La fondation Soros arrête ses activités en Europe, quel bilan politique laissera-t-elle derrière elle ?<!-- --> | Atlantico.fr
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George Soros
George Soros
©Fabrice COFFRINI / AFP

Héritage

La fondation Soros a annoncé mettre fin à la plupart de ses activités dans l'Union européenne.

Drieu Godefridi

Drieu Godefridi est juriste (facultés Saint-Louis-Université de Louvain), philosophe (facultés Saint-Louis-Université de Louvain) et docteur en théorie du droit (Paris IV-Sorbonne).

 
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Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Atlantico : La fondation Soros met fin à la plupart de ses activités dans l'UE dans le cadre d'un changement radical, mais quel bilan politique laisse-t-elle en Europe ?

Drieu Godefridi : Le bilan sorossien en Europe est à la fois marginal et venimeux. Soros est un financier compétent,  qui a rapidement développé une compréhension fine du fonctionnement des marchés, notamment financiers mais pas seulement. Cette compétence, Soros l’a mise à profit pour promouvoir ses idées politiques. Rien à redire, si ce n’est que sa carrière de financier est jalonnée de pratiques abusives, au sens criminel, notamment délit d’initié, pour lequel Soros a été condamné. Il est donc, fidèlement, un repris de justice. Le vrai problème est que Soros s’est rapidement fantasmé, par ailleurs, comme penseur et comme activiste. Dans un premier temps, ses combats idéologiques et politiques étaient dirigés contre le communisme. Après la chute du communisme, en 1989, Soros s’est réinventé comme promoteur financier d’une forme à la fois particulièrement radicale et dévoyée de libéralisme. Depuis trois décennies, la fondation Open Society finance ainsi massivement une myriade d’organisations, associations et groupuscules à l’extrême gauche du spectre politique, n’hésitant pas à financer, entre autres, des organisations militant pour la vision la plus radicale de l’islam comme doctrine politique. Sur le plan international, Soros s’est également distingué par son antisionisme farouche. La plupart de mes amis israéliens, notamment au Likud, tiennent Soros pour l’un des pires ennemis objectifs de l’État d’Israël. Ce qui est exact.

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Quelles sont les principales réussites et les principaux échecs de la fondation Soros en Europe ?

Drieu Godefridi : La principale réussite tient au noyautage, organique et idéologique, des cénacles qui président en Europe aux questions d’immigration. Si la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme est aujourd’hui la plus extrémiste du monde, consacrant souvent un ‘open borders’ de fait, c’est en large part à des juges soutenus par l’Open Society que nous le devons.

Alexandre del Valle : Il a eu des réussites qui, d’une certaine manière ont été « extraordinaires », notamment en Géorgie avant 2008-2009 et en Ukraine entre 2004 et 2014 (« révolutions de couleurs), mais contrairement aux élucubrations simplistes des complotistes, Soros n’a été qu’un des éléments et des acteurs de ces projets d’occidentalisation-libéralisation de l’ex-« étranger-proche russe »,, et ces plans d’occidentalisation-démocratisation libérale et atlantisation » de l’Est a été opéré par plusieurs entités étatiques, internationales et associatives, parfois fort diverses, et toujours en collaboration avec les administrations américaines démocrates et « néo-cons », donc les plus interventionnistes du pouvoir américain. On peut citer les « succès » des opération contre l’Ex-Yougoslavie après les bombardements (« Otpor), en Ukraine-Géorgie (« Pora » et « Kmara »), dans lesquelles Soros n’a jamais agi seul ou n’a été le « patron », mais a agi dans le cadre d’une mouvance globaliste et atlantiste qui comprenait outre l’administration US, l’UE et la CIA, la Carnegie Foundation, nombre de figures intellectuelles et leaders politiques des démocraties-libérales occidentales, Endowment for democracy; Canvas, Albert Einstein Foundation; Voice of America ou encore USAID, etc.  Cette mouvance qui est autant une philosophie que des intérêts privés et publics parfois disparates et opposés dans d’autres domaines, ont convergé dans le cadre de l’expansion de l’interventionnisme occidental en Europe centrale balkanique et de l’Est face aux Russes et aux forces multipolaristes, sous les Administrations interventionnistes américaines Clinton et Bush fils, notamment. Et le même genre de convergence s’est vérifié ensuite dans les années 2010-2012 dans les pays arabes avec l’appui de l’administration Obama. La preuve que les choses sont complexes et qu’il n’y a pas un seul plan de type complotiste et secret ourdi de façon uniforme : les ultra-nationalistes polonais, ukrainiens, géorgiens, ou baltes, totalement opposés aux projets mondialistes-wokistes, ont été momentannément et tactiquement alliés aux forces globalistes anti-nationalistes et wokistyes sorosiennes face à l’ennemi commun russe post-sociétique, et parfois, des républicains aux aussi anti-wokistes ultra-conservateurs ont appuyé les opérations de révolutions de couleurs par anti-russisme mais pas pour épouser le globalisme anti-national et anti-identitaire de Soros.

Quels étaient ses relais ? 

Alexandre del Valle : Il ne s’agit pas d’un seul mais de nombreux réseaux : Open society est un réseau de réseaux, qui entretient des ONG, des associations, des partis politiques (indirectement), des Think tanks, des écoles, universités et centres de formation dans le monde entier. Les relais sont multiples, associatifs, médiatiques, politiques et éducatifs. Le sorosisme « travaille au corps » les démocrates américains, les sociaux-démocrates européens,  et il appuie donc tantôt le centre libéral, tantôt la gauche, tantôt les milieux européïstes (UE), tantôt les lobbies ethno-religieux sépataristes, tantpot les régionalismes, et bien sûr les forces atlantistes toutes tournées contre la perspective de la pérennité des souvertainetés des Pays d’Europe.  D’où le fameux organigramme des centaines de députés européens « approchés » par les réseaux d’Open society depuis des années.

Quel sera l'héritage politique de la fondation Soros et de son influence en Europe ?

Drieu Godefridi : Par ses engagements multiples en Europe depuis trois décennies — j’exclus la première phase anticommuniste — la fondation Open Society aura nettement contribué à normaliser une certaine parole d’extrême gauche, sur tous les sujets : immigration, genre, islam, écologisme totalitaire et violent, antisionisme flirtant constamment avec l’antisémitisme, etc. Car, laissons à Soros sa cohérence : il n’a jamais été marxiste. Il est, dans le monde des idées, le coauteur et formidable promoteur d’une sorte de libéralisme extrémiste, détourné, comme devenu fou. Soros est un financier génial et un penseur raté ; l’ennui étant que le premier finance les lubies du second depuis trente ans.

Comment interpréter la décision de la fondation Soros de cesser ses activités en Europe ? 

Drieu Godefridi : J’y vois un double signal. Le premier est la marginalisation de l’Europe dans les affaires du monde. Je rentre d’un voyage professionnel de dix jours à New York. Face à la vitalité économique américaine, la stagnation européenne s’accuse de plus en plus cruellement. Le niveau de vie américain est désormais hors de portée de 90% des Européens. En réalité, c’est le monde entier qui est en croissance économique, tandis que l’Europe stagne. Donc oui l’Open Society a raison de se réorienter vers des régions mieux porteuses d’avenir, si elle souhaite peser sur la marche du monde. Deux, le fils Soros qui vient de prendre les rênes de l’empire idéologique de son père a clairement l’intention d’imprimer sa propre marque. Doit-on attendre une nouvelle radicalisation des engagements faussement philanthropiques, en réalité idéologiques, de l’Open Society ? Cela paraît probable. L’avenir nous le dira.

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