. Le défi de la France est double : stopper la réduction de la productivité et renverser la tendance. 

Don Diego De La Vega : La productivité française a perdu six points en six ans. C’est une catastrophe. Une chute libre quasiment jamais vue en temps de paix.

Qu’en est-il du niveau de vie ?

Dominique Calmels : La situation de la France est un grand paradoxe. Avec le nombre d’aides possibles le taux de pauvreté est un des plus faibles de l’Europe. Même si notre taux de chômage, plus élevé que chez nos voisins, place plus de français dans le besoin. Pour être 10 ans en avance, il faut continuer à réduire le taux de chômage et cela passe par un effort individuel de formation très significatif, sur la durée ( plusieurs mois ) reposant sur un suivi individuel de chaque personne sans emploi. En parallèle, il va falloir s’attaquer au grave problème du logement pour de nombreux français pour être 10 ans en avance. 

Don Diego de la Vega : Regardons le PIB qui comprend l’ensemble de ces problématiques. On a le même en 2017 et en 2024. Les propos du président sont donc surréalistes. Sur le terrain économique, nous n’avons quasiment pas bougé par rapport à l’ensemble de nos partenaires avec qui nous comparer (Royaume-Uni, Allemagne, Italie). Par rapport à eux, nous n’aurons pas 10 ans d’avance, c’est certain.

Et en matière de transition énergétique ?

Dominique Calmels : C’est, selon moi, le domaine où nous pouvons dire que notre progression est réelle. Nos émissions de CO² sont en baisse, l’énergie issue du nucléaire prend une place grandissante, nous investissons dans l’énergie durable même si nous comprenons chaque jour un peu plus les défis techniques de ces sources d’énergie qui ne peuvent remplacer en un jour notre mode de fonctionnement. Mais contrairement aux autres secteurs, les français jouent le jeu et plus de 70 % d’entre eux font des efforts à leur dimension pour réduire leur émission de Co². Le consensus est là, donc les progrès seront encore plus forts dans quelques années. Maintenant, l’énergie nucléaire était déjà présente en 2017 donc nous ne serons peut-être pas en 2027 avec 10 ans d’avance mais il est certain que les français peuvent être fiers des résultats même si il reste encore beaucoup à faire 

Don Diego de la Vega : On est en retard sur tous les éléments malgré les promesses et les engagements. On n’est pas très bon dans le déploiement des énergies nouvelles et dans le remplacement du nucléaire. On n’a pas tellement mis l’accent sur le remplacement en 2035 du thermique par de l’électrique. La position de Macron, les premières années, n’était pas claire du tout. Il faut vraiment faire du nucléaire la priorité en matière d’énergies décarbonées. Là où on avait un vrai savoir-faire, nous l’avons perdu. Nous n’avons plus toutes les compétences. C’est bien dommage. 

Et en ce qui concerne la Défense ?

Dominique Calmels : Dans le domaine particulier de la Défense, il faut réussir à modifier la perspective des Français en matière de défense. Les hommes politiques ont une grande responsabilité sur ce thème. La Défense a besoin de matériels et d’expertise pour améliorer la protection de la France. Or nous ne sommes pas capables de réduire certaines autres dépenses nationales pour permettre à la Défense de s’équiper davantage, et il faut en parallèle des innovations technologiques, comme les drones, pour avoir dix ans d’avance. Le premier défi, qui consomme du temps, c’est un changement radical des priorités. Il faut certainement réaliser 30 milliards d’économies par an dans d’autres secteurs pour donner au secteur de la Défense les moyens des objectifs de la France dans le contexte géopolitique. Le voulons-nous et en sommes-nous capables ? SI oui, alors il faut créer des usines et favoriser la recherche, un processus très long qui dépassera largement 2027. Entre 2017 et 2027, la France s’est investie dans plusieurs conflits qui ont puisés dans ses ressources. Il est urgent de reconstituer et d’améliorer. 

Quid de l'efficacité de l'Etat et des services publics ?

Dominique Calmels : L’objectif est : simplicité, automatisation, accessibilité pour tous, y inclus pour ceux qui n’ont pas de smart phone, ni d’ordinateur. Il y a eu des progrès significatifs, comme la retenue à la source de l’impôt sur le revenu, une grande réussite. Globalement on peut noter des efforts réels mais l’impression négative des français tourne certainement autour de l’accessibilité. Maintenant, la France a le plus haut niveau de dépenses de fonctionnement de ses services publics. Les solutions pour avoir 10 ans d’avance sont connues : réduire le nombre de niveaux de décisions, faire une étude comparative des meilleures pratiques entre les régions, les départements, les communes et appliquer ces meilleures solutions à toute la France. Avec 36 000 communes il faudra plus que les 3 ans qu’il nous reste. 

Don Diego de la Vega : Les Français en jugeront. J’espère que ce sera un critère de choix important en 2027. Est-ce que les français sont satisfaits des délais dans la justice ? Il ne me semble pas. Est-ce qu’ils sont satisfaits de la police ? Est-ce qu’ils sont satisfaits de la gestion de nos frontières ? Il ne me semble pas.

Sur tout ce qui est régalien, j’ai l’impression que le compte n’y est pas. Pour ce qui est de l’administration en générale, on est très mal classé. C’est une administration qui est très lourde. Sa lourdeur s’exprime par des choses très tangibles : le nombre de fonctionnaires, le nombre de textes, le nombre de pages dans les différents codes. Combien de temps faut-il pour obtenir un permis de construire en France ? Combien de temps faut-il pour licencier quelqu’un ? Quel que soit l’indicateur retenu, la France est toujours à la traîne des pays de l’OCDE. A moins de se comparer avec un pays du tiers monde, la France n’est pas très bien classée. L’administration ne s’est pas vraiment réformée depuis 2017.

Sur les indicateurs de la Santé, la France aura-t-elle 10 ans d'avance en 2027 ?

Dominique Calmels : L’Institut Sapiens a réalisé il y a trois ans un rapport sur le classement des pays de l’OCDE en termes de dépenses de santé et d’efficacité. Nous avons fait la synthèse de tous les critères suivis par l’OCDE pour établir un critère unique. La France, perçue comme ayant le meilleur système de santé au monde, n’est première que dans un domaine : le reste à charge. Nous avons le plus faible reste à charge. Au niveau de l’indice synthétique nous sommes le 5ème pays de l’OCDE. Sur plusieurs indicateurs, les résultats de la France se détériorent. La santé a les mêmes problèmes que la plupart des autres secteurs étudiés, il faut du temps pour augmenter les nombres de médecins, de spécialistes. Les choses ne changeront pas entre 2024 et 2027 au point d’être 10 ans en avance par rapport à 2017. Il est possible d’améliorer rapidement certains indicateurs avec la Téléconsultation, un PLFSS dynamique qui prendrait en compte des investissements significatifs dans la prévention, dans le traitement des pathologies chroniques, dans les maladies rares. Des décisions courageuses au titre des IPA, les infirmières de pratiques avancées, pour pallier à court et moyen terme au manque de généralistes. Comme pour d’autres thèmes, les freins sont énormes en interne en France. Un thème pour le plan d’action du Président 

Pour finir, que peut-on dire de la position de la France en matière de démocratie, de corruption et de libertés publiques ?

Dominique Calmels : Ces sujets sont les maladies silencieuses de notre pays. La France est un pays aux multiples lois, décrets et codes. Mais nous sommes aussi le pays dans lequel les textes de lois ne sont pas appliqués, ou très faiblement appliqués. Cette situation a créé un sentiment d’impunité. Les situations se détériorent selon les experts. L’amélioration de la situation prendra beaucoup de temps car ce n’est pas seulement d’une loi dont nous avons besoin mais d’un travail de fond.

Don Diego de la Vega : En ce qui concerne la corruption, le classement de Transparency International fait à peu près autorité. Si vous regardez l’évolution de ce classement, vous verrez que la France est moyennement classée. Ni mieux, ni moins bien qu’en 2017. On est relativement mal classé pour une raison très simple : le poids de l’Etat en France. Ce poids est tellement important que la tentation de corruption est évidemment très forte. Pour obtenir un logement public par exemple, pour obtenir une exemption pour votre enfant par rapport à la carte scolaire… Vous avez plus de tentations en France que dans d’autres pays parce que le poids de l’Etat en France est plus important qu’ailleurs. 

Macron aurait pu faire quelque chose de positif : réduire le poids de l’Etat et réduire en particulier l’inflation réglementaire et textuelle de façon à avoir un terreau plus favorable. Cela n’a pas été fait. Les dépenses publiques n’ont pas arrêté d’augmenter. Le déficit public n’arrête pas de se creuser. Il n’y a pas eu de réformes. 

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