La folle quête d’Elon Musk pour l’intelligence artificielle et le transhumanisme <!-- --> | Atlantico.fr
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Le PDG de Tesla, Elon Musk, lors d'une visite sur le chantier de construction du futur géant américain de la voiture électrique Tesla, le 3 septembre 2020 à Gruenheide près de Berlin.
Le PDG de Tesla, Elon Musk, lors d'une visite sur le chantier de construction du futur géant américain de la voiture électrique Tesla, le 3 septembre 2020 à Gruenheide près de Berlin.
©Odd ANDERSEN / AFP

Bonnes feuilles

Luc Mary publie « Elon Musk, l'homme qui invente notre futur » aux éditions de l’Archipel. Qui est véritablement Elon Musk ? Cette biographie décrypte le mythe Musk. Innovateur génial, il est devenu en quelques années l'incarnation de la Silicon Valley. Extrait 2/2.

Luc Mary

Luc Mary

Luc Mary est un écrivain et historien. Il a notamment écrit Mary Stuart, la reine aux trois couronnes (l'Archipel, 2009) et Jeanne d'Arc (Larousse, 2012). Il a aussi coécrit avec Philippe Valode Et si... Napoléon avait triomphé à Waterloo ? L'histoire de France revue et corrigée en 40 uchronies (Editions de l'Opportun, juin 2011)Il est l'auteur de 20 livres et de plus d'une centaine d'articles. Il rédige régulièrement des textes pour la revue Actualité de l’histoire, une rubrique mensuelle consacrée aux uchronies.

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L’explorateur de l’avenir est insatiable. Non content de ses fusées réutilisables, de ses voitures électriques et de ses trains magnétiques propulsés sous tube, Elon Musk s’attaque aussi au domaine des robots et de l’intelligence artificielle. Fondées respectivement en 2015 et 2016, les sociétés OpenAI et Neuralink sont les deux piliers de ce nouvel axe de recherche technologique. Quand OpenAI se présente comme un concepteur de textes à partir d’un ordinateur, Neuralink travaille sur les implants cérébraux. Elon Musk entend ainsi pénétrer les esprits, et pas seulement au sens figuré. Quoi qu’il en soit, une fois n’est pas coutume, Elon Musk avance ici à pas feutrés vers le futur. Circonspect pour ne pas dire inquiet devant le développement de l’intelligence artificielle, le créateur de SpaceX craint qu’à long terme la créature n’échappe à son créateur, voire le domine. En d’autres termes, Elon Musk parle d’une véritable menace pour l’humanité, à croire que le film Terminator cessera bientôt d’être une fiction…

Neuralink, ou la naissance de l’homme-machine?

2016. Treize ans après avoir lancé SpaceX, la société de la reconquête de l’espace, Elon cède à une autre lubie: celle de l’intelligence artificielle. Œuvrant au développement d’une interface cerveau-machine, les savants de Neuralink introduiront bientôt des puces électroniques de la taille d’une pièce de monnaie dans le cerveau d’un être humain pour le connecter à un ordinateur. Mesurer en temps réel l’activité de nos neurones? Tout un programme. L’opération chirurgicale s’effectuera à l’aide d’un robot ultrasophistiqué, une sorte de machine à coudre d’une précision extrême, spécialement conçue pour installer les différents composants électroniques dans votre crâne. Reliée aux électrodes, la puce de 23 mm sur 8 mm d’épaisseur sera capable d’interpréter les signaux neuronaux, puis de les transmettre par Bluetooth. La puce en question s’appuiera sur le Pedot, un polymère conducteur biocompatible, et elle abritera 1024 électrodes. «C’est comme une Fitbit [montre connectée] dans votre crâne, avec de petits fils», s’enthousiasme Elon. Les premiers essais ne seront pas une sinécure, car il faudra au préalable qu’un chirurgien perce des trous minuscules dans la boîte crânienne sous anesthésie générale. Mais à plus lointaine échéance, un rayon laser pourrait accomplir le travail lors d’une opération aussi légère et indolore que celle de la correction de la myopie. Le tout restera malgré tout risqué, puisqu’il faudra éviter les vaisseaux sanguins.

Et pourtant, l’idée d’un implant de stimulation cérébrale n’est pas nouvelle! Elle date de plus de trente ans. «La stimulation cérébrale profonde (SCP), qui consiste à stimuler le cerveau par des électrodes implantées, a été élaborée en 1987 par les professeurs Alim-Louis Benabid et Pierre Pollak du CHU de Grenoble, rappelle à propos le professeur de psychiatrie Mircea Polosan, chef de service psychiatrie au CHU de Grenoble et chercheur à l’Inserm, spécialiste des implants de stimulation cérébrale profonde. Les premiers essais ont été réalisés au départ pour traiter trois pathologies: le “tremblement essentiel”, la dystonie et la maladie de Parkinson.»

La révolution muskienne est ici plus d’ordre technologique que conceptuelle. En d’autres termes, là où innove Elon, c’est dans la miniaturisation de l’implant. «Aujourd’hui, les systèmes actuels possèdent moins d’une centaine de contacts d’électrodes, en matériau semi-conducteur que l’on pose sur la zone cérébrale à stimuler. Ce n’est pas très souple ni très précis.» L’implant de Neuralink se compose de 1024 « câbles» en polymères plus fins que des cheveux, flexibles, porteurs des microélectrodes souples qui enregistrent l’activité des neurones et les stimulent en retour de manière très fine, très précise et focalisée en fonction du signal enregistré au préalable… «Ce serait comme passer d’un appareil photo numérique à 300000 pixels il y a quinze ans à 10 millions de pixels aujourd’hui. Ce système pourra contribuer au développement de la recherche en cours sur la stimulation adaptative, dépendante du signal pathologique enregistré au préalable », explique encore le professeur Mircea Polosan.

Des hommes, des machines… et des cochons!

En théorie, la puce ronde sera greffée dans notre tête, sans qu’il y ait besoin de passer une nuit à l’hôpital, et sans laisser de trace, si ce n’est une petite cicatrice sous les cheveux. Pour l’instant, en attendant d’effectuer leurs premières expériences sur des hommes, les neurochirurgiens de Neuralink ont trouvé un cobaye inattendu: la truie Gertrude. «Nous avons une truie en bonne santé, heureuse, timide au premier abord, mais manifestement très énergique et aimant la vie, elle a l’implant depuis deux mois», explique Elon à ses interlocuteurs. Au cours de l’été 2020, la truie Gertrude marche sur un tapis roulant, le groin dans une mangeoire accrochée devant elle, pendant que sa puce greffée retransmet ses signaux neurologiques correspondant aux mouvements de ses pattes. Pour les tests humains, Elon Musk affirme avoir reçu en juillet 2020 le feu vert de la Food and Drug Administration, à savoir l’agence de régulation sanitaire américaine, afin de poursuivre ses expériences.

Pour justifier ses recherches, le fondateur de Neuralink présente son implant cérébral comme le meilleur moyen de lutter contre les liaisons cérébrales et les maladies mentales.

Quand l’ordinateur se transforme en dieu thaumaturge

L’ambition d’Elon Musk et de ses associés est multiple, voire prométhéenne. D’aucuns diraient que le surdoué sud-africain se prend désormais pour le Christ; par le biais de ses machines et de ses puces électroniques, l’homme de SpaceX et de Tesla veut ainsi à la fois rendre la vue aux aveugles et la parole aux muets, faire marcher les paraplégiques ou lutter contre le vieillissement du cerveau en rajeunissant les cellules. À long terme, le nouvel homme-machine n’aurait plus à souffrir de liaisons cérébrales, n’éprouverait plus de pertes de mémoire et se souviendrait des moindres détails de son existence. Dans un avenir relativement proche, Elon Musk en est convaincu, ses puces électroniques greffées dans le cerveau permettront à leurs propriétaires d’écouter du rock sans passer par un quelconque appareil, voire d’ingurgiter et d’assimiler toute une brochure sur la mécanique quantique en l’espace de quelques minutes. Les perspectives de l’implant de Neuralink sont en effet incalculables et prodigieuses. En somme, Elon Musk entend transformer le cerveau humain en une machine indestructible, voire flirter avec le mythe de l’immortalité. «Je pense que dans le futur on pourra enregistrer et voir nos souvenirs. Si l’on a un accès total au cerveau et que l’on arrive à décoder la mémoire, alors on pourra enregistrer, garder des sauvegardes, restaurer nos souvenirs et pourquoi pas synchroniser sa mémoire avec un corps robotisé», explique-t-il devant les caméras de France 2. À court terme, sans doute avant la fin de l’année 2022, voire le printemps 2023, le milliardaire «martien» espère avoir greffé son implant miraculeux chez une personne paralysée pour cause de lésion de sa moelle épinière. «Je suis certain qu’on pourra bientôt retrouver l’usage complet de son corps», précise «l’homme qui invente notre futur». Et l’entrepreneur ambitieux de renchérir en annonçant la fin imminente des maladies neurodégénératives  et la disparition prochaine de l’autisme ou de la schizophrénie. Des propos grandiloquents qui ont tôt fait de faire réagir la National Autistic Society britannique, laquelle souligne son scepticisme en précisant que l’autisme n’est pas une maladie mais un problème d’identité. Aussi ne peut-on le soigner avec des implants de stimulation cérébrale.

Il ne faut pas croire pour autant qu’Elon Musk milite activement pour un développement rapide de l’intelligence artificielle. Bien au contraire. Tout en travaillant activement sur le sujet, le milliardaire met l’accent sur les dangers d’un progrès fulgurant de l’IA. Le leadership de l’homme sur Terre pourrait même être menacé. Preuve en est la mise au point du logiciel d’une autre start-up créée par Elon, GPT-3, une invention qui pourrait rendre obsolète notre intelligence créatrice elle-même en mettant au rancart tous nos poètes et nos romanciers.

GPT-3, le logiciel de la peur

Au mois de mai 2020, GPT-3, un générateur de textes fort de 175 milliards de neurones artificiels, est pondu par la société OpenAI, encore une start-up sortie de l’imagination fertile de notre explorateur de l’avenir. Il a été programmé sur l’un des dix plus puissants ordinateurs au monde, un computer appartenant à la société Microsoft. Pour apprendre à rédiger des textes, GTP-3 a ingurgité plus de 500 milliards de mots, l’équivalent de plus de deux millénaires du quotidien Le Figaro. Des mots et des phrases puisés généralement dans Wikipédia et dans de colossales bases de données collectées sur le Net. Aux dires de ses créateurs, le logiciel est tellement performant qu’il pourrait se substituer à un être humain lors d’une conversation anonyme sur Internet. Il aurait même le sens de l’humour et de la poésie! Diable, que nous reste-t-il? À l’origine, les chercheurs d’OpenAI souhaitaient simplement former le programme « à la prédiction du mot suivant dans une phrase». Ils ont utilisé 40 Go de données issues de huit millions de pages sur le Net. Mais voilà que la créature échappe quelque peu à la main de son créateur. En termes clairs, en l’espace de quelques tests, le GPT-3 est devenu si performant qu’il imite à s’y méprendre l’écriture humaine, au point qu’il pourrait recomposer Les Misérables sous un tout autre scénario. «Avant, on pouvait distinguer des textes écrits par une machine de ceux écrits par des humains. C’est de plus en plus dur. Ces systèmes produisent du bois lissé, sans écharde », commente François-Régis Chaumartin, président du Proxem, une entreprise spécialisée dans l’analyse sémantique des textes. «Techniquement, c’est compliqué. Conceptuellement, c’est simple. Je suis plus impressionné par la technologie que par la science derrière GTP-3», constate de son côté François Yvon, chercheur à Orsay, au laboratoire d’informatique pour la mécanique et les sciences de l’ingénieur.

Le premier, le quotidien britannique The Guardian a pu tester les capacités exceptionnelles du logiciel. À  partir de la première ligne de 1984 de George Orwell, le logiciel est parvenu à produire un paragraphe de science-fiction dystopique parfaitement cohérent. Le programme a aussi été utilisé par The Guardian pour écrire un faux article d’actualité que le quotidien a publié dans ses pages intérieures. Le résultat est bluffant : aucune faute d’orthographe, une grammaire et une syntaxe exceptionnelles et un style à faire rougir les meilleurs écrivains. Pour couronner le tout, une kyrielle de citations bien placées dans le texte. On aurait vraiment cru que l’article avait été rédigé par un journaliste en chair et en os. Le plus inquiétant, pour ne pas dire le plus effrayant dans cette histoire, c’est la vitesse avec laquelle le logiciel d’OpenAI a pondu le texte: pas plus de quinze secondes!

En découvrant les résultats du test, loin de s’enthousiasmer comme à l’accoutumée, Elon Musk a au contraire décidé de suspendre les travaux de sa société. L’heure est en effet grave: et si l’intelligence artificielle balayait l’intelligence humaine de la surface du globe?

Terminator, de la fiction à la réalité

Déjà, au cours de l’été 2017, Elon Musk s’était inquiété des risques d’un développement accéléré de l’IA. Il avait même réclamé au Congrès américain des mesures de sécurité pour réguler l’usage de l’intelligence artificielle. Trois ans plus tard, en juillet 2020, le double créateur de Neuralink et d’OpenAI met de nouveau l’humanité en garde: «Je n’arrête pas de tirer le signal d’alarme, s’inquiète l’entrepreneur, plus optimiste en temps normal, mais jusqu’à ce que les gens voient vraiment des robots tuer des personnes, ils ne sauront pas comment réagir, tellement ça leur paraît irréel. On devrait tous s’inquiéter de ces progrès.»

Pour celui qui voit le futur de l’humanité s’écrire sur d’autres planètes, l’homme risque non pas de disparaître, mais d’être dépassé par les machines. Pour Musk, tout va se jouer avant 2030, si ce n’est avant 2025, ce qui laisse vraiment un temps relativement court aux créateurs des futurs logiciels. Et Musk n’est pas le seul scientifique à jouer les Cassandre quant aux perspectives inquiétantes de la robotique et de l’ordinateur quantique. Récemment, en juillet 2020, des chercheurs de Stanford se sont montrés tout aussi alarmistes. D’après ces derniers, dès 2024, les robots nous dameront le pion dans le domaine de la traduction de textes, puis, en 2026, dans celui de la dissertation. D’ici 2050, nous n’aurons même plus besoin de camionneurs, de pilotes, de chirurgiens, ni même de romanciers. Et dans les cinquante années suivantes, c’est l’existence même de l’homme qui sera menacée, car les machines pourraient être tentées de l’éliminer. À croire que Terminator vient vraiment du futur!

©Editions de l’Archipel, 2021

A lire aussi : Automobile : au coeur de l’aventure Tesla et de la révolution d’Elon Musk 

Extrait du livre de Luc Mary, « Elon Musk, l'homme qui invente notre futur », publié aux éditions de l’Archipel

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