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Mickaël Berrebi publie « Investir pour nos valeurs ? » aux éditions Eyrolles.
Mickaël Berrebi publie « Investir pour nos valeurs ? » aux éditions Eyrolles.
©Bryan R. Smith / AFP

Bonnes feuilles

Mickaël Berrebi publie « Investir pour nos valeurs ? » aux éditions Eyrolles. En l'espace de quelques années à peine, la finance responsable est devenue un phénomène mondial. De plus en plus, les placements proposés aux épargnants prennent en compte un socle de valeurs, notamment environnementales et sociales. Le virage vers une économie responsable ne pourra se faire sans une remise en cause profonde de son mode de fonctionnement. Extrait 2/2.

Mickaël Berrebi

Mickaël Berrebi

Mickaël Berrebi est un spécialiste de l'investissement et conseille les grandes entreprises et investisseurs institutionnels. Diplômé de l'ESSEC et membre certifié de l'institut des actuaires, il est également coauteur de plusieurs ouvrages d'économie.

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À première vue, le débat sur la performance effective de l’investissement responsable semble bel et bien clos. Car si au départ, une majorité d’observateurs était dubitative sur la capacité des fonds responsables à délivrer une performance équivalente aux fonds classiques, leur historique de performance désormais assez long permet de laisser place à un consensus qui admet que la finance responsable est compatible avec une logique de rentabilité. Au contraire, l’un des arguments phares de l’investissement responsable promet justement de meilleures performances sur le long terme ! Pourtant, malgré ce consensus apparent, cette question revient inlassablement dans le débat. En effet, n’oublions pas que l’indicateur de performance reste le premier critère dans la sélection d’un fonds pour l’épargnant. Quels sont les arguments des partisans de l’investissement responsable au sujet de la performance ? Quels sont ceux de ses détracteurs ? Cette partie va tenter d’y répondre.

Pour cela, commençons notre analyse de façon simple en comparant la performance des fonds responsables par rapport aux fonds classiques. Intéressons-nous ainsi aux trois catégories de fonds en actions suivantes : les fonds en actions européennes, les fonds en actions américaines et les fonds en actions internationales ; puis calculons la moyenne des performances obtenues sur différents horizons temporels. Les résultats sont assez flagrants : non seulement on remarque, quels que soient la stratégie étudiée ou l’horizon temporel analysé, une surperformance systématique des fonds responsables par rapport aux fonds classiques, mais en plus, cette surperformance est de l’ordre d’environ 1 % par an.

Mais ces conclusions hâtives ne sont pas nécessairement suffisantes puisque les données utilisées pour l’étude sont arrêtées à une date précise. Ainsi, l’on pourrait très bien prétendre que le choix de la date retenue a pu influencer les résultats, notamment parce que les fonds responsables impliquent, par nature, un biais sectoriel. La meilleure anecdote pour illustrer ce biais sectoriel, c’est de retracer l’année 2020. On s’en souvient, la diffusion du virus fut si rapide, et sa dangerosité si menaçante pour les populations, que la majorité des pays du monde se décida à répliquer la solution chinoise, avec un confinement drastique de la population et la fermeture imposée aux commerces. La suite, on la connaît : il s’ensuivit un choc d’offre, puis un choc de demande. Sur les marchés financiers, cela s’est traduit par une chute vertigineuse de la valorisation des entreprises. Ainsi, en l’espace de quelques jours, entre le 19 février et le 12 mars 2020, les marchés actions subissent un krach d’environ 35 %, du jamais vu sur une période si courte.

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Mais l’année 2020 fut également inédite sur les marchés pour deux autres raisons. La première, c’est la vitesse de la reprise des marchés actions, tout aussi exceptionnelle que la chute. Depuis le point bas du milieu du mois de mars à la fin de l’année 2020, les marchés actions se redressent ainsi d’environ 35 %, si bien que certains marchés, comme celui des actions américaines, finissent l’année à l’équilibre, voire en territoire positif.

La seconde particularité nous intéresse plus particulièrement, puisqu’il s’agit de la résilience impressionnante des fonds responsables par rapport aux fonds classiques. Les défenseurs de l’investissement responsable s’en étaient alors donné à cœur joie pour rappeler qu’investir son épargne dans des supports responsables était gage d’une meilleure résilience en période de crise, qu’il n’y avait qu’à observer le comportement des fonds en 2020… Pourtant, sur ce point, le biais sectoriel des fonds responsables était criant. Car, on a déjà eu l’occasion de l’évoquer, appliquer une politique d’investissement responsable aboutit à construire un portefeuille composé d’entreprises avec les meilleures notes ESG. Or, le plus souvent, l’on remarque aussi que certains secteurs ont tendance à être surreprésentés, comme c’est notamment le cas pour celui de la technologie ou de la santé. Mécaniquement, les fonds responsables étaient ainsi, en moyenne, surpondérés dans ces deux secteurs. Quel heureux hasard ! Puisque ce sont précisément ces deux secteurs qui avaient très bien performé en 2020. Tout cela est logique. Le premier secteur, celui des entreprises technologiques, n’a évidemment pas été concerné par la politique de distanciation physique. Il en a même bénéficié puisqu’il a vu apparaître une nouvelle clientèle, obligée de se reporter vers des achats en ligne pendant les confinements successifs. Le second secteur, lui, a profité d’un environnement propice aux soins puisque l’on était en pleine pandémie ! C’est pourquoi, la justification visant à expliquer la surperformance des fonds responsables observée en 2020 par l’approche extra-financière mise en œuvre semble clairement incomplète.

Pour autant, la littérature académique est désormais suffisamment riche pour nous fournir des arguments complémentaires en faveur des fonds responsables. En voici quelques exemples. En 2012, Eccles, Ioannou et Serafeim démontrent, à partir d’un échantillon de 180 entreprises, que les sociétés ayant mis en place une politique sociale et environnementale dès 1993 ont tendance à significativement surpasser leurs concurrentes, tant en termes de performances boursières que comptables. Dans le même état d’esprit, et bien qu’ils appellent à la prudence dans l’interprétation de leurs résultats, Dimson, Karakaş et Li estiment, à partir d’une base de données d’entreprises américaines entre 1999 et 2009, que celles ayant des engagements responsables donnent lieu à une surperformance anormale par rapport à leurs homologues et qui est de l’ordre de +2,3 % par an. Ils remarquent aussi que les surperformances observées sont plus marquées lorsque les engagements concernent l’environnement et la gouvernance. Dans son papier, Alex Edmans s’intéresse au pilier social et à l’évolution de la performance boursière des entreprises réputées comme étant « les meilleures entreprises où travailler » aux États-Unis, entre 1984 et 2009. En particulier, il conclut par l’existence d’une corrélation positive entre la satisfaction des salariés et les performances boursières de l’entreprise. Autrement dit, une entreprise dont les salariés sont satisfaits générerait des performances supérieures sur le long terme. Il en déduit ainsi les effets bénéfiques de certains filtres ISR pour l’amélioration de la performance boursière des entreprises.

Étant donné le nombre impressionnant de papiers académiques qui traitent de la corrélation entre l’investissement responsable et la performance, certains chercheurs proposent des méta-analyses. Cette technique statistique consiste à synthétiser, quantitativement, les résultats d’études au sujet d’une question bien précise. Dans leur papier, Clark, Feiner et Viehs s’intéressent à 200 sources différentes pour trancher sur les effets d’une politique durable sur la performance économique d’une entreprise. Pour 88 % des sources, les entreprises ayant des pratiques solides en matière de développement durable affichent de meilleures performances économiques, ce qui se traduit par de meilleurs flux de trésorerie. Plus ambitieuse, l’étude de Friede, Busch et Bassen s’appuie sur une base de plus de 2 200 études3. Le résultat est clair, 90 % des études académiques trouvent une relation non négative entre les critères ESG et la performance financière de l’entreprise, et une majorité d’entre elles conclut en une relation positive. Certaines études permettent aussi d’appréhender les effets des critères ESG selon certains paramètres, comme les catégories d’actifs ou les zones géographiques. Par exemple, on observe une corrélation positive entre les critères ESG et la performance financière pour 52 % des études s’intéressant aux actions, pour 64 % des études dédiées aux obligations et pour 71 % des études portant sur l’immobilier. De même, la corrélation positive entre les critères ESG et la zone géographique est particulièrement forte pour les investissements réalisés dans les pays émergents.

Tout cela semble bien prometteur pour renforcer l’engouement autour de l’investissement responsable, d’autant plus que les résultats des études apparaissent stables dans le temps et que, dans sa grande majorité, le monde universitaire conforte l’idée que l’investissement responsable ne vient pas détruire la rentabilité financière, bien au contraire ! Mais ce n’est pas pour autant que les universitaires sont tous du même avis.

Parmi les détracteurs de l’investissement responsable, certains semblent même assez catégoriques. C’est par exemple le cas des professeurs Aswath Damodaran, de la Stern School of Business de l’université de New York, et Bradford Cornell, de l’Anderson School of Management de UCLA. Pour eux, le battage médiatique idéalise trop l’investissement responsable, qui est devenu la nouvelle manne des consultants, des banques et des sociétés de gestion. Si l’attaque est forte, certains des arguments avancés méritent néanmoins d’être abordés.

En particulier, ils mettent en exergue les quelques contradictions qui existent parmi les notations extra-financières. En s’appuyant sur une littérature abondante, ils soulignent le fait que d’une agence à l’autre, de profondes différences peuvent être observées concernant les méthodologies d’analyse et les évaluations réalisées. C’est cela qui entraînerait des résultats parfois contradictoires pour l’évaluation d’une même entreprise ! À partir d’un échantillon d’entreprises américaines, une étude s’est notamment intéressée à la relation entre les désaccords que l’on peut observer sur les évaluations ESG des agences de notation et la performance financière des entreprises concernées par ces points de désaccord sur la période 2010-2017. La conclusion est édifiante : il semblerait que les performances boursières soient corrélées à l’intensité du désaccord rencontré, suggérant ainsi une prime de risque plus élevée pour les entreprises impliquées par un désaccord extra-financier important, et plus particulièrement lorsqu’il s’agit d’un désaccord sur le pilier environnemental.

En réalité, Damodaran et Cornell estiment qu’il existe une confusion au sein même du débat sur la performance des fonds responsables. Pour eux, il y a lieu de distinguer trois notions : la création de valeur, autrement dit, les entreprises responsables sont-elles économiquement plus rentables que les autres ? ; l’évaluation de l’entreprise par les marchés, autrement dit, une entreprise responsable est-elle mieux valorisée par les marchés ? ; et enfin, la performance boursière, c’est-à-dire l’investissement dans une entreprise responsable permet-il de générer une meilleure performance ? Et si la recherche académique s’est essentiellement concentrée sur la question relative aux performances, les deux professeurs estiment que cela ne suffit pas pour clore le débat. Au contraire, il serait primordial de nuancer les attentes à l’égard des fonds responsables, et ce pour au moins trois raisons.

Premièrement, il existerait un lien faible entre les critères  ESG et la performance opérationnelle d’une entreprise, c’est-à-dire sa croissance et sa rentabilité. Dire aux entreprises que la mise en place d’une politique responsable plus rigoureuse suffirait à générer plus de croissance est évidemment un leurre. L’inverse est en revanche bien plus probable : les entreprises aux mauvaises pratiques ESG ont plus de risques d’être « punies » par les marchés, soit en subissant un coût de financement plus élevé, soit à travers des risques opérationnels ou des controverses auxquels elles pourraient s’exposer.

Deuxièmement, même si la littérature semble catégorique sur la corrélation entre les critères ESG et la performance générée, il est néanmoins délicat de trancher sur la causalité entre les deux observations. La question est donc la suivante : les entreprises sont-elles plus performantes parce qu’elles mettent en place une politique responsable, ou bien est-ce la bonne performance d’une entreprise qui lui permet d’avoir une assise financière assez solide pour la mise en place d’une politique responsable ?

Enfin, lorsqu’une nouvelle tendance suscite l’intérêt des investisseurs, la première phase est celle de l’ajustement des prix. Pour la finance responsable, cela se traduit par des entreprises aux critères ESG solides plus chèrement cotées et en surperformance par rapport à celles ayant des critères ESG faibles. Mais une fois les prix d’équilibre atteints, si la valeur des actions ESG est certainement plus élevée, il y a lieu de penser que les rendements attendus deviendront ensuite plus faibles.

Décidément, le débat autour de la performance effective des fonds responsables est bien plus complexe qu’il n’en a l’air, et ne se limite évidemment pas à une simple comparaison de performances. Mais cela importe finalement assez peu… Car investir dans une stratégie responsable, c’est investir pour des valeurs responsables ! Cette démarche devrait donc se rattacher aux opinions, aux croyances et aux convictions idéologiques les plus fortes de l’investisseur. En un mot, à sa part d’irrationnel.

Extrait du livre de Mickaël Berrebi, « Investir pour nos valeurs ? », publié aux éditions Eyrolles

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